Enfer pour Miss Jones, L'
Titre original: The Devil in Miss Jones
Genre: Porno , Fantastique , Drame
Année: 1973
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Gerard Damiano
Casting:
Georgina Spelvin, Harry Reems, John Clemens, Judith Hamilton, Marc Stevens, Levi Richards...
 

Seule dans son petit appartement new-yorkais, Justine Jones s'observe nue devant un miroir. Elle se caresse, tentant vainement de se donner du plaisir. Silencieuse, elle donne l'impression de faire le bilan de sa vie, et le constat est sans appel : l'existence de Justine est triste, morne, fortuite... Et le fait qu'elle soit toujours vierge, à l'approche de la quarantaine, est la preuve de son désert sentimental. Lasse, elle se fait couler un bain puis, une fois dans la baignoire, goûte une dernière fois la chaleur de l'eau, souvenir inconscient du liquide amniotique, avant de se taillader les veines avec une lame de rasoir.
Retour au néant ? Pas tout à fait. Justine Jones se retrouve dans le bureau cossu d'une belle villa, au cœur d'une campagne verdoyante. Un homme souriant lui fait face. Les souvenirs de la défunte se sont estompés, aussi pense-t-elle d'abord postuler pour un entretien d'embauche. Son interlocuteur, Abaca, est obligé de la guider jusqu'au moment où Justine s'est suicidée. Un acte qui la condamne à l'enfer. Bien qu'étant un émissaire du Diable, Abaca est disposé à donner une seconde chance à Justine. Après tout, la jeune femme a eu une vie ordinaire mais irréprochable. Réalisant son geste, Justine n'a qu'un seul regret, celui de ne pas s'être livrée à la débauche, au stupre de son vivant. Si c'était à refaire...
Convaincu, Abaca offre un répit à Justine. Quelques heures, quelques jours peut-être, où elle se livrera à la luxure et connaîtra enfin les plaisirs du sexe, sous toutes ses déclinaisons.

 

 

Il a suffi d'un film pour sortir Gerard Damiano de l'anonymat dans lequel il était destiné à rester, dans la mesure où cet obscur réalisateur avait réalisé jusque là quelques nudies et pornos parfois amusants, comme "Meatball", mais sans grand intérêt. Et puis, en 1972, sort "Gorge profonde". "Deep Throat" sera, plus qu'un événement, un phénomène tant par son succès commercial que son sujet rocambolesque, à savoir l'histoire d'une femme frigide jusqu'au jour où elle apprend que son clitoris est situé au fond de la gorge. Bien que loin d'être un chef d'œuvre, le film dévoile la future marque de fabrique de son auteur, consistant à broder des histoires autour de femmes frustrées, insatisfaites ou aigries. Après la frustration de Linda Lovelace de ne pas parvenir à l'orgasme jusqu'à ce que son anomalie soit révélée, on a donc l'amertume de Georgina Spelvin, liée à sa solitude et une sexualité inaboutie. L'autre point commun entre les deux films (et que l'on retrouvera plus tard dans d'autres œuvres de Damiano) réside dans la connotation fantastique de son sujet. Simple délire anatomique dans l'un, et existence du Diable dans l'autre. Les deux héroïnes parviendront à atteindre la plénitude sexuelle en menant une existence dissolue. Mais la vraie récompense pour les actrices de Damiano, c'est le fait de se voir offrir de vrais rôles, avec une dimension psychologique que l'on ne trouvera que trop rarement dans le cinéma X.
Le hasard, aussi, n'est pas étranger au succès de "The Devil in Miss Jones", puisqu'au départ le rôle de Justine était prévu pour une actrice de 19 ans. Et puis, le réalisateur remarqua la cantinière de l'équipe de tournage, et il décida de l'engager. A part le fait qu'elle avait alors 37 ans (un âge peu courant pour débuter dans le hard), Georgina Spelvin se singularisait aussi par son physique somme toute "commun", ceci sans connotation péjorative. Une silhouette qui sort des sentiers battus, loin des canons de beauté formatés, et des bimbos sans âme que le hard s'évertuera à mettre en avant par la suite. L'essentiel est que l'on s'identifie sans mal à son personnage, et que, plus important encore, Georgina Spelvin joue divinement bien. Damiano lui offre des dialogues inoubliables, d'une crudité et d'une poésie stupéfiantes. Rarement une actrice de porno aura su faire ressentir son désir, son plaisir et sa jouissance au spectateur avec autant de réalisme et d'émotion. Tout comme Linda Lovelace, Georgina Spelvin fait ici preuve d'un naturel et d'une spontanéité qui ne sont pas étrangers au succès du film.

