Cabot, Susan

 

Susan Cabot est peu connue en France, seulement des cinéphiles les plus avertis du cinéma fantastique. Elle a arrêté le métier d'actrice en 1959, et ses films les plus notoires ne sont pas exactement de grosses productions, et elle n'a aucune autre connexion artistique qui aurait pu la faire connaître du public français.
Pourtant, le talent et le destin peu communs de Susan Cabot méritent quelque peu que je vous la présente.

 



Née en 1929 à Boston, Susan Cabot eut une enfance instable puisqu'elle a déménagé huit fois.
Aussi, elle voulut s'émanciper et elle fut dessinatrice puis, pour améliorer un ordinaire difficile, elle devînt actrice de cabaret puis de théâtre.

 

Elle fut donc actrice à dix-huit ans, et sa beauté lui permit alors de travailler régulièrement en alternant des émissions télévisées puis des petits rôles au cinéma. Elle décrocha même un contrat avec Universal, les contrats étaient une garantie de tourner pour les acteurs et un mode de gestion courant des studios, et sa carrière fut lancée, sans qu'elle soit réellement devenue une star puisqu'elle renoua de temps en temps avec les séries télévisées.
Des productions qui nous sont désormais invisibles, puisque ce type de films survit difficilement par une exploitation durable.

 

Mais sa carrière nous est plus familière dès 1957, car elle travaille alors pour Roger Corman.
Roger Corman est le pape de la série B, il a su concevoir, produire et réaliser des petits films de genre qui s'inscrivirent dans la mouvance de ce qui fonctionnait alors, des genres variés tels que les films pour le public féminin, de guerre, policier et... d'horreur !

Roger Corman, incroyablement doué, savait alors s'entourer de jeunes talents aux potentiels énormes à qui il offrait une première chance, bien que très faiblement rémunérés.
Certains de ces films, bien que tournés en quinze jours pour la plupart, sont incroyablement captivants, bien que tout demeure réalisé à l'économie. Mais le talent de Roger Corman permet de faire la différence et ses films ne sont jamais ennuyeux.

 

Aussi, Susan Cabot tourne des films avec Roger Corman qui, cela fut la seule fois à ma connaissance, la prend sous contrat.
Ces films ne sont pas des chefs d'oeuvre, loin s'en faut, mais ils présentent tous une originalité, un intérêt voire une dynamique qui leur permet de se faire favorablement remarquer dans un océan de films du même calibre.

L'association Roger Corman/ Susan Cabot produit des étincelles, ce n'est désormais plus un mais deux talents majeurs qui servent ces petites productions.
Passons "Carnival Rock", film invisible en France, pour nous attarder sur "Sorority Girls".
Les Sorority Girls sont des étudiantes de facultés américaines qui vivent ensemble.
Susan Cabot joue Sabra Tanner, une adolescente mal dans sa peau qui va se révéler démoniaque à exploiter les souffrances de ses pairesses. Un film d'exploitation, c'est à dire un film destiné à exploiter un créneau, mais qui se permet d'être intelligent et qui esquisse même une intéressante étude de personnage, celui de la retors Susan Cabot, en l'occurrence.

 

Si le prégénérique annonce quelque peu des relents de sorcellerie, que l'on ne verra jamais (mais le film pourrait effectivement être l'origine d'une sorcière moderne), la performance de Susan Cabot est incroyable. Elle joue une collégienne alors qu'elle a trente ans passés, et l'illusion et crédible ! Son jeu demeure l'un des tous meilleurs que je n'ai jamais vu : elle est extrêmement convaincante et elle parvient à crédibiliser son personnage, prise entre ses tourments intérieurs, ses frustrations, qui choisira le mal pour finalement se trouver rejetée par toutes ses pairesses. Un film mineur, mais qui se trouve servi par un talent majeur.

Susan Cabot enchaîne dans un second rôle avec "Les Femmes vikings et le serpent de mer".
Un film assez insensé, plutôt original qui narre l'histoire des femmes d'une tribu viking partant à la rescousse de leurs maris ou compagnons, retenus prisonnier dans un royaume adverse séparé par une mer et... un serpent géant !
Encore moins de deux semaines de tournage pour Roger Corman, pas mal d'astuce et de dynamisme dans sa mise en scène, et ces Femmes vikings et le serpent de mer demeure un film agréable pour peu que l'on soit indulgent.

 

Susan Cabot tient le rôle de la traîtresse qui convoite un homme de sa tribu qui se trouve lié avec une autre. Elle tentera de manipuler son entourage comme ses adversaires et, sachant qu'elle ne l'aura jamais, elle décide de se sacrifier pour que sa tribu puisse regagner leur village.
Encore une prestation totalement réussie, alors que ce rôle demeure assez mutin, tout en retrait et servi avec finesse. Un second rôle et une seconde prestation très convaincante, que nous réserve encore Susan Cabot ?

 

Son film majeur demeure "Machine Gun Kelly".
Il raconte l'histoire de ce truand, Kelly, qui a la réputation de ne tuer qu'avec sa mitraillette.
En effet, malgré une attitude cyclothymique, il réalise un braquage, puis il tue des rivaux pour enfin se risquer à l'enlèvement d'une enfant.
"Machine Gun Kelly" élabore une caractérisation intéressante de ce tueur, tantôt prudent jusqu'à la lâcheté, tantôt remonté à bloc. Entre ces deux pendants très différents, se trouve son épouse, jouée donc par Susan, qui parvient à exercer sur lui un tel ascendant que le moineau se transforme en fauve.

