Clé d'or, La
Titre original: Золотой ключик
Genre: Animation , Fantasy
Année: 1939
Pays d'origine: U.R.S.S.
Réalisateur: Aleksandr Ptushko
Casting:
Aleksandr Chagine, Sergei Martinson, Georgui Uvarov, Olga Obraztsova-Shaganova, Tamara Adelgeym, Nikolay Bogolyubov...
Aka: The Golden Key (Zolotoy klyuchik)
 

Dans une Italie du 19ème siècle (assez factice), le pauvre "Papa Carlo" vivote en jouant de l'orgue de Barbarie et en interprétant la chanson du " pays merveilleux" (où tous les enfants sont scolarisés, et où tous les seniors bénéficient de la retraite par répartition), dont la porte peut être ouverte par une clé d'or. Hélas, son orgue se casse, et Papa Carlo se retrouve seul et démuni. Au même moment, arrive en ville le cirque de marionnettes de Karabas-Barabas, dont les petites figurines animées sont douées d'une volonté propre, et que l'horrible Karabas-Barabas mène à coups de martinet.
A peine installé, Karabas-Barabas appelle son ami Duramar, vendeur de sangsues de son état, et lui dit qu'il est entré en possession de la fameuse clé d'or (celle de la chanson du "pays merveilleux"), mais qu'il ignore où se trouve la porte vers ce qu'il suppose être un magnifique trésor. Il donne à Duramar la description qu'on lui a faite et le charge de la trouver. Peu après, un charpentier offre une bûche parlante à "Papa Carlo" qu'il taille en une marionnette, elle aussi douée de parole, représentant un petit garçon. Ce fils de substitution, il l'appelle Buratino (Burattino, avec deux t, signifiant marionnette en italien). Et pour lui acheter des vêtements et du matériel scolaire, afin qu'il se rende en classe, "Papa Carlo" vend sa dernière veste. Sur le chemin de l'école, le fantasque Buratino tombe sur le cirque de Karabas-Barabas...

 

 

Les lecteurs de Collodi auront remarqué dans le résumé du début de ce film de très fortes similitudes avec "Les aventures de Pinocchio". Ils auront aussi remarqué quelques différences (les noms des protagonistes et l'histoire de la clé d'or). L'explication est simple : nous sommes ici devant une adaptation, non pas du roman de Collodi, mais d'une variante/ hommage/ plagiat (à une époque où l'URSS n'était pas concernée par les lois de copyright du monde capitaliste) de "La petite clé d'or ou les aventures de Buratino" d'Aleksey Nikolayevich Tolstoï. Dans cette version (qui, en Europe orientale, a complètement éclipsé l'originale italienne), Pinocchio devient Buratino, Gepetto : Carlo, et Mangiafuoco : Karabas-Barabas (et change de caractère pour devenir un personnage négatif). Exit par contre la fée aux troubles motifs pédophiles et l'affreux grillon moralisateur (que Collodi fait certes très vite écraser par Pinocchio dans l'oeuvre littéraire). Exit aussi la seconde partie des aventures de la marionnette, celles de Buratino prenant un tour différent après ses démêlés avec le renard (devenu renarde) et le chat sauvage.

 

 

Avant de parler du film, je me permets une petite digression sur le "camarade comte" Tolstoï. Fils d'un cousin de Léon Tolstoï et d'une cousine d'Ivan Tourgueniev, génie littéraire par hérédité, émigré tsariste par posture sociale, rallié aux bolcheviques par intérêt, Comte Tolstoï par héritage et membre du Soviet Suprême par élection, Aleksey Nikolayevich Tolstoï sera pour Staline ce que Gorki était pour Lénine. Comblé d'honneur et de gloire, de son retour en Union Soviétique jusqu'à sa mort, il aurait conservé en privé un mode de vie d'ancien régime tout en étant le chantre de la révolution communiste en public. De nombreuses anecdotes ont couru à ce sujet. Ainsi, dans les années 30, on pouvait en frappant à la porte de sa luxueuse demeure moscovite être accueilli par un laqué en livrée vous répondant : "Son excellence est absente, elle est actuellement en réunion avec ses camarades du Soviet suprême".
Certes, Aleksey Nikolayevich n'est pas le plus grand écrivain de la famille Tolstoï, ni même le second plus grand, mais seulement le troisième ("qu'il est dur d'être le meilleur de son village quand c'est celui du champion du monde"), ce qui fait quand même de lui un des plus grands auteurs du 20ème siècle (supérieur à 90% des prix Nobel de littérature). Dans sa pléthorique bibliographie où ouvrages pour enfants et biographies historiques abondent, le cinéphile retiendra "Aelita", dont l'adaptation cinématographique en 1924 sera le premier film de SF soviétique, et "Giperboloid inzhenera Garina", un autre roman de science-fiction qui sera lui aussi adapté en film, mais seulement en 1965.

