Buck et son complice
Titre original: Buck and the Preacher
Genre: Western , Blaxploitation
Année: 1971
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Sidney Poitier & Joseph Sargent (non crédité)
Casting:
Sidney Poitier, Harry Belafonte, Ruby Dee, Cameron Mitchell, Denny Miller, Lynn Hamilton...
 

Après la guerre de Sécession, Buck (Sidney Poitier), un ancien sergent de la cavalerie de l'armée de l'Union, prend la tête d'un groupe d'esclaves affranchis voulant passer la frontière du Colorado.
Après une longue poursuite par d'ex-soldats sudistes revanchards, cherchant à le liquider et l'empêcher de mener à bien son action, Buck vole le cheval d'un pasteur noir en train de se baigner ((Harry Belafonte). Bientôt et contre toute attente, le prêtre le retrouve. Quoi qu'indépendant, il décide de se joindre au groupe dans lequel voyage aussi la femme (Ruby Dee) de Buck. On ne tarde pas à s'apercevoir que notre prêcheur est un pseudo pasteur dont la bible truquée contient un revolver. Si le pasteur a réussi à retrouver Buck, il paraît logique qu'il en soit de même pour les tueurs à leurs trousses. Nos voyageurs sont donc bientôt attaqués par la horde de sudistes qui n'a pas digéré sa défaite et revendique le retour à un esclavagisme pur et simple ; celle-ci, sous la houlette de Deshay (Cameron Mitchell), leur chef, tente de les ramener à leur misérable vie au sein des fermes de Louisiane. Buck et ses compagnons devront faire preuve de courage pour parvenir à leur but ultime : s'installer dans une terre de promesses et connaître enfin une existence d'hommes libres. Pour cela, ils devront également passer en territoire indien, enfin, pour le peu qu'il reste de terres amérindiennes (quasiment toutes spoliées) ; des amérindiens qui, du reste, n'avaient ni demandé l'invasion des européens d'alors, ni leur esclavagisme par des expansionnistes blancs. Il se pourrait bien, les noirs ayant combattu auprès des blancs durant les guerres indiennes, que ces derniers leur refusent tout à la fois leur aide comme de les laisser passer...

 

 

Les années 50 avaient vu l'émergence de deux acteurs noirs : les "gentils" - mais pas tant que ça - Harry Belafonte ("Porgy and Bess", 1959) et Sidney Poitier ("Devine qui vient dîner ce soir ?, 1967", une comédie libérale de Stanley Kramer). Avant ces deux acteurs et ces deux films, il fallait vraiment que le noir soit bon pour ne pas connaître une fin prématurée avant la fin du métrage.
Il y eut bien entendu quelques exceptions, et certains réalisateurs et acteurs blancs, aujourd'hui parfois vilipendés à tort, s'engagèrent alors de plus en plus ouvertement en faveur de la cause afro-américaine : ainsi voit-on par exemple, en 1963, Charlton Heston accompagner nos deux acteurs ici présents lors d'une fameuse marche pour les droits civiques et l'égalité des races.
Martin Luther King - très proche de l'acteur Harry Belafonte – est assassiné en 1968, et c'est en toute logique que le début des années 70 voit aussi l'émergence de la fameuse blaxploitation, avec des films plus ou moins sulfureux pour le WASP de base ou, tout du moins, politiquement engagés tels que "Sweet Sweetback's Baadasssss Song", lequel est enfin montré au public en 1971. Celui-ci rapportera 10 millions de dollars, un chiffre remarquable pour une production indépendante d'un budget de 100 000 dollars. Les marchés financiers prenant régulièrement et inexorablement le pas sur les idéaux, ceci donne alors forcément des idées aux grands studios, qui produisent la même année "Shaft, les nuits rouges de Harlem" de Gordon Parks, lequel fera carrément un succès planétaire. On connaît la suite et les grands noms qui accompagneront le genre, aussi je m'arrêterai ici dans ce très succinct descriptif qui n'a pas l'ambition de refaire l'histoire.

 

 

1971 est aussi une année où le western américain classique atteignait son crépuscule tandis que la contre-culture prenait le pas, avec d'un côté des relectures de l'Ouest américain plus critiques que de coutume. On peut parler non seulement de démystifications (bien sûr, quelques cinéastes avaient déjà aidé à déblayer le chemin depuis bien des années) mais aussi, parfois, et comme c'est le cas ici, de revendications.
Il est donc temps pour nos deux acteurs engagés de saisir les deux genres alors en vogue pour les fondre en un et de produire eux-mêmes, puis de tourner ce western destiné à figer dans les mémoires une page peu reluisante de l'histoire de l'Amérique, ainsi que d'en appeler à une prise de conscience commune.
Le message y est délivré de façon limpide et peut se résumer ainsi : la guerre civile prenait fin, et la loi rendait les esclaves libres. Mais quand la promesse des terres et de la liberté ne fût pas honorée, beaucoup d'anciens esclaves quittèrent leur terre de servitude à la recherche de nouvelles frontières où ils seraient finalement libres. Ils déposèrent alors leurs espérances entre les mains d'une poignée de guides noirs qui connaissaient l'Ouest. Rien de tout cela ne fût facile, puisqu'ils devaient survivre à des régions hostiles autant qu'aux chasseurs de prime engagés par des "inconnus", lesquels tentaient de les capturer pour les ramener dans les champs.