 

De plus, contrairement à "Deep Throat", relativement bâclé (six jours de tournage) et assez banal dans son traitement (enchaînant les scènes de fellation sans grande originalité), "L'enfer pour Miss Jones" bénéficie d'une mise en scène élaborée et d'une photographie particulièrement soignée. Deux tendances que le réalisateur saura renouveler les années suivantes, pour signer des œuvres encore plus abouties comme "Psychose et phantasmes sexuels de Miss Aggie", "Odyssey" et ce qui reste probablement son chef d'œuvre : "Story of Joanna". Car "L'enfer pour Miss Jones" n'est pas, malgré toutes ses qualités, le film le plus maîtrisé du réalisateur. On pourra lui reprocher sa durée trop courte (à peine plus d'une heure) pour un tel sujet, ainsi qu'une seconde partie assez académique, tranchant singulièrement avec la première, depuis le suicide de l'héroïne jusqu'à sa rencontre avec le "professeur" (joué par Harry Reems). Après, la majeure partie de l'intrigue se résume à une succession de rencontres. Justine ouvre une porte de la demeure et va connaître une nouvelle expérience. L'initiation au plaisir avec le professeur demeure la meilleure scène de sexe du film, avec celle où Justine fait l'amour à une femme sur un water bed. Dans ce passage, très sensuel, Georgina Spelvin découvre le saphisme et, chose amusante, sa partenaire n'est autre que Judith Hamilton, qui était à l'époque sa compagne.

 

Les scènes suivantes sont plus communes, alternant triolisme (deux femmes et un homme, puis Justine avec deux hommes), ou masturbation dans une baignoire avec un jet d'eau (sur la musique de «Il était une fois dans l'Ouest"). Sans oublier l'épisode où Justine, avachie sur un lit, mord dans le fruit défendu et rencontre un serpent tentateur. Un clin d'œil à la Genèse, et au thème récurrent d'Eve chassée du paradis, qui se veut peut-être un brin provocateur (Damiano était catholique), mais n'apparaît pas comme essentiel (en fait, l'accès au paradis a déjà été interdit à Justine).
Néanmoins, "L'enfer pour Miss Jones" se conclut brillamment avec une confrontation entre Justine et un fou attendant Dieu sous la forme d'une mouche, et qui est joué par Damiano lui-même (le réalisateur avait toujours l'habitude d'apparaître dans ses films), dans une étroite cellule. Avec le recul, "The Devil in Miss Jones" apparaît comme un film emblématique, malgré ses quelques imperfections, dans lequel les ingrédients dramatiques et fantastiques sont intégrés avec une rare intelligence dans le genre pornographique. Harry Reems, maître étalon du cinéma X dans les années 70 et 80, démontre des qualités d'acteur au-delà de ses talents de hardeur. Quant à Georgina Spelvin (Michelle Graham de son vrai nom), elle sera la révélation de cette œuvre incontournable. Elle continuera dans le porno jusqu'à l'âge de 47 ans, puis on la verra dans quelques seconds rôles, notamment dans deux volets de la série "Police Academy". Quoiqu'il en soit, Gerard Damiano aura été bien inspiré en l'engageant sur le tournage de ce film qui a donné ses lettres de noblesse au cinéma porno.

 

Flint


En rapport avec le film :


# "The Devil in Miss Jones" a connu plusieurs suites : "The Devil in Miss Jones 2" (Henri Pachard, 1982), "The Devil in Miss Jones 3 : A New Beginning" (Gregory Dark, 1986), "The Devil in Miss Jones 4 : The Final Outrage" (Gregory Dark, 1986), "The Devil in Miss Jones 5 : The Inferno" (Gregory Dark, 1995) et "The Devil in Miss Jones 6" (Antonio Passolini, 1999). Il a également fait l'objet d'un remake en 2005 : "The New Devil in Miss Jones", avec Jenna Jameson, et de diverses déclinaisons, comme "Der Teufel in Miss Jonas" d'Erwin C. Dietrich (1974), ou "The Devil in Mister Jones" (aka "Flesh and Fantasy"), variante masculine du thème réalisée en 1985 par le même Gerard Damiano.

 

# La fiche dvd Wild Side du film "The Devil in Miss Jones"

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