Guerrier silencieux, Le
Titre original: Valhalla Rising
Genre: Science fiction , Expérimental , Aventures
Année: 2009
Pays d'origine: Danemark / Royaume-Uni
Réalisateur: Nicolas Winding Refn
Casting:
Mads Mikkelsen, Jamie Sives, Gary Lewis, Ewan Stewart, Alexander Morton, Callum Mitchell, Andrew Flanagan, Maarten Stevenson, Douglas Russell...
 

Il n'a pas de nom, pas d'origine. Il a passé une partie de sa vie en esclavage, mais n'est jamais resté la propriété de quelqu'un plus de cinq ans. Sur ces terres sauvages et désolées des Highlands, il passe d'un chef de clan à un autre. Sa haine le maintient en vie, et il peut exprimer la violence qui est en lui au cours de combats organisés par les différentes tribus, enjeux de paris. A un contre un, deux contre un, enchaîné à un poteau, qu'importe… Il ressort inexorablement vainqueur, et regagne la cage de bois où il demeure la plus grande partie de son temps. Parfois, le clan auquel il appartient prend la route, signe de futurs combats. Tout le monde se méfie de lui, du fait qu'il ne parle jamais. Bien que borgne, il a le regard d'un féroce prédateur. Il suscite la peur, mais sa force est une source de revenus non négligeable. Seul un enfant paraît s'intéresser à lui, pour d'autres raisons. Ce gamin aux cheveux blonds, qui n'a pas de chez lui mais voudrait y retourner, baptisera l'esclave One Eye.

 

Un jour, lors d'une marche, One Eye parvient à se libérer. Il extermine ses geôliers un par un, puis s'en va. L'enfant le suit. Le guerrier silencieux est doué de clairvoyance, un don qui se manifeste par des visions de l'avenir, le concernant. Même si on a l'impression qu'il erre sans but, il suit en fait sa destinée. Et celle-ci le fait croiser une troupe de chrétiens égarés, comme lui, sur ces terres hostiles du Sutherland, au nord de l'Ecosse. La réputation de One Eye est parvenue jusqu'à eux. Les soldats de Dieu proposent au borgne de les rejoindre dans leur quête, qui consiste à se rendre à Jerusalem, où se trouve le tombeau du Christ. Gloire et richesse les attendent, selon le chef, un prêtre mystique et fanatique.
One Eye et le gamin décident d'accompagner la troupe. Commence alors un étrange périple à bord d'un drakkar, le début d'une longue et inexorable descente aux enfers...


"Valhalla Rising" rentre sans coup férir dans la catégorie des oeuvres qui ne peuvent laisser le spectateur indifférent. On a d'une part un metteur en scène doué assumant une prise de risque quant au traitement choisi d'une histoire qui, à première vue, peut sembler ordinaire. Mais le sentiment de déjà vu auquel on serait en droit de s'attendre à la vision d'un film sur les vikings n'arrivera jamais. Au contraire, au lieu de comparaisons a priori évidentes avec "Les Vikings" de Richard Fleischer, ou éventuellement avec le premier "Conan" (celui de Milius), le film de Nicolas Winding Refn se voit attribuer en fait d'autres références, surprenantes, ou tout du moins inattendues. Ces références, on a pu le voir dans bien des magazines et des sites internet, elles ont pour nom Kubrick (pour le symbolisme, entre autres), Bergman (un rythme lent, froid, plus l'approche métaphysique), Malick (l'homme face à la nature) et Tarkovski (le mysticisme, la doctrine du panthéisme : Dieu est tout). Mais des cinéastes comme Herzog sont également cités (comment ne pas penser à "Aguirre, la colère de Dieu", effectivement), de même que Coppola pour "Apocalypse Now". On pourrait rajouter d'autres oeuvres, encore, comme le "Mission" de Roland Joffé, par exemple.



D'autre part, Winding Refn prend le parti de sacrifier une structure narrative cohérente (du moins pour le public) et de priver une bonne partie de son oeuvre de dialogues, au profit des décors naturels (sublimes) et d'une bande musicale étonnante qui a pour effet de transformer un film d'aventures épique en un étrange trip sensoriel. Le résultat est pour le moins déroutant, et nul doute que l'on peut sortir de la vision de "Valhalla Rising" avec des sentiments très partagés, allant de l'enthousiasme exacerbé à l'ennui profond, en passant par l'incompréhension la plus totale.
Bien que l'histoire soit découpée en six parties distinctes (le courroux, le guerrier silencieux, les hommes de Dieu, la Terre sainte, les enfers, le sacrifice), l'évolution de la trame est masquée à cause de la démarche suivie par le réalisateur. "Valhalla Rising" dégage une impression de statisme, un immobilisme paradoxal dans la mesure où le héros accomplit un voyage. Mais la forme l'emporte sur le fond, et bien que découpé en six parties, le film conserve cette apparente absence de mouvement. Cela est dû en partie à la rareté des dialogues tout du long (les premiers mots sont échangés aux alentours de la septième minute) ; et si le personnage principal est muet, les autres protagonistes sont à peine plus bavards. L'autre raison principale se trouve dans l'importance prise par les décors naturels, le fait que Nicolas Winding Refn, en quelque sorte envouté par ceux-ci, ait voulu transmettre au spectateur la beauté "hypnotique" de son cadre, au détriment d'autres paramètres fondamentaux (notamment la rigueur scénaristique).
De ce point de vue, le metteur en scène est parvenu à ses fins, et l'on ne compte plus les plans de tous ces personnages en osmose avec la nature, semblant figés durant une éternité, et donnant au public le sentiment de contempler une toile de maître (le drakkar immobilisé sur une mer d'huile, avec les hommes épuisés par la faim et la soif, évoque "Le Radeau de la Méduse" de Géricault), ou de feuilleter un "artbook" réalisé par un spécialiste de la science-fantasy.



