Sweet Love
Titre original: Fongaluli
Genre: Erotique , Comédie , Fantastique , Aventures
Année: 1972
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Eduardo Cemano
Casting:
Eduardo Cemano, Persephone Black, Susie Sunshine, Alvin Bojar, Ultramax, Jamie Gillis, Helen Madigan, Valerie Marron, Georgina Spelvin, Marc Stevens...
Aka: Sweet Love : Qu'est-ce qui fait rougir ma langouste ? (Belgique) / Fongaluli, le pétale de l'amour (Canada)
 

Le professeur Leviticus Wirtsus est un illuminé survolté, passionné par les manipulations génétiques : il rêve de croiser les espèces entres elles afin de créer des animaux extraordinaires : une langouste volante, une tortue qui pourrait "nager dans l'air" ou bien encore un serpent avec pattes et ailerons...

Il rencontre un mystérieux Arabe qui lui fait goûter des feuilles de "Fongaluli", une substance hallucinogène qui lui procure des visions érotiques mettant en scène des humains à têtes d'animaux... Il décide aussitôt de faire ingérer des feuilles à Shirley, sa langouste, qui se met bientôt à parler, puis se transforme en une ravissante jeune fille dont il tombe éperdument amoureux ! Hélas, les effets du Fongaluli ne sont que temporaires : Leviticus doit trouver d'autres feuilles de cette plante magique et il se lance dans une quête qui va lui valoir de bien curieuses péripéties...

 

 

Il va ainsi rencontrer une géante nymphomane qui l'obligera à visiter son intimité avant de le sauver d'une attaque d'iguanes géants, puis une famille d'hurluberlus qui parlent comme les Teletubbies, se nourrissent exclusivement de lait maternel et se disputent pour savoir qui couchera avec qui : le père propose à sa fille de coucher avec elle, le fils rétorque qu'il a couché avec son père la veille et c'est finalement la fille qui décide de coucher avec "son frère adoré" !

Leviticus croisera aussi le chemin d'un beau navigateur solitaire qui se révèlera être un dieu de l'Olympe en vadrouille et fera découvrir les plaisirs de la chair à Shirley la langouste.

Cette odyssée s'achèvera sur l'île d'une sorcière libidineuse qui forcera Leviticus à participer à une orgie bisexuelle et lui permettra finalement de vivre le grand amour avec son crustacé... d'une façon plutôt inattendue !

 

 

Eduardo Cemano (de son vrai nom Ed Seeman) est un artiste touche à tout. Né à New-York où il a étudié dans plusieurs écoles d'art, il deviendra peintre dans les années 60, réalisera quelques films expérimentaux en 16mm, fera de la musique et du stand-up dans la Borscht Belt avant de se tourner vers l'animation. Il fondera ensuite sa propre maison de production, Gryphon Productions, spécialisée dans les films publicitaires.

Au début des années 70, Cemano est témoin de l'émergence des "one-day wonders", ces petits films pornos californiens tournés en une journée avec des budgets dérisoires et il décide d'apporter sa contribution au genre tout en y intégrant sa propre vision artistique. Il réalise donc coup sur coup "Millie's Homecoming" (1971) et "The Weirdos and the Oddballs" (1971) qui se démarquent du reste de la production de l'époque grâce à des intrigues développées et un humour satirique bien particulier. Ces films lui permettent d'obtenir le soutien de producteurs et ses oeuvres suivantes vont bénéficier de budgets plus importants et de tournages plus élaborés.

Réalisé quelques mois après "The Healers", Sweet Love constitue, avec "Madame Zenobia" (1973) ce que Cemano lui-même appelle sa "Sexual Healing Trilogy", trois films ambitieux marqués par le style expérimental de l'avant-garde underground new-yorkaise et qui reflètent les théories de Cemano sur la sexualité : "The Healers" s'inspire des travaux du psychiatre autrichien Wilhelm Reich sur le bonheur par la satisfaction sexuelle et la fonction thérapeutique de l'orgasme, tandis que "Madame Zenobia" aborde les liens entre sexualité, mysticisme et métaphysique.

