Vincent
Genre: Animation
Année: 1982
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Tim Burton
Casting:
Avec la voix de Vincent Price.
 

Première oeuvre de Tim Burton. Nous sommes en 1982 et le bonhomme, alors employé par Disney, souhaitait passer à la réalisation. Disney, intéressé par voir ce que pourrait donner l'animation autre que sous forme de dessins animés, autorisa Burton à faire ce court-métrage. Durée : 6 minutes.
Première chose qui frappe : Burton n'a pas la mentalité Disney. Son court-métrage, même si retraçant l'histoire d'un enfant, est tout sauf joyeux et consensuel. Et bien plus profond que n'importe quel produit pour gosse. Burton nous fait en effet le récit de Vincent, un petit garçon différent, fan d'horreur, qui vit dans son monde macabre, entre les films de Vincent Price et les écrits d'Edgar Poe. Il occupe son temps libre en conséquence, et malgré la désapprobation de sa mère.
Nous sommes clairement ici en face d'un film d'auteur, d'une autobiographie. Vincent n'est nul autre que Tim Burton enfant. Un Tim Burton que l'on sait aussi grand fan de Vincent Price et d'horreur gothique, non dépourvu d'un humour naïf, enfantin, sans pour autant verser dans la débilité. Une grande subtilité marque en effet l’œuvre de Burton. Et pas uniquement Vincent, mais aussi toute sa carrière. Une fascination pour le gothique qui ne tombe pas dans l'excès de noirceur. Une poésie constante qui ne verse pas dans la niaiserie. Un côté enfantin qui ne verse pas dans la débilité. Un équilibre permanent qui font que Burton est un cinéaste à part, qui ne tombe jamais dans l'excès ou la facilité. Il se permet même d'inclure à ses oeuvres une charge sociale, souvent encore une fois en finesse, mais bel et bien présente. Bref, il refuse d'être assimilé à une émulation de Disney.

 

 

Pour en revenir à Vincent, et bien tout d'abord l'aspect principal de son autobiographie tient dans l'hommage vibrant et non dépourvu d'autodérision rendu à sa jeunesse. La voix off, la seule que l'on entend du métrage, est celle de Vincent Price, l'idole que Burton put enfin rencontrer pour les besoins de son film. Une voix sépulcrale, totalement en adéquation avec l'esthétique sombre et expressionniste des images.
Plus qu'une réelle vision du monde, il s'agit avant tout d'une perception. Celle du jeune Vincent (donc de l'enfant Tim Burton). Une vision déformée selon l'influence qu'exerce le genre fantastique sur lui. Son monde se résume uniquement à ce style gothique et surnaturel. La réalité n'a pas d'emprise sur lui.
Alors bien sûr, cela va poser problème. Une telle vision idéalisée ne peut aller de paire avec une vie sociale normale. Dès lors, tout prend figure d'élément oppressif. La mère de Vincent, notamment, qui vient contrecarrer ses activités artistiques et scientifiques macabres en lui rappelant qu'il doit être un petit garçon modèle. Un petit garçon qui se doit d'être façonné, donc. Car Burton, dès sa première réalisation, au sein de Disney, dans un court-métrage de 6 minutes et tout en évoquant son enfance, trouve le moyen de porter une charge agressive envers une société banalisée, où toute forme de marginalité se doit d'être combattue, et ce dès l'enfance. Une société pour qui un petit garçon a un rôle bien précis à tenir, de même que sa famille qui l'entoure. La mère de Vincent, sa tante... ces personnages sont des caricatures d'adultes, des adultes qui font ce que la société attend d'eux qu'ils fassent.
Vincent, avec les yeux naïfs de l'enfance, les voit donc comme des figures d'oppression, comme Vincent Price ou Edgar Poe pouvaient créer des personnages oppressés par la destinée. Mais quand on regarde le court-métrage avec des yeux plus critiques, on découvre que Burton a doublé la vision de son personnage principal d'une vision sociale agressive, où l'enfance et l'éducation sont vues comme le point de départ d'un processus d'homogénéisation de l'individu.
Mais Burton ne prône pas pour autant la révolution ni l'anarchie. Il ne fait que constater cet état de fait, sans dire qu'il faut se rebeller. D'ailleurs son personnage finira par se laisser faire... et mourir. Mourir certainement dans son imagination, certes, mais mourir quand même. Histoire de démontrer que toute tentative de marginalité est appelée à l'échec, pressée qu'elle est par les normes sociales. La marginalité n'est pas montrée comme un mode de vie que l'on doit substituer à la normalité, mais plus comme un état d'esprit. Après tout, la marginalité, c'est cela, la vraie normalité. C'est laisser libre court à son vrai comportement. Tandis que rejoindre la norme sociale, si cela est fait en étant victime de pressions extérieures, n'est pas un élément naturel. C'est une contrainte. Il faut donc ne pas être dans son état normal pour être considéré comme quelqu'un de normal. Burton appuie là sur un paradoxe et trace en 6 minutes une de ses thématiques majeures, aussi importante que ses délires visuels superbes, certes, mais qui sont un véhicule à son discours engagé.

 

 

C'est bien cette faculté de savoir allier une esthétique personnelle directement issue d'une passion artistique pour le morbide et le légendaire à un discours social élaboré (que l'on oublie trop souvent de mentionner quand l'on parle de l’œuvre de Burton) qui font de Burton un cinéaste majeur de notre époque. Car contrairement à beaucoup d'autres, il a su faire le mélange de l'identité visuelle et de l'engagement social, un engagement par ailleurs bien plus poussé que les soupes pseudo-subversives que l'on nous sert actuellement. Là où la majorité des réalisateurs ne savent pas marier les 2, Burton réussit sur toute la ligne. Sa carrière, parcourue de films superbes et engagés, a été initiée par Vincent, une oeuvre qui en 6 minutes enterre toutes les tentatives puantes et officiellement auteurisantes qui fleurissent de nos jours, ainsi qu'elle constitue l'embryon de toute la carrière alors naissante de Tim Burton. Lequel finira par quitter Disney, le studio ne jugeant pas sa vision artistique compatible avec la politique de la maison...

 

Note : 10/10

 

Walter Paisley
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