L'incroyable épopée du légendaire Sinbad le Marin. Pour délivrer une princesse du maléfice que lui a jeté un diabolique magicien (la malheureuse est devenue liliputienne), Sinbad devra affronter mille périls, combattre le terrible cyclope, terrasser un dragon, une armée de squelettes et bien d'autres créatures infernales...
Pas la peine de convoquer de petit génie, voici sans doute l'un des tous meilleurs Sinbad de l'histoire du cinéma (avec "Sinbad le marin" de Richard Wallace avec Douglas Fairbanks Jr, qu'on aurait tendance à oublier vu son âge). Soit, la mise en scène n'est pas la plus grande qualité du film et comme les autres opus de la série, celui-ci doit avant tout sa réussite au légendaire Ray Harryhausen et ses effets spéciaux pour le moins marquants. On n'y trouvera pas non plus un acteur extraordinaire campant le noble héros, et on aura le droit de trouver Kerwin Mathews bien pâlot, voire inexpressif. Un acteur dont la filmographie est d'ailleurs plutôt restreinte et dont finalement émergent ses collaborations avec Nathan Juran ("Jack et le tueur de géants" puis l'invisible et tardif "The Boy Who Cried Werewolf"), d'autres films d'aventures fantastiques comme "Les voyages de Gulliver", ainsi que quelques petits polars de série B pas trop mal fichus comme "Racket dans la couture" de Vincent Sherman ou encore la série des "OSS 117". De fait, on pourra presque regretter l'absence d'un acteur au charisme plus fort, car il demeure le maillon faible de cette aventure fantastique à bien des égards. On mentionnera en passant son décès récent, d'une crise cardiaque en 2007.
Pour rester dans le domaine de l'interprétation, ce qui n'est tout de même pas un détail pour concocter un bon film d'aventures complet, on mentionnera la présence de Kathryn Grant dans le rôle de la princesse rétrécie, actrice au joli minois mais pas plus conséquente pour autant même si elle s'acquitte avec dignité d'un rôle assez fonctionnel. On l'apercevra d'ailleurs l'année suivante dans le faiblard "1001 nuits" de Jack Kinney mais aussi à son top dans le formidable et très désabusé "Autopsie d'un meurtre" de Otto Preminger, ce qui me fait dire ici que Nathan Juran n'exploite peut-être pas tout le potentiel de ses acteurs, c'est bien dommage. Heureusement, une fois de plus, le méchant de service un brin cabotin et en roue libre vient relever le plat, épicer un peu l'ensemble parvenant à faire oublier la fadeur de ses partenaires. Avant Pedro Armendáriz dans "Captain Sinbad", Tom Baker dans "Le voyage fantastique de Sinbad" puis Margaret Whiting en sorcière maléfique dans "Sinbad et l'oeil du tigre", c'est Torin Thatcher qui s'y collât avec fougue, relançant l'intérêt à bien des reprises. (En passant je précise que Margaret Withing n'a jamais été mariée à Torin Thatcher, heureusement...). Pour boucler le dossier 'interprétation', disons tout simplement que celui qui s'en sortit le mieux fut à mon sens John Philip Law, tout en décontraction.
Qu'est-ce qui fait donc que ce Sinbad là demeure au dessus des autres me demanderez-vous ? Et bien tout d'abord si la mise en scène de Nathan Juran est sans génie (hormis celui qui campe prisonnier dans sa lampe au sein du film), elle reste classique mais habile et demeure plus inventive et somme toute bien supérieure à celles de Gordon Hessler, Byron Haskin ou Sam Wanamaker, auxquelles il manque du souffle, faisant parfois ressembler les spectacles à une successions d'étapes du Paris-Roubaix-Marakesh. On ne retrouve pas ici ce petit côté haché qui empêchera les spectacles de décoller pleinement. De même, par rapport au vieux briscard du genre qu'est Byron Haskin qui livrera un spectacle bien terne, la mise en scène se révèle bien plus harmonieuse et rythmée ici. Même si sa filmographie est remplie de sympathiques séries B fantastiques comme "La Chose qui surgit des ténèbres" (The deadly Mantis), "À des millions de kilomètres de la terre", "The Brain from Planet Arous", ou encore "L'Attaque de la femme de 50 pieds", on pourra dire que Nathan Juran (alias Nathan Hertz parfois) signe ici son meilleur film avec "Jack et le tueur de géants" qu'il tournera en 1962. Cette aventure est bien filmée et recèlerait même un certain panache qu'on aura donc du mal à retrouver plus tard.