 

 

Sur le plan esthétique, Cemano filme bien des actes sexuels non-simulés mais il évite soigneusement de montrer la moindre pénétration ou autres plans "hard" et privilégie les expressions faciales et la chorégraphie des corps qui, selon lui, révèlent la beauté de l'acte sexuel. Ce sont donc des visages et des corps en mouvement que sa caméra explore à grand renfort de filtres colorés psychédéliques, de surimpressions, de ralentis, d'objectifs grand-angle et de bandes son empruntant au répertoire classique ou composées de sonorités électroniques, tour à tour envoûtantes et inquiétantes.

Malgré ses nombreuses qualités, le cinéma de Cemano ne fera pas recette : il ne réalisera que deux autres films : "Thrilling Drilling" (1974) et "Bridal Intrigue" (1975) avant de se consacrer à la photo de charme pour des magazines comme "Penthouse" et "Oui", tout en continuant ses activités dans la publicité. Il tiendra une dernière fois la caméra pour le documentaire de Frank Zappa "Uncle Meat" en 1987 et se retirera deux ans plus tard en Floride où il vit toujours avec sa cinquième épouse...

 

 

C'est en 1972 qu'Eduardo Cemano, doté d'un budget de 10 000 $ (le plus élevé de toute sa carrière), se rend en en Floride et aux Bahamas afin d'entreprendre le tournage de "Fongaluli"/"Sweet Love" qui durera cinq jours. Il est à la fois réalisateur, coscénariste et acteur principal et son équipe technique se limite à trois personnes ! La directrice de casting, la célèbre Bunny Yeager, l'une des photographes attitrées de Bettie Page, a cependant réussi à convaincre la splendide Persephone Black, mannequin vedette du magazine Playboy de tenir le rôle principal, celui de la femme-langouste. Ce sera hélas le seul et unique rôle de sa courte carrière. En plus de quelques illustres inconnus, le reste de la distribution se compose d' Alvin Bojar, producteur et coscénariste du film et d'une amie de Cemano, Ultramax (Maxine Hayes), qui a débuté avec lui dans son film précédent "The Healers" et que l'on reverra par la suite dans une vingtaine de films X ou érotiques dont "Femme ou démon"/ "Through the Looking Glass" (1976) et "A Touch of Genie" de Joe Sarno (1979).

Deux séquences additionnelles dans lesquelles ont peut reconnaître de futures stars du porno américain : Jamie Gillis, Helen Madigan, Valerie Marron, Georgina Spelvin et Marc Stevens seront ensuite tournées à New-York. Totalement inconnus à l'époque, Cemano ne jugera pas utile de les citer au générique.

A noter également qu'une vingtaine de langoustes furent nécessaires pour tenir le rôle de Shirley : les pauvres bêtes succombaient rapidement hors de l'eau et des plongeurs furent recrutés afin de rapporter régulièrement de nouvelles "actrices" !

 

 

A partir d'une idée farfelue sur les croisements génétiques, qui semble caricaturer le thème des rapports entre l'Homme et l'animal de "L’Île du docteur Moreau" de H.G. Wells, Cemano nous livre, en mêlant comédie, science-fiction, aventures, érotisme et psychédélisme, le récit à la fois délirant et captivant d'un voyage initiatique (sexuellement parlant). Mais derrière les corps nus et les gesticulations du professeur, dont l'interprétation remarquable n'est pas sans rappeler certains personnages de Woody Allen, on perçoit rapidement une forme de dénonciation sarcastique des mœurs de l'époque.

Si Cemano adopte le schéma narratif de l'épopée popularisée par Homère, les références littéraires sont plutôt à chercher du côté des "Voyages de Gulliver" de Jonathan Swift. Naïf et crédule comme Gulliver, le professeur Leviticus Wirtsus va en effet, au cours de son périple de rivage en rivage, être confronté à une galerie de personnages aux comportements ignobles qui, au final, lui permettront de trouver sa véritable identité. Cemano se situe évidemment dans le registre de la comédie (érotique) et si satire sociale il y a, celle-ci ne vise pas l'humanité entière comme chez Swift, mais une frange de la population que Cemano connaît bien puisque, paradoxalement, il en fait partie : celles et ceux qui se livrent sans retenue aux excès de la libération sexuelle...

