Eternité pour nous, L'
Titre original: Le cri de la chair
Genre: Drame
Année: 1961
Pays d'origine: France
Réalisateur: José Benazeraf
Casting:
Monique Just, Michel Lemoine, Sylvia Sorrente, Gisèle Gallois, Sophie Grimaldi...
Aka: Le cri de la chair / Sin on the beach/ Exercise on the beach
 

Un couple d'artistes se rend dans une auberge située au bord d'une plage, dans la région de Sète, après avoir obtenu un contrat d'un mois de la part de Maria, la propriétaire des lieux, pour la saison estivale. Lui, Jean-Claude, est un pianiste-compositeur en mal d'inspiration. Elle, Brigitte, est une chanteuse sans talent dont les formes affriolantes la destinent plutôt aux danses lascives et au striptease. Travaillent aussi dans l'établissement Paul, au bar, et Françoise, la serveuse. Et puis il y a enfin l'époux de Maria, un homme beaucoup plus âgé qu'elle, alité dans une chambre à l'étage, atteint d'un cancer incurable. La présence de cet homme aux portes de la mort ne va pas sans créer un malaise à tous les occupants des lieux. Jusqu'au jour de son décès, où la ronde des sentiments reprend vite le dessus, dans un jeu de séduction n'épargnant personne. Mais le mari de Maria est-il mort de sa maladie, ou l'a-t-on assassiné ?

 

 

"L'éternité pour nous" est le premier long métrage de José Benazeraf, adapté d'un roman de Georges-Jean Arnaud, écrivain prolifique connu des amateurs de littérature fantastique puisqu'il est l'auteur de la série "La compagnie des glaces". Tourné en 12 jours à Agde, dans une villa que possédaient des amis du cinéaste, le film fut rebaptisé "Le cri de la chair" par le distributeur, qui trouvait le premier titre trop "littéraire". Un changement commenté ainsi par le cinéaste : Si vous voulez… Et pourquoi pas "Les couilles de mon grand-père" !

Pour ce premier film, Benazeraf se voyait (déjà) confronté à de sérieux problèmes, car il n'avait pas obtenu l'accord de tourner de la part du Centre National du Cinéma (CNC). Or, en France, seul le CNC était à l'époque habilité à délivrer une licence aux réalisateurs. Résultat des courses, l'organisme refusa de sortir "L'éternité pour nous" lorsque celui-ci fut achevé. Un obstacle qui condamnait à mort le film et explique peut-être pourquoi Benazeraf a développé rapidement une haine viscérale envers certaines personnes du milieu. Néanmoins, le réalisateur ne se découragea pas, et réussit à vendre le film à l'étranger (Benazeraf était à la fois scénariste, réalisateur et producteur), notamment en Allemagne, en Belgique, et même au Japon. Le film obtînt un succès conséquent qui força le CNC à revenir sur sa décision, si bien que "L'éternité pour nous", tourné en 1961, finit par sortir dans les salles de cinéma françaises en février 1963.

 

 

Le film en lui-même est imprégné fortement du courant qui venait d'émerger à la fin des années 50, celui de la Nouvelle Vague. Difficile, en effet, de ne pas penser à Godard (n'oublions pas que José Benazeraf fit de la figuration dans "A bout de souffle") ou à Truffaut en visionnant "L'éternité pour nous". A la différence près que le cinéaste commence déjà à marquer de son empreinte sa passion pour les femmes, en leur donnant doublement le beau rôle. A travers les personnages de Maria, Brigitte et Françoise, l'auteur ne se contente pas d'insuffler un hymne à la beauté, mais fait de ses personnages féminins les rôles forts du film. Le sexe soit disant faible n'est pas celui qu'on croît. Entre les trois protagonistes principaux (Jean-Claude / Michel Lemoine, Maria / Monique Just, Brigitte / Sylvia Sorrente), c'est indéniablement Jean-Claude qui possède le caractère le moins trempé. Artiste en plein doute, en crise d'inspiration et d'identité, ses états d'âme finissent par mettre à mal sa virilité. Il subit son mal, contrairement à Maria, qui domine sa douleur, et à Brigitte, qui consciente de son manque de talent, parvient à surmonter sa médiocrité, et ce en toute absence de morale.

 


En dehors de Jean-Claude, incapable de retrouver la créativité, les autres personnages masculins du film ne sont pas mieux lotis, entre un homme vaincu par la maladie et un autre (Paul, le barman) dans l'impossibilité de conquérir Brigitte, trahi quant à lui par sa timidité (et une faible personnalité). Au-delà du désir, de l'amour qui touche chacun des protagonistes, José Benazeraf dresse également un portrait sans concession de l'individu face à l'échec. Un échec dans l'accomplissement d'un but à atteindre, qu'il s'agisse de composer, d'aimer, et même de tuer. Une peur de l'échec que seuls les personnages féminins auront su vaincre, en allant jusqu'au bout de leurs idées.

Dans un film intimiste, sans la moindre action, tout repose sur le jeu des acteurs. Michel Lemoine s'en tire bien dans son rôle d'artiste fragile et instable. Transfuge du cinéma classique, il tournera avec la plupart des réalisateurs ancrés dans le cinéma de genre : Benazeraf, donc, mais aussi Jess Franco, Jean-François Davy, Max Pécas et Jean-Marie Pallardy. Il fera parallèlement une belle carrière en Italie, avant de suivre une voie proche de Benazeraf, finalement, devenant à son tour réalisateur d'œuvres érotiques puis pornographiques. Chez les femmes, Monique Just et Gisèle Gallois ont peu tourné, mais elles étaient déjà réunies deux ans auparavant dans "J'irai cracher sur vos tombes", de Michel Gast, d'après le classique de Boris Vian. Enfin, on a pu voir Sylvia Sorrente dans "Le Jaguar" (Jess Franco) et "Danse Macabre" (Antonio Margheriti). Elle fut aussi la copine de Lino Ventura dans le fameux "Ne nous fâchons pas".

 

 

"L'éternité pour nous" risque d'ennuyer sérieusement ceux qui sont réfractaires au style "Nouvelle vague" des années 50/60. Peu de rythme, pas d'action, mais des phrases qui font parfois l'effet d'une gifle. Si l'une des héroïnes s'appelle Brigitte, ce n'est certainement pas un hasard. Benazeraf fait jouer Sylvia Sorrente comme la Bardot : mêmes intonations dans la voix, moue boudeuse, pour un rôle de fausse nunuche qui prend toute sa signification lorsqu'elle déclare : Du talent, j'en ai quand je suis nue ! En dehors de l'évolution des personnages dans leurs sentiments, des rapports amour / haine, l'intérêt du film réside dans le fait de savoir si quelqu'un a oui ou non euthanasié l'époux de Maria. Pour le reste, pas de surprise, on est partagé entre l'ennui et la nostalgie, sous les accords classiques de Pergolèse. "L'éternité pour nous" n'est pas encore le reflet de la personnalité de Benazeraf, mais plutôt un brouillon fortement imprégné des influences de la Nouvelle vague. Mais on s'aperçoit néanmoins que le cinéaste sait parfaitement tenir une caméra (voir l'ouverture sur les jambes de Sylvia Sorrente, faisant du stop au bord d'une route) et diriger ses acteurs. Il réussit à retranscrire la trivialité de la vie, ce qui, après tout, n'est pas donné à tout le monde.

 

Note : 6/10

 

Flint
 
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