"Machine Gun Kelly" permit à Charles Bronson de jouer dans "Les 7 mercenaires".
Ce fut son ticket d'entrée vers la gloire, mais Susan Cabot compose encore, avec talent et conviction, un nouveau rôle tout aussi différent des deux autres, celui d'une femme sans qui "Machine Gun Kelly" ne serait rien.

 

Ce fut Roger Corman qui, pour répondre à la demande de ses producteurs de l'A.I.P. (dont le "père" de Jack Nicholson) imagina l'histoire de ce film qui s'inspire d'une histoire vraie !
"Machine Gun Kelly" était le film qui a établi la réputation de Roger Corman, et ce avant son cycle d'Edgar Alan Poe.

 

Je vous renvoie d'ailleurs sur ce dossier remarquable de Roger Corman, écrit par Walter Paisley, l'un des plus complets jamais réalisés puisque, si l'on excepte les travaux de Stéphane Bourgoin, Roger Corman demeure assez peu connu en France. Ses films n'ont pas été beaucoup importés en France à part le cycle d'Edgar Poe ( célébré par l'austère Cahiers du Cinéma, pour qui le cinéma ne se conjuguait pas avec la distraction).

Susan Cabot n'a pas ce qu'on peut appeler, en cette année 1959, une carrière retentissante, ni même les portes d'Hollywood grandes ouvertes. Aussi, elle abandonne le cinéma pour mener sa destinée ailleurs. Notons que son talent est grand, réellement grand, et que sa capacité à intérioriser les rôles demeure peu égalée à ma connaissance.
C'est donc une Susan Cabot délivrée du cinéma qui construit sa vie mondaine.

 

Susan Cabot fut donc l'amie "intime" de Marlon Brando.
C'est assez amusant de constater qu'elle fut liée à Marlon Brando puisqu'il s'agit, en définitive, d'une paire de grands talents de leur temps, même si Marlon fut consacré alors que Susan ne le fut jamais.

 

Toujours est-il que la vie mondaine de Susan ne s'arrêta pas là, puisqu'elle fréquenta longuement un autre homme au rang assez élevé, le roi Hussein de Jordanie.
Hussein fut immensément riche et l'idylle dura quelques années. Elle prit cependant fin quand le roi apprit que la mère de Susan, de son vrai patronyme Shapiro, était juive.
Le roi Hussein déclara publiquement qu'il ne la connaissait pas, mais ils continuèrent à se voir secrètement, de même que la liaison entre Marlon et Susan continua.
Un fils naquit en 1964, Timothy , mais il fut atteint de nanisme. Nul ne sut d'ailleurs qui était le vrai père...

 

Toujours est-il que Susan Cabot refusa que son fils demeure un nain pour le restant de ses jours, et elle s'appliqua à ce qu'il teste tous les traitements, parfois même expérimentaux, pour qu'il ait une existence normale. Susan était elle-même petite, et elle a toujours pensé que ce défaut physique l'a empêché d'avoir la carrière qu'elle méritait.
Ce fut d'ailleurs le trait de caractère essentiel de Susan : une femme battante, qui a réussi à briller dans le cinéma, sa première carrière, puis dans la vie mondaine avec un succès différent.

 

Les années passèrent et Susan épousa finalement un acteur, Michael Romain, en 1968 soit quatre ans après la naissance de Timothy, qu'elle a eu à 37 ans. Mais des problèmes survinrent, on parle d'une personnalité très difficile pour Susan, et Michael divorce en 1982. On dit également que Brando autant que le roi Hussein continuèrent à soutenir financièrement Susan.
Mais elle a quitté ces deux mondes qui lui ont tant apporté, le cinéma et la vie mondaine, pour vivre seule avec son fils dans des rapports difficiles.

Aussi, le 10 décembre 1986, Timothy appela la police qui trouva morte Susan Cabot.
Timothy expliqua aux policiers qu'un latino habillé en Ninja était venu pour les cambrioler et qu'il n'aurait pu sauver sa mère. Cette version ne convainquit nullement les policiers et Timothy avoua : il avait lui-même tué sa mère.
Timothy, probablement handicapé par les traitements et vivant reclus avec sa mère, fut condamné à six années de prison.

 

Très triste destinée pour cette actrice de grand talent...
Mais un biopic fut envisagé il y a quelques années sous le nom de Black Rose.
L'actrice envisagée était Rose MacGowann, dont je n'ai apprécié aucun de ses films ou de ses prestations, l'actrice étant en outre un rien sulfureuse. Enfin, elle pourrait pour la première fois de sa carrière tenir un rôle en or, et rendre hommage à une si grande actrice dont le destin fut frappé par des malheurs à la hauteur de son talent...

 

 

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Filmographie sélective :

 

1950 - On the Isle of Samoa
1952 - Au mépris des lois (The Battle at Apache Pass)
1952 - Le fils d'Ali Baba
1953 - Gunsmoke
1954 - Chevauchée avec le diable
1957 - Carnival Rock
1957 - Sorority Girl
1957 - The Viking Women and the Sea Serpent
1958 - Fort Massacre
1958 - War of the Satellites
1958 - Mitraillette Kelly (Machine-Gun Kelly)
1959 - Surrender - Hell!
1959 - La Femme guêpe (The Wasp Woman)

 

Par Bastien (août 2010).