Ainsi, la géante ne pense qu'à son plaisir égoïste et, comme les dames de la cour de l'île de Brobdingnag, utilise le pauvre Leviticus, ramené à la taille d'un pénis, comme un objet sexuel. La famille de doux dingues qui semblent bien inoffensifs au premier abord, se révèlent être de véritables obsédés qui pratiquent l'inceste et n'hésitent pas à droguer le pauvre voyageur afin de tenter de dévorer sa compagne ! Comble du ridicule, lorsque le professeur vient à la rescousse de Shirley en les frappant avec une feuille de palmier, ils découvrent les joies du sadomasochisme et se mettent à s'auto-flageller ! Le bel Apollon sur son voilier ne vaut pas mieux : il drogue lui aussi Leviticus dans le seul but d'abuser sexuellement de la belle langouste ! Quant aux participants à l'orgie finale, possédés par la sorcière Fongawitch, ils sont, comme les Yahoos de Swift, des humains dégénérés qui ne pensent qu'à s'adonner à la fornication sous toutes ses formes sans distinction de sexe.

Même si les rares critiques que l'on peut trouver aujourd'hui le qualifient généralement de "consternant", Sweet Love est donc un film exceptionnel et une réussite cinématographique totale qui constitue également un précieux document sur le cinéma "underground" américain du début des années 70 et les prémices du porno.

 

 

L'avant première de Sweet Love (et de "The Healers") aura lieu en décembre 1972 au deuxième Festival du Film Erotique de New-York. Il sera ensuite distribué par Alexander Beck du groupe Screencom International et obtiendra étrangement plus de succès dans les drive-in que dans le circuit des films pornos... Sa diffusion restera néanmoins confidentielle, jusqu'à ce que Beck le présente dans le cadre du Festival de Cannes en 1973. C'est le réalisateur et producteur Henry Zaphiratos avec sa firme Thanos Films qui va acquérir les droits de distribution en France et de ventes pour l'Italie, l'Allemagne, l'Autriche, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Japon, l'Océanie française, les Antilles françaises, Haïti, l'Afrique française du Nord et l'Afrique francophone !

Dans une interview donnée en 2010 à la revue italienne de cinéma "Nocturno", Henry Zaphiratos se souvient : "Je me jetais sur ce qui me plaisait espérant qu'il plaise au grand public. En dehors de quelques films de série B, pleins de charme et d'ardeur, j'aimais beaucoup un film farfelu sur une histoire folle d'une langouste qui se transformait en une ravissante jeune femme. L'auteur-acteur s'appelait Eduardo Cemano, et son film : Fongaluli. Je n'ai jamais su ce que cela voulait dire, mais j’en changeai le titre et l'appelai Sweet Love. Le public parisien l'aima autant que moi, la province, probablement rebutée par le titre anglais, moins."

Cemano révéla plus tard que le terme Fongaluli est une déformation volontaire de l'insulte "Vaffanculo !" qu'un de ses amis italiens utilisait fréquemment...

 

A Paris, Sweet Love fut projeté en novembre 1974 à l'Elysée Lincoln (8ème), au Jean Renoir (9ème) et en VO au Studio Saint Germain (5ème). Des publicités d'époque indiquent qu'il totalisa rapidement plus de 100 000 entrées, battant le record de recettes en première semaine, resta à l'affiche plus de 4 mois et rapporta plus de 300 000 dollars de recettes... Selon les chiffres officiels, il réunit 234 860 spectateurs sur l'ensemble du territoire français. Ce succès fait encore aujourd'hui la fierté de Cemano, surnommé alors "le nouveau (sic) Woody Allen du sexe" de ce côté-ci de l'Atlantique...

La redoutable Commission de Censure se montra même particulièrement indulgente, considérant que "le cadre et l'esprit dans lesquels la plupart de ces éléments se trouvaient rassemblés et exprimés, l'absence de bassesse ou de sordide explicité dans la formulation et certains moments marqués d'un souci d'expression plastique et artistique scrupuleux, distinguaient cette bande du commun des films pornographiques commerciaux et devaient conduire à ce que la vue n'en fût pas refusée à un public adulte et capable à la fois de la comprendre et de s'en défendre" !

