Odyssées Aveugles
Titre original: The Time-Lapsed Man and other stories
Genre: Recueils de nouvelles , Science-fiction
Année: 1998
Pays d'origine: Angleterre
Editeur: DLM éditions
Auteur: Eric Brown
Traducteur:
Sylvie Denis
 

Pour être tout à fait franche, je ne connaissais absolument pas Eric Brown lorsque je me suis procurée ce petit recueil de nouvelles. Je me suis dit : "hum, c'est court, c'est de la SF, bon je vais bien voir et au pire, se sera vite lu..." Et bien que soit grandement remercié le jour où l'idée m'est venue de lire Odyssées Aveugles car sinon, je serais vraiment passée à côté de quelque chose...
Ce recueil d'un auteur malheureusement très peu connu en France est en effet très vite lu. Et c'est bien dommage, car on aimerait vraiment savourer un peu plus longtemps cette plongée dans une science-fiction intelligente et passionnante que nous offre Eric Brown au fil de seulement quatre nouvelles (heureusement assez longues) qui ne vous feront pas lâcher le livre avant qu'il ne soit fini ! L'auteur nous propulse dans un univers où les voyages interstellaires sont monnaie courante et où certains hommes, nommés des Propulseurs, guident par l'esprit leurs vaisseaux dans le nada-continuum. Il y a aussi des androïdes, d'étranges maladies qui vous consument (au sens propre du terme !) ou encore des artistes du futur d'un genre totalement nouveau qui peuvent imprimer leurs sentiments sur des hologrammes. Des thèmes parfois déjà connus mais qu'Eric Brown renouvelle avec talent en proposant cette fois non pas de s'attacher à l'action (quoique certains passages soient vraiment palpitants) mais essentiellement à l'intériorité des personnages.

Prenant comme postulat une société hyper technologique (implants, voyages stellaires, armes inconnues, etc) Eric Brown va s'intéresser tout particulièrement aux rapports entre l'homme et la technologie, la manière dont il se trouve façonné et fasciné par son environnement, la drogue que peut constituer le navigation dans le nada-continuum, le rapport à la famille et à l'être aimé, la présence de la mort et la manière dont on a réussi à évacuer la plupart de ses menaces. Dans Mourir pour l'art - et vivre, les maladies (qui seront détruites en un clin d'oeil à la moindre menace) s'exhibent par exemple comme la marque du plus haut snobisme : tumeurs cancéreuses exhibées, visages rongés par l'herpès radioactifs, mutilations, le corps devient une bête de foire que l'on exhibe dans toute sa laideur, sachant qu'un seul coup de bistouri remettra de l'ordre dans tout cela dès que se sera souhaité. Les hommes se refusent ici à l'amour réel et se confrontent à la solitude et à l'ivresse illusoire de l'infini.
Dans L'Homme Décalé, un texte par ailleurs excellent, un Propulseur s'est refusé à l'amour d'une femme pour continuer à naviguer comme dans le nada-continuum et continuer à connaître l'extase que cet état provoque. Mais ce bonheur n'est qu'une illusion éphémère car quand un dysfonctionnement provoquera un décalage irrémédiable de tous ses sens, Thorn ne pourra pourtant plus s'en remettre qu'à ceux qu'il a abandonné. Imaginez : vous n'entendez plus rien et les sons que votre cerveau a pourtant enregistrés, vous ne les entendez que plusieurs heures plus tard. Idem pour la vision, l'odorat et le goût. Vous êtes plongés dans l'obscurité et le silence le plus complet et la vision de ce que vous avez pu voir, les sons, les odeurs, ne vous parviennent qu'en décalé, comme une bande son qui ne serait plus ajustée à ce que vous vivez. Un véritable enfer...
Mais l'enfer, c'est aussi celui de la culpabilité. La culpabilité de cet homme qui est le seul survivant d'un vaisseau qui a été détruit lors de l'explosion d'une Nova (Mourir pour l'art - et vivre). Atrocement mutilé et défiguré mais en vie, tandis que sa compagne à péri ainsi que tous ses amis. Il y eut une voix de trop dans le vote décisif : la sienne. Alors cet homme fabrique désormais des oeuvres d'art où il imprime ce qu'il ressent pour faire passer le souvenir de l'accident, faire vivre la mémoire de ses compagnons et transmettre son mal être. Un texte très cruel, parfois un peu "thrash" mais aussi très beau et très poignant.
Mais il y a aussi du Rififi au Grenier : sous ce nom un peu ridicule qui fait penser à de vieux polars style SAS, se cache une perle de nouvelle, cynique à souhait : un tueur dégomme au laser tous les touristes, enfants compris, dans un Disneyland. Une jeune télépathe Tutsi va donc devoir éliminer le fou furieux en compagnie d'une autre jeune femme. Va s'ensuivre une course poursuite haletante dans l'enfer mielleux d'un parc d'attraction, les deux héroïnes étant obligées d'être accoutrées en Minnie et Mickey Mouse et dans l'obligation de se dandiner pour passer inaperçue. La critique de la société de consommation et des "waltdisneyseries" est jubilatoire et en plus, diablement intelligente. Un Walt Disney en personne ressuscité pour assassiner des gosses, il fallait y penser... Chapeau pour cette nouvelle extrêmement originale et vraiment saisissante ! Elle fait froid dans le dos...
J'espère vous avoir convaincu : ce recueil est une véritable perle. Malgré une couverture vraiment repoussante toute en tons psychédéliques orangés (on se demande vraiment parfois à quoi pensent les éditeurs car rien que pour ça j'ai failli ne pas prendre le livre), Odyssées Aveugles recèle des trésors d'inventivité et de talent. Donc arrêtons là les préjugés et passons la couverture de manière à découvrir un grand auteur que l'on se doit de connaître et qui mérite sa place dans l'horizon de la science-fiction contemporaine. Ce recueil m'a vraiment mis une claque et j'espère avoir l'occasion de lire autre chose d'Eric Brown. Alors foncez si vous aimez la bonne SF vraiment dépaysante et originale, vous ne serez pas déçus !

Note : 8,5/10

Chaperon Rouge

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