Sang du condor, Le
Titre original: Yawar Mallku
Genre: Drame , Historique , Document
Année: 1969
Pays d'origine: Bolivie
Réalisateur: Jorge Sanjines
Casting:
Marcelino Yanahuaya, Benedicta Mendoza Huanca, Vicente Verneros Salinas, Mario Arrieta...
 

La police encercle un groupe d'indiens quecha dans un petit village perdu des Andes boliviennes. Le groupe est froidement abattu après qu'on leur ait ordonné de courir. Ignacio, survit miraculeusement à la tuerie bien que gravement blessé. Sa femme, Paulina, l'emmène alors à La Paz pour y retrouver son beau-frère Sisto, lequel a renié ses origines indiennes. Ignacio est donc hospitalisé. Pendant ce temps, Paulina rapporte à Sisto les faits qui se sont déroulés au village...
Paulina a perdu ses trois enfants qui ont succombé à une épidémie de peste tandis qu'Ignacio fut désigné comme chef du village. Le sorcier du même village a également appris à la jeune femme qu'elle ne pourrait plus porter d'enfant. Très vite, on s'aperçoit que son cas est loin d'être unique : d'autres villageoises sont également devenues stériles. Désespérées, celles-ci ne cessent de pratiquer depuis lors des rites de fertilité qui restent sans effet. Ignacio est proche de la mort. Une transfusion sanguine est nécessaire pour le sauver mais Paulina ne trouve pas l'argent pour la payer. Sisto tente alors de trouver de l'aide en parcourant la ville en long et en large mais il ne se heurte qu'à mépris et indifférence. Durant ses déambulations au sein de la ville, Ignacio apprend par hasard lors d'une visite de l'hôpital américain de la contrée, que des médecins ont stérilisé des villageoises de race indienne à leur insu sous couvert d'un traitement gynécologique. Dès lors qu'Ignacio apprendra ce fait, il n'aura plus qu'une idée en tête : celle de se venger en compagnie des hommes du village. Ensemble, ils se dirigent vers la clinique incriminée, les armes à la main, font irruption dans l'enceinte et, avant qu'Ignacio, à bout de force, ne meure, castrent les médecins américains...

 

 

Réalisé en 1969, Le sang du condor s'inspirait d'un rapport publié dans la presse concernant un programme de stérilisation faisant office d'expérimentation mené par une équipe de médecins américains appartenant à la Peace Corps, sur des femmes indiennes d'une région montagneuse de Bolivie, et exercé à l'insu de celles-ci. L'occasion pour Jorge Sanjines de laisser éclater son indignation et son écœurement en dressant un constat accablant.
Les évènements qui nous sont montrés sont décrits avec un réalisme quasi insoutenable en même temps que dénué de toute complaisance. (Comme quoi, choquer ne passe pas forcément par le Mondo ! Savoir si Le sang du condor, à sa manière, n'en est pas un, relèverait presque du débat si ce dernier ne tenait pas avant tout de la prop-agit). Décalage et malaise sont en tout cas au rendez-vous des premières scènes du film, séquences en flashback dans lesquelles on assiste à la distribution par une équipe médicale américaine, d'un singulier assortiment de vêtements "Made in USA" qui semblent inadaptés à la situation. Ceci est bien entendu un appât, une façon de gagner ou de rétribuer la confiance des Indiens, lesquels les rapportent en pleine nuit à la clinique. Finalement, la stérilisation des femmes ne sera qu'une variante de cette stratégie sournoise d'ingérence économique, ne visant tout compte fait qu'un seul et unique but : l'extermination pure et simple d'une population.
Il va de soi alors, que la vengeance sauvage des habitants qui se mettront à châtrer les médecins américains, n'est alors qu'un acte de l'ordre de la justice populaire.

