En 106 apr. J.-C., alors que Sarmizegetusa (ce n'est pas un exercice de diction), la capitale de la Dacie, est prise d'assaut par les légions romaines, Decebale, le roi des Daces parvient à s'enfuir avec quelques fidèles dont le farouche Gerula. L'empereur Trajan charge son général Tiberius de capturer le souverain vaincu ou de ramener sa tête. Decebale, cerné par les troupes romaines se suicide et Tiberius décapite le cadavre du défunt monarque sous le regard courroucé d'un Gerula captif. Peu après, Gerula parvient à échapper aux Romains en sautant dans un précipice. De retour à Sarmizegetusa (ce n'est toujours pas un exercice de diction), Tiberius est chargé par l'empereur Trajan, sur le point de rentrer à Rome, d'aller bâtir un fort à l'extrémité septentrionale de la nouvelle conquête et d'y établir une garnison avec ses troupes. De son côté, Gerula, qui, contre toute attente (sauf celle du scénariste), a survécu, rejoint le campement de ce qui reste de Daces insoumis, dont le petit-fils de Decebale (un chiard d'une dizaine d'années) et la parente d'icelui (à quel degré on ne le saura jamais) la belle Andrada (quel nom magnifique)...
Un film sur un monument antique voilà qui est original et... ah non en fait... alors un film sur la dernière guerre dacique, qui ferait donc pendant à Les guerriers ("Dacii" 1966) de Nicolaescu (sur la première guerre dacique), pourquoi pas, et... non plus ? Quoi alors ? Une allégorie sur la naissance de la nation roumaine, à travers la construction d'une "municipe" en Dacie fraichement romanisée ? Oui je sais, niveau souffle épique, ça le fait beaucoup moins. Bon, je ne vais pas vous mentir : c'est long (2h13 mais ça en paraît beaucoup plus), c'est lent, toutes les (rares) scènes d'action sont foirées, et pourtant c'est loin d'être inintéressant, essentiellement grâce au thème du film et au jeu des acteurs.
Notons que ce métrage a été étrangement découpé, pour sa sortie roumaine, en deux parties de respectivement 1h33 et 40', qu'il existe une version d'exploitation anglaise de 93' (alors qu'en Allemagne et en Italie c'est bien la version intégrale, mais en une seule partie qui a été projetée) et selon l'historien helvète Hervé Dumont, il serait sorti en suisse sous forme de feuilleton télévisé. Le titre étrange (surtout compte tenu du contenu réel du métrage) fait évidemment référence à la colonne Trajane, transcription dans la pierre des guerres daciques de l'empereur Trajan et dont la place dans l'imaginaire roumain est comparable pour les Français à celle d'un autre monument antique (littéraire celui-là) "La guerre des Gaules" de Jules César.
La genèse du présent film est totalement liée à celle du précédent représentant du péplum dacique, Les guerriers ("Dacii" 1966), film à la fois hautement spectaculaire (où la très abondante figuration, fournie gracieusement par le ministère de la défense, est particulièrement bien utilisée) et très bis dans son scénario (sacrifice humain, décimation, parfum d'inceste, rebondissement feuilletonesque). Malgré le grand succès public et "artistique" de Dacii, cet aspect bis qui, aux yeux de votre serviteur rend le film hautement sympathique, va déplaire en haut lieu. On reprochera à Sergiu Nicolaescu et Titus Popovici, qui pourtant n'avaient pas lésiné sur le patriotisme et la bravoure des protagonistes de leur film, d'avoir dépeint les Daces comme des barbares superstitieux et d'avoir donné une image trop négative des légions romaines. Rappelons d'ailleurs que la thèse officielle à l'époque, répétée comme un mantra dans Stefan cel Mare - Vaslui 1475 par le héros éponyme, Stefan cel Mare lui-même donc qui, dans le film, est un avatar du "Ceaucescien" génie des Carpates, fait des Roumains les descendants à parts égales des Romains et des Daces.
Les guerriers fut par contre très apprécié, en tout cas les scènes spectaculaires du film, par Artur Brauner, le dirigeant de la CCC, mythique maison de production allemande, qui après le gros succès de son remake des Nibelungen envisageait l'adaptation d'un classique de la littérature d'aventure germanique, "Kampf um Rom" ("Pour la conquête de Rome"), sur la fin du royaume ostrogothique d'Italie. Brauner vit surtout l'avantage d'un partenariat avec les studios roumains et la possibilité de réutiliser les décors, les équipes techniques et l'abondante figuration de Dacii à moindre frais, surtout comparé à un tournage allemand ou italien. Les Roumains eux, virent l'opportunité, parallèlement à la mise en chantier de "Kampf um Rom", de faire cofinancer un film présentant une version du conflit romano-dace plus en accord avec la vision historique officielle. Ainsi donc naquit Columna à la fois en réaction à Dacii, dont il constitue une fausse suite, et en préalable (voire en bonus) à la coproduction de "Kampf um Rom". L'accord signé entre les Roumains et la CCC impliquait que les deux acteurs principaux soient "occidentaux" d'où la présence au générique de Richard Johnson et Antonella Lualdi, mais aussi d'Amedeo Nazzari en Empereur Trajan (qui n'apparaît en fait que quelques minutes au début du film) et, dans un rôle quasi muet, de Franco Interlenghi, l'époux d'Antonella Lualdi à la ville, imposé par cette dernière pour qu'il puisse l'accompagner en Roumanie.
Malgré son cosmopolitisme assez artificiel qui voit des Roumains (le blond Florin Piersic entre autres) jouer des légionnaires romains et une Italienne à la beauté sophistiquée (qui plus est une synthèse de l'Empire romain à elle seule, puisque Antonella Lualdi est d'origine gréco-libanaise par sa mère) dans le rôle d'une princesse Dace en exil, l'interprétation est sans conteste le point fort du film. Convenons que, nonobstant toutes ses limitations techniques, Mircea Drăgan était un excellent directeur d'acteurs, pour preuve, le très limité et mono expressif Ilarion Ciobanu, est ici remarquablement utilisé et offre la meilleure prestation de toute sa carrière. Par ailleurs, le scénario, signé de l'inévitable Titus Popovici est aux antipodes de ses collaborations avec Nicolaescu, c'est-à-dire peu spectaculaire mais historiquement "réaliste" et anti-manichéen.
A côté de cela, il faut bien dire que les scènes "d'action" sont particulièrement mal filmées, la caméra étant alors saisie de mouvements spasmodiques rappelant une crise d'épilepsie, sans compter les surimpressions d'images malvenues et quelques filtres colorés malheureux. D'ailleurs, la photo est assez laide et, pour les rares scènes de guerre, à aucun moment on ne se rend compte que 6000 figurants (dont mille cavaliers) ont été utilisés. Enfin, les envahisseurs barbares (non identifiés) catalyseurs de la fusion romano-dace, sont grimés comme les "hommes sauvages" des fêtes traditionnelles carpatiques, ce qui peut paraître impressionnant lors des premiers contacts mais va vite devenir ridicule dans les scènes de combat.
Columna sera un gros succès en Roumanie avec plus de 10 millions de spectateurs, soit 3 de moins quand même que Les guerriers.
Sigtuna