Pour un premier numéro, il faut bien dire ce qui est, c'est réussi et même parfaitement réussi.
Une très belle mise en page, ce qui n'est pas toujours le cas dans le petit monde du fanzinat, et un contenu plus qu'intéressant : trois nouvelles illustrées en noir et blanc, une BD, des chroniques de livres et de films et un dossier sur les contes de la crypte.
La première de couverture, en papier glacé et couleur, nous propose un petit jeu très drôle : retrouver le nom d'un personnage de fiction et l'auteur qui l'a créé. Ne comptez pas sur moi pour vous donner la solution. Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas si simple... Si vous le voulez bien, nous allons à présent plonger plus profondément dans le monde passionnant et varié que nous proposent les créateurs de ce très prometteur fanzine.
Le monde dans ses yeux
(Auteur : Xavier Dollo. Illustrateur : Vincent Minck)
Il faut bien l'avouer, cette nouvelle, située quelque part dans un monde moyenâgeux entre passé et futur, est dérangeante mais très intéressante. La vieille ère s'est écroulée et une nouvelle hiérarchie s'est installée, ou plutôt une sorte de tyrannie, froide, qui enlève les enfants les plus exceptionnellement intelligents à leurs parents pour les placer dans une école. Mais cette école, soi-disant formatrice d'une certaine élite, ressemble plus à une prison qu'à un lieu d'apprentissage. Jolène est l'une de ces enfants vivant sa triste éducation au sein de cette école où la vie s'écoule lentement jusqu'au jour où May fait son apparition.
Xavier Dollo nous plonge alors dans un univers mystérieux et trouble. Les pouvoirs de la jeune May pourraient bien être la clef d'un monde bien plus vaste et pourraient permettre à la Hiérarchie, système totalitaire et tyrannique, d'étendre son pouvoir en affinant sa connaissance du passé et du futur... Mais le destin en a décidé autrement et May, si elle ne peut sauver le monde, peut être pourra-t-elle sauver Jolène des griffes de Kupor Don, ignoble personnage que l'on peut aisément imaginer comme une sorte d'ambitieux et de pervers, sorte d'infâme (et encore le mot est faible) pédophile et tortionnaire.
Xavier Dollo nous dépeint donc ici, avec l'aisance du style et de la structure en plus (la fin de cette courte nouvelle est un véritable feu d'artifice, avec un suspens intenable), un monde dure et cruel mais dans lequel triomphent les sentiments d'amour et d'amitié.
Si l'auteur nous propose une nouvelle remplie d'humanité, autant qu'une sorte de brûlot envers une certaine forme d'éducation et envers certains personnages ignobles qui pourtant peuplent clandestinement notre monde de tous les jours, il nous propose aussi une oeuvre emplie de philosophie posant la question du savoir. Doit-on tout connaître ? Et si nous aussi nous possédions ce pouvoir de connaissance absolue, la faculté de connaître le passé et de prédire le futur, que ferions nous ? Quelle est la place de la connaissance et quelle est notre place dans ce monde vaste et cruel ?
Dit comme ça tout est très simple, mais se ne serait sans compter sur le talent de cet auteur qui arrive à grand renfort d'imagination à éviter les clichés fleur bleue et autres images bucoliques qui terniraient quelque peu cette histoire rondement bien menée. Cette nouvelle et son background pourraient d'ailleurs faire l'objet d'un roman entier tant son univers est complexe et parfaitement défini.
Un auteur à surveiller, fin connaisseur du monde de l'imaginaire puisque membre attitré du Jury des Imaginables, seul prix français entièrement consacré à la fantasy et à la SF. Le texte est accompagné par les dessins simples de Vincent Mink mais illustrant parfaitement l'univers de la nouvelle.
Route 49
(Auteur : Freddy Cash. Illustrateur : Vincent Partel)
A mon avis l'une des meilleurs nouvelle présentées ici. Route 49 possède tout l'art difficile de ses petits récits courts mais fabuleux où tout se tient d'un bloc et où l'auteur sait à la fois être captivant et étonnant.
Difficile de parler de cette nouvelle tant tout se tient d'un bloc et je risquerais fort de vous livrer la fin si je vous en parlais beaucoup plus. Tout commence comme un énième écrit sur les serials killers, ces personnages fascinants tant par l'horreur qu'ils nous inspirent que par ce qu'ils représentent aux yeux de la société. Un tueur donc, un type qui vole des bagnoles et sillonne les grandes routes américaines à la recherche de toujours plus de victimes qu'il viole et tue avec plaisir... Rien de nouveau sous le soleil du gore et du macabre, mais le talent de Freddy Cash va bien plus loin que ça... Et sur la route, même les pires des tueurs ne sont pas à l'abri des menaces les plus féroces.