 

 

Pour nous conter cette cruelle histoire qui se meut peu à peu en éprouvante expérience pour le spectateur, Jorge Sanjines opte pour une structure en flashback. Un choix qui permet au réalisateur d'installer un rythme soutenu en même temps que de présenter des faits dans un contexte explicitement politique. Un contexte qui entrainera dans un même mouvement, la prise de conscience du véritable héros du film : Sisto. Celui est ,à l'origine, d'une condition sociale assez moyenne. C'est le frère du chef du village, soit, mais il dû comme bien d'autres habitants, quitter sa terre et s'en aller travailler dans l'une des grandes usines de La Paz, ce, pour un salaire de misère. C'est en errant dans les rues de la ville à la recherche d'aide pour sauver un frère mourant, qu'il va se rendre peu à peu compte que le reniement des racines indiennes ne le met pas à l'abri du racisme des nantis. Jorge Sanjines, dans un élan à la fois frondeur, frontal et comme s'il n'avait lui-même plus rien à perdre, alterne avec brio les scènes du frère agonisant et celles où Sisto, dans son périple, assiste au fossé entre un mode de vie américanisé des possédants blancs et de leurs suppôts de métis et la misérable condition des Indiens. Un fossé qui se révèle être un gouffre autant grossier que grotesque dans le contraste alors que Sisto passe d'un mode de vie à l'autre. Dès lors, sa conscience le ramènera spirituellement parmi les siens afin de lutter à leurs côtés pour le nivellement logique d'une justice sociale.

 

 

Né en 1936, Sanjines fit ses premières armes en tant que cinéaste comme réalisateur de courts-métrages puis de documentaires avant qu'il ne fonde l'Institut national de cinématographie bolivienne, dont il devint ensuite le directeur. Son premier long-métrage ("Ukamau", 1966) suscita d'entrée de vives protestations de la part d'un gouvernement bolivien qui n'apprécia guère la noirceur de son constat. Il est alors relevé de ses fonctions au sein de l'Institut sitôt le tournage achevé. Le sang du condor est donc son second film après une entrée plutôt fracassante. Deux années ont beau s'être écoulées, le réalisateur n'en est pas moins toujours en ligne de mire, et ce second film connait immédiatement le même accueil politique et le même sort. Ce ne fut qu'après une campagne de presse et des manifestations conséquentes de rue en sa faveur, que le public acquit le droit de voir le film. Durant sa première année d'exploitation, il drainera dès lors des foules considérables, ce qui constituera un phénomène sans précédent dans l'histoire du cinéma bolivien. Des projections sont même organisées par le réalisateur lui-même et ses collaborateurs dans les villages les plus reculés de Bolivie. Les projections y sont le plus souvent commentées et agrémentées d'explications ou de débats avec le public qui était sollicité pour poser des questions. Une méthode de travail que Jorge Sanjines ne démentira pas pour le reste de sa carrière et ce rapport cinéaste-public demeure l'une des principales caractéristiques de ses méthodes de travail. Difficile donc, dans l'émergence du cinéma révolutionnaire latino-américain, de sous-estimer l'apport et l'importance de la part prise par Sanjines : ce dernier a finalement ouvert la voie à une nouvelle manière de concevoir puis d'exploiter un film, impliquant des communautés entières à la préparation, au financement et à la présentation des oeuvres.
A ce propos, on ne manquera pas de rappeler qu'à l'instar du Sang du condor dans lequel la communauté rurale de Kaata reste la principale protagoniste, Jorge Sanjines fera participer toute une communauté de mineurs rescapée d'un massacre perpétré par l'armée bolivienne, pour la reconstitution de son film suivant, "Le courage du peuple" (1972).

 

 

Pour conclure, Le sang du condor, comme tous les autres films du cinéaste, témoigne d'une volonté d'évoluer dans une voie instinctive populaire. Réalisé pour et avec les Indiens boliviens, Le sang du condor poursuit un objectif idéaliste : aider le peuple bolivien à prendre conscience de leur identité, trop longtemps bafouée, pour en tirer enfin une légitime fierté. Et si l'on éditait un dvd de cette pièce maîtresse devenue aussi rare que semble t-il gênante ? A moins qu'il ne faille encore se lamenter dix ans durant sur la mauvaise qualité d'un Blu-Ray d'un film édité 10 fois plutôt que de faire œuvre d'utilité publique et de montrer une page d'histoire autant essentielle que peu reluisante, ne serait-ce que dans une seule et unique édition. Même sans bonus explicatifs, le film en dira toujours plus à lui seul que moult suppléments pourtant parfois bien fournis et de qualité...

Mallox

 

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