 

 

Voici donc, dans les grandes lignes, de quoi il retourne dans Buck et son complice, film dédié à ces hommes, femmes et enfants dont les tombes sont aussi anonymes que leur place dans l'Histoire.
Il s'agit néanmoins autant d'un rappel historique, devançant d'ailleurs de près de vingt ans l'empathique mais pesant "Glory" d'Edward Zwick, que d'un film de pur divertissement.
A ce titre, on peut dire que nos deux Black Panthers ont allègrement réussi leur pari, livrant une œuvre à la fois nonchalante, décontractée, riche en péripéties et dotée d'un scénario bien plus intelligent, sinon intéressant, que la moyenne.
Confronter deux minorités telles que le peuple noir et le peuple amérindien, avec chacun leur passé, est une idée d'autant plus belle qu'elle est ici traitée de manière fort pertinente.
Outre les scènes d'action, s'il y a une séquence que l'on retient à la vision de Buck and the Preacher, c'est une négociation tendue entre Buck (qui représente donc un peuple noir asservi cherchant une terre nouvelle et la paix) et un chef indien (représentant un peuple spolié de ses droits et de ses terres). Le noir ne pourra que s'incliner et baisser la tête de honte lorsque le chef indien lui rappellera le rôle qu'a joué son peuple au service des blancs lors des guerres indiennes, et qu'il n'a finalement pas à intervenir dans un combat post guerre civile américaine, qui ne le regarde ni ne le concerne. Celui-ci aurait, qui plus est, en prenant parti, tout à perdre, alors que l'avenir et l'espoir de son peuple demeure dans sa descendance qu'il mettrait alors en danger en les aidant.

 

 

Difficile cependant de résumer un film tel que celui-ci sans se perdre en énumération des scènes servant de rappel à l'ordre, mettant le nez du peuple américain dans une merde et une impasse qu'il a lui-même créées.
A ce titre, l'extermination des femmes et enfants noirs renvoie directement au massacre du camp indien du fameux "Soldat Bleu" de Ralph Nelson, tout comme le fait d'exterminer les ressources et les vivres du peuple noir (ici, le plus souvent, leurs poules) revient à exterminer de façon maligne ce même peuple, à l'instar de ce à quoi on pouvait assister dans La dernière chasse de Richard Brooks, au sein duquel deux chasseurs (Robert Taylor et Stewart Granger) s'escrimaient à liquider des bisons pour réduire à néant le peuple indien, ce, avant de rentrer en conflit.
Au-delà du discours il y a également le film de distraction, car Buck et son complice est aussi l'histoire d'une marche (presqu'un symbole de manifestation) dans l'Ouest gavée de péripéties, avec ce qu'il faut de scènes violentes et âpres. On peut dire qu'au titre de la distraction, le film est un peu moins réussi que dans les thèmes qu'il aborde. Il est possible, mais cela reste du pur domaine de la supposition, que le réalisateur Joseph Sargent (Le cerveau d'acier, Les pirates du métro, ...) eut peut-être mieux emballé le tout, sauf qu'il fût débarqué du tournage par Sidney Poitier pour désaccord sur le fond même du film. Il est possible encore que leurs engueulades aient contribué à livrer un film hybride et pas aussi convaincant qu'il aurait dû ou pu l'être.


Même si Buck et son complice évolue comme une ballade légère sur fond de blues (belle musique de Benny Carter, aidé par Sonny Terry et Brownie McGhee ), le rythme est parfois un peu trop dilettante pour que le spectateur ne marque pas lui-même un peu le pas.
De fait, c'est surtout un manque global de tension qui en fait une œuvre, toute aussi singulière et riche qu'elle puisse être, plus mineure qu'elle ne le devrait. Autant dire que c'est bien dommage quand ailleurs les acteurs y sont parfaits (bien que Belafonte surjoue parfois) et qu'à bien des égards, le scénario ménage son lot de surprises et de perles.
Pour conclure, disons que Buck and the Preacher avait tout pour être un grand film, et qu'au final il n'en est pas la moitié d'un et demeure juste un spectacle fort sympathique, ce qui, selon son attente envers lui, pourra tout aussi bien contenter.

 

 

Mallox

 

* Le Trailer US original :

 

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