 

 

Dans La Saison cinématographique 75, André Cornand se pose plusieurs questions pertinentes, comme celle concernant le message moralisateur sous-jacent, sans toutefois se prononcer : "On devine sous la loufoquerie et le burlesque, une foule de références et d'allusions. Sont-elles là pour atteindre un but bien précis ou simplement sans aucune signification, pour provoquer la réflexion -creuse- des spécialistes ? Quoi qu'il en soit, il y a un professeur juif, un charlatan arabe (...), des allusions au ciel, à l'enfer. (...) L'autorisation de sortie a été donnée en raison de la qualité formelle, esthétique, poétique (...) N'est-ce pas une nouvelle hypocrisie ? Ne s'agit-il pas d'un film très chrétien ? Car, au fond, toutes les orgies sexuelles apparaissent comme sales, dégoûtantes, bestiales sauf la scène d'amour sur le bateau entre Shirley et le marin - qui est désigné comme Dieu. Bizarre, non ? Quant à la dernière partouze, la plus repoussante, elle se déroule en enfer. (...) S'agit-il d'une dénonciation du déferlement actuel de sexualité et de pornographie ou tout simplement d'une volonté délibérée de salir toutes relations sexuelles ? Le film est ambigu. On en retiendra l'art magistral du réalisateur dans le mélange de fantastique et de loufoquerie poétique."

Pour la petite histoire, dans "Exhibition 2" de Jean-François Davy, Sylvia Bourdon évoque le film de Cemano lorsqu'elle aperçoit d'énormes langoustes dans un restaurant : "Tu as vu le film Sweet Love ? Tu vois, les langoustes qui baisaient et tout... C'est extra, non ? Tu t'imagines qu'on puisse se transformer en langouste ?" Bref...

Sweet Love connaîtra également une belle carrière au Canada sous le titre Fongaluli, le pétale de l'amour.

 

 

 

Quelques années plus tard, Henry Zaphiratos édita Sweet Love en VHS sur son label Vidéo Marketing. Les droits furent également cédés à l'éditeur belge Vidéobox en 1981. Inutile de préciser que ces deux VHS sont quasi introuvables... La jaquette de la Vidéobox indique fièrement "Version sans coupures", ce qui peut prêter à sourire, car non seulement le métrage est incomplet (65 minutes au lieu de 93) mais surtout il est truffé de coupures plus ou moins longues qui rendent certains passages incompréhensibles. La Vidéo Marketing est quant à elle plus complète (il manque quand même quelques scènes qu'on trouve en revanche sur la Vidéobox) mais elle contient elle aussi de nombreuses micro coupures et deux bobines au moins ont été inversées au montage, si bien qu'on a parfois bien du mal à suivre l'intrigue...

 

 

A l'heure actuelle, on peut facilement trouver un double DVD, sorti aux USA chez After Hours Cinema, intitulé "Eduardo Cemano's Sexual Healing Trilogy" qui contient "The Healers", "Madame Zenobia" et Fongaluli/Sweet Love. L'éditeur propose une version plus courte que celle jadis éditée aux USA en VHS, dans un format légèrement recadré en 1.66 (le film a été tourné en 1.33). La jaquette indique qu'il a été restauré "à partir des seuls éléments existants", c'est-à-dire une copie vidéo, il ne faut donc pas s'attendre à des miracles...

Par rapport au DVD américain, la VF est identique à la version de la VHS américaine. Elle contient une courte scène supplémentaire et les scènes érotiques sont plus longues et parfois constituées de plans totalement différents...

Au dernières nouvelles, Henry Zaphiratos (86 ans cette année) possède encore tout le matériel original de Sweet Love... Avis aux éventuels éditeurs !

 

 

Valor



En rapport avec le film :


# Site officiel d'Eduardo Cemano

# Commander le DVD "Eduardo Cemano's Sexual Healing Trilogy" chez Sin'Art

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