Main du Diable, La
Genre: Epouvante , Fantastique
Année: 1943
Pays d'origine: France
Réalisateur: Maurice Tourneur
Casting:
Pierre Fresnay, Josseline Gaël, Pierre Palau, Noël Roquevert, Antoine Balpêtré, Pierre Larquey, Jean Davy...
 

Dans une auberge alpestre qu'une avalanche vient isoler encore plus, les vacanciers sont troublés par l'arrivée d'un étrange voyageur manchot et irascible. L'intervention de gendarmes à la recherche d'un petit homme en noir augmente sa nervosité. Peu après, lors du repas dans la grande salle, une coupure d'électricité plonge toute l'auberge dans l'obscurité. Au retour de la lumière le manchot, Roland Brissot, constate la disparition du petit paquet qu'il transportait et devient hystérique. Calmé par les touristes, il leur raconte alors son étrange histoire.
Un peu plus d'un an auparavant, il était l'un des nombreux peintres ratés gravitant entre Montmartre et Montparnasse. Un jour il rencontre Irène, une vendeuse de gants, et en tombe amoureux. Elle devient son modèle mais se refuse à lui. Le jour de sa fête, il l'invite dans une trattoria et lui demande sa main, elle se moque de lui et le quitte en le traitant de minable. Le patron du restaurant, qui a tout vu, vient alors à sa table et lui propose un étrange marché...

 

 

La main du Diable est sans aucun doute l'une des plus brillantes et des plus originales variations sur le mythe de Faust. Tiré d'une nouvelle méconnue de Gérard de Nerval ("La main enchantée"), le film combine d'ailleurs deux des plus célèbres thèmes de la littérature et du cinéma fantastique : celui, très ancien, du pacte avec le diable, et celui (qui fera florès avec l'apparition des greffes chirurgicales, et dont ce métrage constitue le précurseur) du membre ou de l'organe allogène développant une personnalité propre.
Ce statut non usurpé de chef d'oeuvre méconnu, La main du Diable le doit à la mise en scène de Maurice Tourneur, à la fois suggestive et expressionniste, digne des meilleurs films fantastiques de l'époque et qui n'a rien à envier aux réalisations hollywoodiennes de son célèbre fils Jacques (qui tourna "La Féline" un an plus tôt).


On ne peut qu'être ébloui par la capacité de Tourneur père à créer des atmosphères, à passer dans une même scène du comique à l'inquiétant, grâce aux cadrages et aux jeux d'ombres et de lumières. Certes, il est bien aidé par le jeu des acteurs, tous remarquables, mais aussi par la musique au premier abord anodine et répétitive (des variations sur un même thème), mais diablement (ah ah) efficace, signée du dénommé Roger Dumas (aucun rapport avec l'acteur), qui n'avait oeuvré jusque là que dans des bouffonneries pour Fernandel.

 

 

Mais ce qui fait la force et l'originalité du film, c'est le personnage du Diable, incarné par Pierre Palau. Quand elles prennent forme humaine, les entités démoniaques ont au cinéma trois types de représentation : l'être bestial et inquiétant, portant en quelque sorte son inhumanité sur la figure (l'avatar classique "belzebuthien", comme par exemple dans Angel Heart) ; le séducteur ambigu, beau et jeune, pouvant parfois être, dans ce cas, de sexe féminin (l'ange déchu luciférien ou la succube, comme dans "La beauté du Diable") ; enfin le vieillard truculent et sympathique, sorte de maquignon madré (The Devil and Daniel Webster et "La beauté du Diable", encore). Ici, point de tout cela, le Diable est (idée géniale dont, ne connaissant pas la nouvelle, je ne sais s'il faut l'attribuer à Nerval ou au scénariste Jean Paul le Chanois) un être anodin et apparemment inoffensif, au départ totalement transparent ("un notaire de province", entendra-t-on à son sujet), car rien de plus logique, quand on veut duper le monde, que de vouloir passer inaperçu, et quel meilleur déguisement que celui de pouvoir se fondre dans la foule. Bon, rapidement, on ne verra plus (comme le héros) que lui à chacune de ses apparitions, saluons d'ailleurs la remarquable prestation de l'obscur Pierre Palau qui éclipserait presque le reste de la distribution.

 

 

L'occupation ayant coupé le cinéma français de l'époque, à la fois par crainte de la censure et pour répondre au désir d'évasion du public, de tout sujet ayant un rapport avec l'actualité ou émettant une quelconque critique sociale, il va donc se rabattre sur la comédie pas drôle (une constante toujours d'actualité), sur l'adaptation de classiques de la littérature et, véritable nouveauté au pays de Descartes, sur le Fantastique. Conséquence ou paradoxe, le cinéma français vécut à cette époque son âge d'or, grâce surtout à ses seconds rôles à forte personnalité, et reconnaissables entre mille. Dans La main du Diable, nous sommes gâtés avec, outre Pierre Palau, Noël Roquevert en patron de Tratoria à l'accent indéfinissable, Pierre Larquey en "ange" atypique, Antoine Balpêtré en aubergiste et même Gabriello qui dit deux phrases. Mais, une fois n'est pas coutume, les deux acteurs principaux ne déméritent pas. Si on ne présente plus Pierre Fresnay, Josseline Gaël est, dans le rôle de la femme vénale, une révélation. Un rôle peut-être pas si éloigné de sa vie privé, pour l'ex-épouse de Jules Berry (un autre célèbre interprète du rôle du Diable), à l'époque compagne d'un gangster membre de la gestapo française et, dit-on, elle même adepte de la collaboration à l'horizontale avec les allemands. Sa carrière ne survivra pas à la seconde guerre mondiale.

 

 

La main du Diable sera à la Libération accusé d'antisémitisme par les Fouquier-Tinville de sous préfectures, sous le fallacieux prétexte qu'on y voit une main au doigt crochu. Derrière ces accusations ridicules (et qui cesseront quand on apprendra que le scénariste Jean Paul le Chanois s'appelait en réalité Dreyfus), se cache le vrai reproche moins avouable, celui d'être une production Tobis/Continental (contrôlée par les autorités d'occupation, comme la moitié des films français de l'époque), et surtout d'être, en plus, une réussite. Produit par la même firme, "Le Corbeau" aura lui aussi des problèmes (accusé d'être collaborationniste, alors que la presse collaborationniste avait traîné le film dans la boue) tandis qu'un "Simplet", par exemple, ne connaîtra aucun souci. Signe des temps ou simple coïncidence, la peinture de l'humanité faite dans le film n'est pas très reluisante. Si Roland Brissot est un avatar de Faust, pas de rédemption par l'amour pour lui. Irène (sa Marguerite) non seulement ne le sauvera pas, mais sera même (en partie involontairement) la cause de ses malheurs. Pas de fin heureuse, non plus, ni de mièvrerie ou de sentimentalisme, les temps ne s'y prêtaient pas.


La notoriété de Maurice Tourneur est aujourd'hui éclipsée par celle de son fils, ce qui est profondément injuste car, si la plupart de ses films sont aujourd'hui oubliés (à tort ou à raison, il faudrait, pour qu'on en juge, qu'ils soient plus accessibles), les autres sont tous de brillantes réussites. Pour n'en citer qu'un, je vous invite à voir "Avec le sourire", véhicule pour Maurice Chevalier, que le talent de Tourneur a transmuté en "screwball comedy" à la française, égale des meilleurs Lubitsch.
Et si vous n'avez jamais vu La main du Diable, je vous envie le plaisir de sa découverte.

 

 

Note : 9/10

Sigtuna

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