Quand je suis tombée sur ce livre j'ai été attirée par le quatrième de couverture qui est aussi la première page de la nouvelle : "Je suis un homme malade...Je suis un homme méchant. Je suis un homme déplaisant. Je crois que j'ai une maladie de foie. D'ailleurs je ne comprends absolument rien à ma maladie et ne sais pas au juste où j'ai mal. Je ne me soigne pas et ne me suis jamais soigné. Si je ne me soigne pas, c'est par pure méchanceté de ma part. Je sais très bien que ce ne sont pas les médecins que j'embête en refusant de me faire soigner. Je ne fais tort qu'à moi-même ; je le comprends mieux que quiconque. Et pourtant, c'est bien par méchanceté que je ne me soigne pas. J'ai mal au foie ! Tant mieux !!"
Il s'agit du monologue d'un ancien fonctionnaire, d'un homme qui, pour atteindre la pleine liberté n'a de cesse de s'isoler du monde et des hommes et de se faire haïr d'eux. Il va sans dire qu'une dimension autobiographique traverse la nouvelle.
Le héros sans nom, depuis son sous-sol, s'adresse au monde et à lui-même. Voici pour moi un de ses superbes maniaco-dépressifs comme Dostoïevski sut les inventer avant que Freud ne les mit à la mode.
On ne peut pas dire que l'auteur gâte son héros : méchant, imbécile, sans caractère... Cependant on s'y attache car on ne sait pas, du moins au début, dans quel genre d'histoire on s'embarque.
Mais il s'agit d'une introspection particulière qui se présente sous la forme du monologue précité.
On est happé par la franchise choquante mais aussi par la solitude de ce fonctionnaire qui déverse son mal-être (on pense à Kafka lorsqu'on tombe sur cette phrase: "Je vous le dis avec solennité: j'ai voulu devenir un insecte à de nombreuses reprises."). Ici l'ouvre la voie aux maîtres de la littérature contemporaine.
Il veut échapper à la conscience d'autrui et à tout ce qu'elle lui impose. Il s'attaque à la morale, à la logique, et nous dit sa méfiance pour les "palais de cristal", projets de tous ceux qui travaillent au bonheur d'autrui.
Il n'est question ici que de rêveries, non de rêves, et ces rêveries nous transportent dans un curieux domaine utopique et fantastique. Nous sommes en pleine illusion.
Cette nouvelle est souvent publiée avec une autre nouvelle du même auteur Les Nuits Blanches et elles se répondent à mon goût : Les Nuits Blanches attestent l'échec du Bien, Le Sous-sol va démontrer avec une puissance sans équivalent dans la littérature, la positivité du Mal.
La civilisation, loin d'adoucir les moeurs, exaspère au contraire ses penchants mauvais : "Le sang coule a flot, gaiement même, comme du champagne".
Pour Dostoïevski la réflexion de l'homme ne fonde pas sa grandeur mais seulement sa misère si ce n'est sa malédiction. Ainsi l'homme est voué au mal, mais il aime le mal qui se confond avec l'amour de soi.
Iseult
A propos de ce l'auteur :
- Né à Moscou en 1821 et décédé à Saint-Petersbourg en janvier 1881. Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski a vu sa mère souffrir dans la résignation et son père tué violemment. Il échappe à la peine capitale; en effet le tsar dont il voulait la mort le gracie et l'envoie en Sibérie purger quatre ans de bagne. Son oeuvre tourmentée, hantée par la recherche de l'authenticité, est un tableau réaliste du monde. Tant dans sa vie que dans son travail d'écriture, Dostoïevski a été aux prises avec une profonde inquiétude métaphysique, et habité par une foi ardente dans le Christ et le peuple russe. Sa carrière n'a cessé d'osciller entre exaltation et désillusion et ce n'est que très tardivement qu'il a été reconnu.