 

 

Mais revenons au film. Bon, soyons honnête, s'il n'y avait pas une volonté d'exhaustivité, de la part de l'auteur de ces lignes, sur - au moins la partie "fantastique" (vous trouverez une critique de sa seule oeuvre réaliste, Les voiles écarlates, sur un site ami ; la présence de l'invisible "Trois rencontres" dans sa filmographie semblant être une erreur de la Mosfilm due à une homonymie) de l'oeuvre de Ptushko en ces lieux - ce film n'y mériterait sans doute pas une critique. Car il s'agit d'un film pour enfants ne présentant d'intérêt pour un adulte que par ses trucages (heureusement nombreux) et par la plus-value apportée par le décalage temporel.
Pour le reste, difficile, si on a plus de sept ans, de s'intéresser à une histoire où la plupart des éléments satiriques ont été évacués, soit par souci de concision, soit pour faire la part belle à "l'aventure". Difficile aussi de ne pas trouver "too much" la fin inventé par le "camarade comte" Tolstoï, allégorie du socialisme triomphant d'une société soviétique idéale. Difficile encore de ne pas trouver ridicule cette reconstitution, certes volontairement artificielle, d'une Italie rurale du 19ème siècle semblant sortir tout droit d'une aquarelle d'un mauvais peintre paysagiste de l'époque (avec morceau de ruine antique au milieu du village). Difficile enfin d'adhérer à l'aspect caricatural très "comedia dell'arte" (certes déjà présent chez Collodi) et aux maquillages excessifs des personnages humains, et à l'aspect "cartoonesque" des personnages zoomorphes (les marionnettes, par contre, sont réussies).

 

 

Passons à présent aux effets spéciaux, qui éblouirent le public soviétique de l'époque. Si la technique du cache contre cache, nouvelle pour Ptushko, qui permet de mixer figurines animées et acteurs réels, mais aussi et surtout personnages humains et acteurs grimés en marionnettes à une échelle réduite est remarquablement employée, et si le "stop motion" reste très correct pour l'époque, on dira qu'il est légèrement en dessous du maître Willis O'Brien mais soutient largement la comparaison avec le reste de la production hollywoodienne ou européenne. C'est l'utilisation de deux techniques différentes pour représenter les marionnettes qui fait ressortir les faiblesses des séquences en "stop motion". En effet, Buratino et les marionnettes du cirque de Karabas-Barabas sont incarnées, suivant les scènes, à la fois par des acteurs grimés en marionnette et par des figurines animées image par image. Et force est de constater que, malgré le talent de Ptushko et son équipe pour rendre les mouvements de ces dernières fluides, le contraste avec les acteurs déguisés est cruel. Il faut aussi dire, enfin écrire, que les animaux, plus ou moins anthropomorphes (qui eux n'ont droit qu'à de l'animation en stop motion), ne sont pas très réussis.

 

 

En ce qui concerne le casting un seul nom se détache, celui, bien connu des amateurs de fantastique soviétique, de Sergueï Martinson (qui joue Duramar, un personnage secondaire absent dans l'oeuvre de Collodi). C'est même l'un des principaux intérêts de ce film que de découvrir un Martinson jeune (enfin tout juste quadragénaire), certes outrageusement grimé mais quand même, sachant que le "Walter Brenan russe" joua des personnages de vieillard pendant près de quarante ans, au début avec maquillage, à la fin sans. Pour le reste de la distribution, nous n'avons que des noms peu connus d'acteurs issus du théâtre (seul Nikolay Bogolyubov, et dans une moindre mesure Tamara Adelgeym, ont eu une carrière cinématographique conséquente). Il est par contre amusant de signaler que Buratino est incarné (quand il n'est pas une simple figurine en "stop motion") par une actrice, qui plus est adulte (l'inconnue Olga Obraztsova-Shaganova).
Bref, si ce film est amusant, on est clairement loin de ce que fera Aleksandr Ptushko après la seconde guerre mondiale. Alors certes, parmi les adaptations (au sens large) de Collodi, La clé d'or soutient largement la comparaison avec la version Disney mais pas avec celle, feuilletonesque, de Comencini (n'étant ni un enfant ni un masochiste, je n'en ai pas vu d'autres).

 

 

Sigtuna

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