Sorte de quintessence de la SF paranoïaque des années 50 chez les yankees, Invaders from Mars renvoie à un temps hélas disparu. Celui où les communistes faisaient encore peur aux vils capitalistes, imbus d'eux-mêmes, d'outre-Atlantique. Un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître. Le rouge avait alors le couteau entre les dents, alors qu'aujourd'hui il est obligé de les sortir du verre où elles trempent afin de les mettre. Mondo Cane.
Entre supposée menace intérieure, faisant les délices du maccarthysme, et invasion extérieure, le film balaie tout le spectre des fantasmes de l'époque. De "It Came from Outer Space" à "Invasion of the Body Snatchers", en passant par "La guerre des mondes", pour n'en citer que trois, les mêmes thèmes seront rabâchés parfois jusqu'à la nausée, dans le but de créer une psychose de l'invasion rouge venue des steppes.
Le réalisateur William Cameron Menzies fut avant tout décorateur, notamment dans les années 1920/30 sur des oeuvres comme "Le voleur de Bagdad", "Autant en emporte le vent" ou "The Devil and Miss Jones". Au niveau réalisation, on compte une petite quinzaine d'oeuvres d'où émerge, outre ce Invaders from Mars, le film de science-fiction scénarisé par H.G. Wells : "Things to Come", en 1936, et le drame "Address Unknown" en 1944.
Au niveau de la distribution, on retrouve Helena Carter, qui fit une brève carrière entre 1947 et 1953, et dont c'est ici le dernière film. Le Dr Stuart, par contre, est tenu par un certain Arthur Franz dont la carrière s'étend sur près de quatre décennies, avec comme point d'orgue "Ouragan sur le Caine" (1954). Enfin, Jimmy Hunt, le petit garçon qui joua plein de rôles de... petit garçon, entre la fin des années 40 et le début des années 50, ne reprendra du service que brièvement en 1986 pour le remake de Tobe Hooper (il y joue le chef de la police).
La principale singularité de Invaders from Mars est que le héros est un petit garçon et non pas, comme ce fut souvent le cas, un beau militaire ou un scientifique à la mâchoire carrée. C'est fou d'ailleurs le nombre de héros américains qui ont la mâchoire carrée, ce serait peut-être une bonne chose d'écrire une thèse sur cet aspect (on pourrait l'appeler par exemple :
"De l'influence de la mâchoire carrée dans la symbolique de l'american way of life").
Donc, le gamin, qui n'a pas encore la mâchoire carrée, mais qui a franchement une tête à claque, vit dans une famille modèle. Il peut se lever à quatre heures du mat' pour regarder le ciel dans son télescope, sans que ses parents ne s'énervent et lui balancent une paire de bouffes fort méritée, comme on le fait avec tendresse sous nos latitudes.
Toujours est-il qu'au travers de son engin, il découvre qu'une soucoupe volante a atterri derrière une petite colline sise juste à côté de chez lui. Le lendemain, bien que sceptique comme une fosse, son père part à l'endroit indiqué par son fils. Il en reviendra avec une personnalité différente. Puis ce sera au tour des flics venus enquêter, de la mère et d'une des petites voisines de disparaître, aspirés par des sortes de sables mouvants, et de revenir totalement changés mentalement et nantis d'un regard robotique.
Ni une, ni deux, le fier petit gars se rend courageusement à la police, pour découvrir que le chef d'icelle est déjà sous l'emprise des envahisseurs. Il est enchristé derrière les barreaux, ses parents arrivent pour le ramener à la maison, mais il est sauvé par une doctoresse qui semble croire à son histoire.
Puis, nos deux comparses se rendent chez un astronome, qui bien commodément pour la suite de l'intrigue, décide très rapidement de croire lui aussi au récit. Cela nous vaut d'ailleurs une longue séquence d'explications pseudo-scientifiques toute à fait croquignolette, mais qui fait tout le charme de ce type de productions.
Débarquent alors ceux sans qui la nation ne saurait être sauvée, ceux qui la préservent de tous risques de déviance communiste, nos vaillants militaires aux regards si doux. Ils prennent tout de suite les choses en main, débusquent les vilains martiens et les dispersent façon puzzle avec l'aide du petit gars et de la doctoresse. Les parents du gamin sont sauvés, ils pourront redevenir gentils et rependre l'éducation de leur rejeton à base de dépassement de soi et de ferveur religieuse, loin, bien loin du matérialisme dialectique. Amen.
Si on compare Invaders from Mars à d'autres productions cultes du même type et de la même époque, la balance ne penche pas en sa faveur. Il y manque en effet des scènes spectaculaires comme dans "La guerre des mondes", ou la représentation aboutie de la paranoïa présente dans "Invasion of the Body Snatchers", par exemple.
De plus, les menus défauts sont tout de même nombreux. Citons notamment un trop grand nombre de séquences dialoguées, manquant cruellement de rythme et se rapprochant dangereusement d'une simple volonté de remplissage ; et les costumes des martiens de base, pas de la plus pure inventivité avec leurs fourrures en pilou-pilou vert, fermetures éclairs visibles et lunettes fendues. Cela reste tout de même bon enfant et trône au firmament du bestiaire loufoque de la SF.
On passera également sous silence le trop grand nombre de stock-shots de manœuvres militaires, qui font perdre le fil et la crédibilité des séquences finales.
Malgré cela, Invaders from Mars est un film amusant et délassant, un bon spectacle familial renforcé par la facile identification des jeunes spectateurs avec le héros. Les stéréotypes sont tellement grossiers que l'on en sourit souvent. La métaphore, à ce point transparente, qui vise à séparer les bons américains épris de liberté, disposant de leur libre arbitre, et le lavage de cerveau opéré par les vilains E.T. venus d'une planète forcément rouge, donne à l'ensemble un cachet historique indéniable.
Finalement très proche d'un conte de fées faisant se combattre le bien et le mal absolus, Invaders from Mars procure une certaine nostalgie et l'envie d'aller voir si, par pur hasard, certains parents n'ont pas quelque chose de bizarre au dos du cou.
Le mieux, c'est encore d'aller vérifier ; on ne sait jamais, la menace rouge est peut-être de retour !
Camif
En rapport avec le film :
# Le coffret Artus Films "Destination Mars"