Evidemment il est difficile d'occulter l'apport du maître es monstres, Ray Harryhausen avec la panoplie de trésors d'inventivités monstrueuses ici offerte sans compter. Pas de doute, c'est un festival ! D'abord ce cyclope doté d'une tête incroyable si bien qu'on croirait qu'il louche. Celui-ci est d'ailleurs la grande victime du film, n'ayant rien demandé à personne, il est légitime qu'il veuille défendre son territoire bafoué par nos aventuriers en quête de remède, et l'on sera amer de le voir se faire décaniller, se prenant un tison dans l'oeil par un Sinbad sans état d'âme tout d'abord, pour se faire broyer ensuite, après une longue lutte finale, par le dragon de garde des lieux. On se délectera aussi de petites notes d'humour comme cet "envahisseur" que le cyclope transforme en méchoui, le faisant tourner autour du feu après l'avoir ligoté. Pour en revenir au dragon, il est plutôt réussi lui aussi et n'oublions pas que nous ne sommes qu'en 1958 et que la galerie ici présente peut encore bluffer son monde aujourd'hui par la petite magie et son charme qu'elle distille avec allégresse. Magie qui, sans vouloir faire mon passéiste de service, que l'on peut soit, retrouver dans les mises en scènes modernes, mais dont on a bien du mal à en retrouver la synthèse dans un tout synthétique sfx justement. Bref, ne nous arrêtons pas à cela et louons une fois de plus l'alliance de l'artisanat et du système D ici au diapason. Passons sur les sirènes qu'on entendra mais qu'on ne verra pas ou si peu, mais nous aurons déjà droit ici à nos squelettes belliqueux que l'on retrouvera en 1963 sous la houlette de Don Chaffey dans son excellent "Jason et les argonautes" et autant dire qu'ils sont déjà ici très au point. De même lors d'un spectacle au sein du palais, on retrouvera une dame transformée en ce qui ressemble à un brouillon de Gorgogne, qui sera présente plus tard dans "Le voyage fantastique de Sinbad" mais aussi dans "Le choc des titans" de Desmond Davis. Ajoutons également un poussin géant à deux têtes ainsi que leur maman qui ne s'en laissera pas conter. Avec toutes ces créatures, il faut bien admettre qu'il est difficile de s'ennuyer. Tout du moins, l'on sera amusé ce qui n'est déjà pas mal. Mais il y a encore d'autres qualités pour achever de dire tout le bien que je pense de ce Sinbad là...
D'abord de fabuleux décors, comme l'intérieur splendidement kitch de cette lampe renfermant le petit génie (un peu tête à claque il est vrai), et on louera la direction artistique de Gil Parrondo qui n'est pas un novice et glanera même plus tard quelques oscars, dont un pour les célébrissime "Patton", sans compter les films renommés auxquels il collabora sans être crédité comme "Docteur Jivago" ou "Mr Arkadin". Il sera d'ailleurs à nouveau directeur artistique sur les plus faibles mais tout de même honnêtes "Voyages de Gulliver" tournés par le même réalisateur deux ans après. Ensuite la photographie de Wilkie Cooper demeure d'un bout à l'autre superbe, avec notamment ses intérieurs dans les palais et dans les grottes. Directeur de la photographie que l'on retrouvera souvent auprès du réalisateur mais aussi sur "Maniac" tourné en 1963 par le bien bon Michael Carreras (qui finira entre autres "La momie sanglante" commencée par Seth Holt en 1971). Pour clore cette revue, je dirais que si le choix de Bernard Hermann ne semblait pas forcément évident - d'ailleurs Miklos Rosza sera plus souvent retenu par la suite pour illustrer les aventures de Sinbad – elle n'en demeure pas moins être d'une efficacité redoutable avec son phrasé répétitif 'orientalisant' et ses puissants coups de cymbales sur lesquelles la mélodie accrocheuse pour le moins vient se greffer. Du grand art que tout cela pour s'additionner au reste ci-dessus évoqué et livrer au final un très beau film d'aventures, qui s'il accuse légèrement le poids des ans, n'en reste pas moins somptueux.
Note : 8/10
Mallox