Une nouvelle sacrément efficace, prenante et passionnante, le tout écrit dans un style très plaisant et simple, illustré superbement par Vincent Partel dont je reparle par la suite puisque ce brillant illustrateur est aussi dessinateur d'une BD publiée dans ces mêmes pages. Un régal...
Le paquet
(Auteur : Michel Rozenberg. Illustratrice : Gaelle Beerens)
Tout individu qui a vécu au moins une fois dans sa vie, ce que je ne souhaite à personne, la galère du chômage comprendra ce que ressent le narrateur de cette nouvelle. Quand il faut manger, peu importe le boulot, il est toujours bon à prendre.
Pourtant, peut-être que celui-ci serait à éviter, même en période de grande difficulté. Pourtant rien de bien compliqué, il s'agit de porter des cartons déjà emballés dans un horrible papier à fleurs.
Rien de difficile, juste un travail de manutention... Sauf que le contrat de travail doit être signé avec son propre sang, qu'il ne faut poser aucune question, qu'il ne faut rien dire de son activité. Alors notre narrateur accepte.
Mais que peuvent bien cacher ces inquiétants cartons ? Quelle est cette odeur de viande pourrie ? Et si c'était un piège ? Et si c'était sa propre vie, une prison à six faces, que le narrateur porte chaque jour à son nouveau travail ?
La nouvelle de Michel Rozenberg est un vrai bijou, un rubis à six faces, mélange d'étrange et de bizarre et l'auteur nous pousse, avec un insoutenable sentiment de claustrophobie, à reconsidérer nos vies et notre travail. Voilà une nouvelle intelligente, rondement menée et surtout savamment barrée. Un régal qui fait froid dans le dos, avec un style qui nous fait tout autant ressentir le malaise du personnage et ses interrogations que l'ambiance glauque et poisseuse qu'il découvre sur son lieu de travail. Un must... Encore une fois difficile d'en parler sans divulguer le moindre détail. Je vous laisse savourer ce petit joyau avec en plus des illustrations qui sont un régal pour les yeux...
Lady Lorelei
(Par Fataga et Vinz)
Un pulp sans une vamp, ne serait plus un pulp. Enfin...je crois... du moins c'est l'idée que je me fais de ce genre de publication. Une petite pin up ça ne fait de mal à personne (je vous conseille celle de la première page). Surtout quand elle ressemble étrangement à Betty Page où à ces femmes des années 40's comme Lauren Bacal dans Le grand sommeil. Allez, juste une...
Et bien justement c'est le sujet de cette BD très drôle et hommage aux femmes de ces années là . Jamais le nom de femme fatale n'a mieux été porté que par l'héroïne de cette petite BD plutôt légère et divertissante.
Clin d'oeil donc à la vamp et aussi à ces pauvres garçons prêts à se faire dévorer par une de ces femmes faciles que l'on retrouve dans les romans de Chandler par exemple... Et oui, être l'amant d'une de ces mantes religieuses n'est pas si simple que cela et l'on pourrait bien y perdre la vie... Retournements de situation, humour, hommages au cinéma noir, au cinéma d'horreur et au polar cette BD a tout pour plaire... aux femmes. Et oui messieurs, vous êtes prévenus, méfiez vous toujours d'elles, sous leurs apparats et leur beauté si délicate, il pourrait bien se cacher autre chose. Bien joué en tout cas, car l'héroïne de cette BD m'a bien bluffée et en fin de compte, c'est elle qui sort grandie de cette histoire...
Le dessin en noir et blanc de Vincent Partel dont nous avons déjà parlé plus haut montre tout le talent de cet illustrateur qui a su faire naître avec talent le visage d'une vamp, nous plongeant des années en arrière, hommage aux plus belles femmes du cinéma Hollywoodien. Le découpage est simple, clair et les amateurs apprécieront les citations et clins d'oeil à Boggart et Bacal tous deux acteurs du Grand sommeil et qui apparaissent ici au détour d'une bulle.
Cette BD est donc un ravissement pour l'oeil et un agréable moment de lecture.
Ce fanzine s'accompagne aussi de quelques critiques sur des ouvrages divers tel que le dernier Tim Burton ou bien le dernier tome sur les aventures de la jeunesse de Blue Berry, Dantec, ainsi qu'un dossier sur les contes de la crypte, série d'horreur et d'épouvante tout simplement géniale. Génial, j'ai dit génial ? Oui, Black Mamba est un fanzine génial, beau et bourré de talent. Je lui souhaite une longue vie et j'attends avec impatience le prochain numéro qui ne saurait tarder...
Le Cimmerien
A propos de ce livre :
- Publication Bimestrielle éditée par Les éditions Céléphaïs
72 Chemin des pécheurs -30900 Nîmes
Site Internet : blackmamba.fr