Au tout début du 20ème siècle, ou à l’extrême fin du 19ème siècle, dans le far-west américain, une diligence est attaquée par la bande du redoutable "Black Jack". Tous les passagers, quel que soit leur âge ou leur sexe, font le coup de feu pour se protéger. Tous... sauf un, Johnny First, qui lit imperturbablement ce qui ressemble à une bible. Il s’agit en fait de l’histoire du cinéma, un livre dont seules les premières pages sont imprimées mais qui, selon First, est en train de s’écrire.
First descend à Santa Carolina, petite ville typique de l’ouest américain où toute l’activité se concentre dans le saloon, où les cow-boys se murgent la gueule, se battent et admirent le spectacle des girls (dans cet ordre). Mais si Johnny First se rend au saloon, c’est avec une autre idée en tête, idée qui lui est venue, telle une apparition du messie, en assistant boulevard des Capucines à Paris lors d'une séance du cinématographe des frères Lumière. Depuis ce jour, Johnny First est devenu projectionniste, et son sacerdoce est d’amener le cinéma dans les lieux les plus reculés.
L'Homme du boulevard des Capucines est, pratiquement, l'unique représentant du western soviétique au sens propre du terme (c'est-à-dire se déroulant en Amérique du Nord). Bon, il va de soi, compte tenu de son origine, qu’il ne s’agit pas réellement d’un western, en tout cas sérieux, mais d’une parodie. A vrai dire, l’aspect western sert plus de cadre et de prétexte qu’autre chose, car ici il est plus question des débuts du 7ème art, et le western, genre éminemment cinématographique s’il en est (ou s'en fut, car il est un petit peu mort quand même), car correspondant à une réalité n’ayant en fait jamais existé ("publiait la légende", fait dire John Ford à l'un de ses personnages dans "L'Homme qui tua Liberty Valance"), est l’écrin idéal pour un film s’interrogeant sur le "pouvoir" du grand écran.
Car L'Homme du boulevard des Capucines reprend en fait un canevas typiquement soviétique datant des premières heures du cinéma de l’URSS, celui de l’idéaliste venu apporter le progrès (et le communisme, les deux ne pouvant qu’être liés) dans un coin reculé où il gagne l’amour de la beauté locale mais se heurte à l’hostilité des potentats indigènes. Si cette hostilité est armée et les autochtones basanés, nous sommes dans un "ostern" (l’équivalent soviétique du western), et la présence d’un habitué du genre, Spartak Mishulin qui troque ici sa casaque de guerrier turkmène pour celle de chef indien, n’est évidemment pas une coïncidence.
Du strict point de vue de la parodie de western, L'Homme du boulevard des Capucines est bien en deçà de son aîné tchèque, l’iconoclaste et, ô combien original, Jo Limonade. A vrai dire, on a une impression de déjà vu, pas tant dans Jo Limonade d’ailleurs, que dans les spaghetti westerns comiques ou dans "La blonde et le shérif", avec les stéréotypes de la girl de saloon vertueuse, du tueur philosophe, de la brute sympathique, de l’indien cultivé... bref, l’inversion des stéréotypes du western classique.
Néanmoins, l’humour fonctionne, on sourit souvent, on rit parfois, les gags les plus grossiers côtoient les plus fins et les références les plus diverses, de Lenine (le pasteur traitant le cinéma "d’opium du peuple") à John Ford (le gag récurrent du "Hé, c’était mon steak" tiré de "L'Homme qui tua Liberty Valance", tout compte fait l’influence la plus marquée de ce film). Nous sommes aussi dans l’irréalité la plus totale et la convention théâtrale : les balles ne tuent pas, les morts se relèvent et ressuscitent, et les héros poussent la chansonnette n’importe où et n’importe quand car nous sommes aussi dans une comédie musicale.
Concernant le coté "introspection du cinéma sur ses débuts" et "analyse sur le pouvoir des images", il ne faudrait pas en exagérer la portée dans un film comportant pas loin d’une vingtaine de minutes de slapstick. On est dans une comédie et pas dans un film à thèse. Certes, il en ressort une morale assez naïve sur l’influence du cinéma sur les comportements, mais pas étonnante venant d’un pays où l’on pensait que le 7ème art pouvait servir à l’éducation et à l’élévation intellectuelle des masses (les cyniques diront à la propagande). Le pendant de cette théorie étant que le cinéma d’exploitation (oui, celui que tu regardes, ami lecteur si tu es un habitué de Psychovision) bêtifierait et avilirait le spectateur (donc toi qui me lit... va jeter tout de suite tes DVD de slashers avant de te transformer en serial killer). Le méchant du film n’étant donc pas tant le pasteur ou le tenancier du saloon, symboles de la religion et du capitalisme, que le rival projectionniste de First, Johnny Second, qui arrivant vers la fin le supplantera en projetant des films violents et licencieux.
Pour ne pas rester sur une note négative, on peut dire que la légèreté et l’humour du film font largement passer la pilule de la naïveté du propos. Que les interprètes sont excellents et la réalisation fluide et élégante. Que l’héroïne est très jolie malgré (ou à cause) un physique finno-ougrien assez étrange tenant à la fois de l’asiatique albinos et de Catherine Jacob (oui, je suis d’accord, Catherine Jacob et joli dans une même phrase, c’est encore plus étrange que le physique de l’héroïne Aleksandra Asmaye). Que le héros, grande star du cinéma soviétique des années 70 et 80, Andrei Mironov, est la classe fait homme. Hélas, dans la réalité, contrairement à ce qui se passe dans ce film, les morts ne se relèvent pas en pleine forme quelques secondes après avoir été abattus, et peu de temps après le tournage, Mironov fut foudroyé par une rupture d’anévrisme.
Plus souriant, et loin des idées reçues sur les starlettes (faussement) blondes, Aleksandra Asmaye, une fois sa beauté passée, s'est brillamment reconvertie dans la fonction publique, devenant directrice des lignes de chemins de fer du nord de la Russie. Enfin, L'Homme du boulevard des Capucines a pour particularité unique de montrer deux films en intégralité dans le film : "L’arroseur arrosé" et "L’arrivée du train en gare de la Ciotat" (présenté comme l’arrivée d’un train dans une gare parisienne).
Sigtuna