Winding Refn reconnaît que l'élaboration de "Valhalla Rising" n'a pas été une mince affaire. Il dut déjà mettre de côté provisoirement le projet, alors en pleine phase de pré-production, pour se consacrer à "Bronson". Plus tard, il faillit tout abandonner seulement deux semaines avant le début du tournage. "Valhalla Rising" est passé par différentes moutures quant à l'élaboration du scénario, où il fut préalablement question d'intégrer dans le film une histoire de vengeance, puis un personnage féminin (finalement, les seules femmes que l'on voit dans le film sont parquées comme des bêtes, nues, en arrière-plan au milieu d'un champ de bataille, l'espace de quelques secondes). Le fait que Refn n'ait à la base aucune affinité avec la mythologie scandinave l'a plus ou moins obligé à repenser le film, au point d'oblitérer l'aspect "aventures" pourtant fondamental au profit d'une trame "fantastique". Le cinéaste avoue ses influences : "2001", "Stalker", le chambara, le western spaghetti... On retrouve d'ailleurs certains caractères de ces deux derniers exemples dans la première partie du film, à travers la rapidité et la violence des combats, et aussi à travers les gros plans sur les visages, dans lesquels on peut lire la peur, ou l'intimidation.
Au début il n'y avait que l'homme et la nature. Des hommes portant des croix vinrent et chassèrent les païens jusqu'aux confins de la Terre. Ces mots ouvrent l'épopée visuelle et sonore de "Valhalla Rising", et amènent l'un des thèmes essentiels développés par le cinéaste : le panthéisme, et l'affrontement entre deux cultures rencontrées successivement par le héros : le polythéisme et le monothéisme. La guerre et la religion, la violence et la croyance constituent l'essence de cette odyssée pour le moins particulière, dans laquelle le personnage central, One Eye, change plusieurs fois de statut (esclave/guerrier/Dieu/homme), tandis que dans le même temps, les chrétiens passent par différents stades comportementaux (exploration/interrogation/incompréhension/désillusion). L'un évolue, les autres régressent, tandis que l'enfant est le témoin du changement des uns et des autres. Dans un cas comme dans l'autre, la mort constitue le dernier maillon de la chaîne, accentuant ainsi le côté foncièrement nihiliste du héros, et à travers lui du metteur en scène.



Quelques mots sur l'acteur qui incarne One Eye, Mads Mikkelsen. L'acteur danois est un habitué des films de Winding Refn, puisqu'il a joué dans les deux premiers "Pusher" et "Bleeder". Mais on l'a vu aussi dans "Le Roi Arthur", "Casino Royale" et "Le choc des Titans". Il n'est jamais aisé de se voir confier un rôle sans la moindre once de dialogues, car l'acteur doit tout reporter sur le regard, l'attitude, la gestuelle. Mikkelsen s'en sort bien, même si son jeu a forcément tendance à se répéter tout au long du film. Aussi honorable que puisse être sa prestation, elle ne restera pas aussi mémorable que la performance de Tom Hardy dans "Bronson". A la décharge de Mikkelsen, son personnage demeure trop énigmatique, mais la faute en revient au réalisateur. One Eye est-il une incarnation d'Odin venue sur Terre ? Est-il une sorte de Christ rédempteur ? Ou simplement un homme dont la clairvoyance donne un but à son existence ? Peut-être un mélange de tout cela. A force d'hésitations dans la manière d'aborder son film, à se demander quelle ligne directrice lui donner, Winding Refn s'est peut-être noyé dans un "trop plein" de références. Alors, effectivement, il est parvenu une fois encore à prendre son public à contre-pied, et à proposer une oeuvre personnelle et qui parvient à être originale malgré toutes ces références. "Valhalla Rising" possède les atouts nécessaires pour séduire un certain public et les ingrédients, également, pour en agacer un autre. Chef d'oeuvre ou gros plantage ? Il est peut-être encore trop tôt pour le dire. En ce qui me concerne, je trouve que "Valhalla Rising" est un film raté qui mérite pourtant d'être vu ; un constat paradoxal qui résume en quelque sorte la complexité de Nicolas Winding Refn.


Flint

 

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