Quand Finstern, Seigneur Unseelie immortel de la Cour d'Ombre du royaume de Féerie rencontre les Parques, les trois déesses tisseuses du destin, elles lui promettent deux choses : L'amour pour celui dont le coeur était jusque là demeuré clos à tout sentiment et le reniement. Par trois fois, Finstern devra se renier, mais aussi renier les siens et par trois fois celle à laquelle il sera lié par les liens indéfectibles de l'amour devra se renier pour lui.
Elle, se sera Angharad, fille d'une Dryade née du Printemps et de Frost, Seigneur du Verglas et fils de la toute puissante Reine des Neiges. Mais pour donner naissance à un enfant, les fées nécessitent l'intervention d'un mortel. Alors la Dryade prendra la vie de l'un d'entres eux pour donner naissance à une fille, fruit de l'amour entre l'Hiver éternel et le Printemps, une enfant à la dureté de la glace et à la douceur de la reverdie. Mais la vieille mère du mortel dont la semence a été prise au prix de sa vie appliquera par vengeance la terrible loi du talion à l'égard des fées coupables : "Ton enfant pour mon enfant, et ma vengeance est consommée."
Mais la petite ne sera pas tuée, elle sera seulement perdue pour ses parents. Et seul l'intercession de la Reine des Neiges donnera à l'enfant une unique chance de se retrouver et de regagner ses racines merveilleuses ainsi que le destin exceptionnel qui lui est promis : trois échardes de glace, les larmes de Frost, plantées dans son coeur. A chaque larme fondue, Angharad se rapprochera un peu plus de sa nature et de son amour, celui, éternel et profond comme seules le savent les créatures de Féerie, qu'elle portera à Finstern, le seigneur maudit.
Et c'est un destin jonché de nombreux obstacles, d'élans avortés et de rencontres manquées qu'Angharad, la belle et énigmatique jeune femme aux yeux et aux cheveux de glace et au coeur emplis de chaleur, et le superbe Finstern, débordé par ces sentiments nouveaux que sont l'amour et la passion, devront affronter afin d'être réunis, ou du moins se reconnaître.
Fantastique roman de fantasy plein de magie, de poésie et de merveilleux, la Sève et le Givre est avant tout un splendide hommage au genre. Dans un style et une narration fondés sur la dualité et l'affrontement des contraires tels que l'ombre et la lumière, les forces du printemps et celles de l'hiver, mais aussi le Bien et le Mal, Léa Silhol croise et dénoue toute une tradition de légendes, de mythes et de contes merveilleux afin de créer un univers à la fois dense et poétique.
Dense et poétique comme l'est d'ailleurs le style de l'auteure, plein d'emphase et d'amplitude, forgé par l'accumulation d'adjectifs et à grand renfort de termes alternant entre complexité et légèreté. Certains lecteurs pourront être déroutés, voire ennuyés par cette prose toute en précision, ciselée comme un véritable joyau, mais cela fait aussi partie de la beauté et de la force de cette oeuvre somptueuse et extrêmement sophistiquée.
Tout y est : la force et la grandeur des sentiments, l'incroyable beauté et profondeur des personnages, pleins de failles et de fissures comme les aime leur auteure. Je vous renvoie d'ailleurs en cela au magnifique recueil de nouvelles, les contes de la Tisseuse, contes de fées, contes de failles publié aussi à l'Oxymore après les éditions Nestiveqnen.
Tous les écrits de Léa Silhol sont d'ailleurs publiés aux éditions de l'Oxymore, ce qui est chose logique puisqu'en plus d'être grande prêtresse de la fantasy contemporaine, Dame Silhol est aussi l'une des fondatrices des éditions de l'Oxymore avec plusieurs de ses comparses dont son époux, issus du Cercle des vampires. Actuellement directrice de publication, elle offre sa chance à de nombreux jeunes écrivains de l'imaginaire et participe ainsi à l'essor du genre ainsi qu'à l'émergence d'une talentueuse scène française dans le domaine du fantastique et de la fantasy.
Vous l'aurez donc compris malgré cette brève digression (bien qu'extrêmement importante pour parler de l'auteure) la Sève et le Givre est à lire absolument pour qui aime la fantasy et surtout pour qui aime rêver et se laisser bercer par les douces notes de son inconscient.
Peut-être la gente féminine sera-t-elle un peu plus encline à apprécier les amours tortueuses et passionnées d'Angharad et de Finstern et les descriptions enlevées du seigneur ténébreux, mais il serait extrêmement dommageable de limiter ce très beau roman à une simple romance. Car c'est aussi une formidable épopée pleine d'aventures, un univers de glace et de feu merveilleusement invoqué qui fait surgir devant nos yeux insatiables de splendides images que l'on souhaiterait ne jamais devoir laisser s'envoler...
Je ne vous en dirais donc pas plus et je me fais violence pour quitter ma plume en vous laissant une dernière piste : vous souvenez-vous de l'inoubliable conte de H.C. Andersen la Reine des neiges ? Alors ne vous lassez pas d'y promener à nouveau votre âme si le coeur vous en dit et peut-être, l'espace d'un instant, parviendrez-vous vous aussi à discerner le jeune Kay plongé dans son terrible jeu de glace au détour d'une salle du palais de glace de la reine des Neiges ou dans un recoin de vos souvenirs et de votre esprit...
Note : 9,5/10
Chaperon Rouge
A propos de ce livre :
- Prix Merlin 2003 - Meilleur roman de Fantasy et aussi nominé pour le Prix Rosny 2003 - Meilleur Roman de SF Francophone.
- Illustration de couverture par Ruby.