A la fois écrivain, libertin et provocateur, Jaël de Kherdan a la particularité d'écrire des romans mettant sa vie en scène, mais lui-même ne semble plus savoir si cette vie est imaginée ou réelle, si quelqu'un le manipule ou pas ? Poursuivi par un homme dont il aurait déshonoré la soeur et cherchant à se faire oublier, il va fuir sans trop d'argent dans une ville qu'il ne connaît pas et va trouver un emploi de précepteur auprès d'un jeune homme de bonne famille, mais la maîtresse de maison semble avoir d'autre projet pour lui.

"Mémoire vagabonde" propose donc un héros à part pour une fantasy qui l'est tout autant, que ce soit pour la période qu'elle utilise, que pour l'histoire qu'elle raconte, renvoyant à une science-fiction dickienne où l'on joue avec la personnalité même du héros. En effet, son héros ne sait plus qui il est, celui qui raconte ou celui qui est raconté dans ses propres livres, ainsi de bretteur moyen, il devient l'excellent épéiste, comme si une autre personnalité s'emparer de lui ou bien tout simplement l'auteur de ses mémoires, celles qu'il écrit lui-même.
A la fois amnésique et manipulé par lui-même, Jael se pose des questions sur son passé, sur ce qu'il pense fuir et qu'il a peut-être occulté, de nombreuses histoires viendront s'ajouter à son passé et il devra donc découvrir la véritable : violeur, libertin, fratricide ou orphelin. Il ne sait même plus s'il peut faire confiance à ses propres romans, qu'il n'ose pas relire. En attendant, il ne pourra que douter de qui il est, de ce qu'il est, se soignant avec les femmes et l'alcool qu'il consomme à outrance
Pourtant, il va réussir à se trouver un poste de professeur auprès d'une famille bourgeoise, apprenant l'escrime et l'écriture au fils, devenant le chevalier servant de la maîtresse de maison, une veuve énigmatique, et découvrant une jeune femme fuyant le soleil qui lui brûle la peau, mais qui semble en savoir beaucoup sur Jaël. Ces personnes vont l'entraîner dans la petite Dvern où se trouve un royaume de pacotille où l'on joue et où l'on se drogue, faisant de Jaël un pion dans un jeu dangereux où il risque de se perdre un peu plus.
Dans ce monde de carnaval, au sens propre, il va donc devoir lutter pour ne pas se perdre, ne sachant plus où se situe la réalité et ou se situe le rêve, le monde devenant floue à l'instar de sa mémoire. Laurent Kloetzer joue ainsi autant avec son personnage qu'avec le lecteur, puisque peu de choses semble vraiment tangible, comme lorsque Jael raconte l'un de ses duels, sans qu'on sache lequel écrit et lequel a combattu. Du moins, si on estime qu'il y a deux Jael et qu'il a des moyens de les différencier.
Ce roman va utiliser à sa manière certains codes la fantasy, comme celui de la quête qui devient ici celle de la recherche de sa personnalité et qui va tomber sur un royaume où règne un despote grâce à de la drogue. De ce mélange naît donc un roman de fantasy étonnant, proche de la SF également, jouant avec le concept même de personnalité et de sa construction à travers une personnalité justement déconstruite et manipulée, d'un personnage qui se perd autant dans ses souvenirs que dans ses fantasmes.

"Mémoire vagabonde"  nous fait suivre les aventures de ce personnage qui semble autant victime que bourreau et que l'on retrouvera dans "Petites Morts" où il se cherchera encore plus, qui amènera de nouveau doutes sur la nature du personnage. Les deux ouvrages proposent donc le même univers, la même renaissance décadente. Laurent Kloetzer signe donc avec ce diptyque une littérature cherchant à faire tomber les barrières entre les genres,entre la sf et la fantasy, utilisant les codes de l'un et de l'autre pour raconter l'histoire d'un héros à la double personnalité.     

Note : 8/10

 

Stegg

 

A propos de ce livre :

 

- Site de l'auteur : http://lependu.blogspot.fr/

- Site de l'éditeur : http://www.mnemos.com/