Let's Scare Jessica to Death
Genre: Horreur , Thriller , Fantastique , Drame
Année: 1971
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: John D. Hancock (Alias John Hancock)
Casting:
Zohra Lampert, Barton Heyman, Kevin O'connor, Gretchen Corbett, Mariclare Costello, Alan Manson...
 

Dans lequel nous retrouvons une jeune femme au milieu d'un lac, dans une barque, en train de se questionner sur ce qu'elle est en train de vivre : "Fantasme ou réalité ? Rêve ou cauchemar ? Raison ou folie ?". Une jeune femme qui, en plein décor automnal d'un Connecticut quasi déserté, servira de narratrice à un conte de la folie ordinaire (ou pas), dans lequel tout restera dans le domaine de la perception. Mais laissons donc Jessica revenir elle-même sur les singuliers événements des derniers jours : spirale névrotique ou incompréhension unilatérale de son entourage face à des manifestations surnaturelles ?

 


Jessica (Zohra Lampert) vient tout juste de sortir d'un institut psychiatrique après une dépression nerveuse. Fragilisée, son mari (Barton Heyman) décide de l'emmener à la campagne dans une ferme de style victorien. Woody (Kevin O'Connor), un de leurs amis, fait partie des bagages. Peu après leur arrivée, Jessica commence à entendre des voix lui demandant ce qu'elle fait ici. Cela l'effraie mais ne la tétanise pas pour autant. Plus tard, tandis que Jessica fouille la demeure, quelque peu sur la défensive, celle-ci tombe nez à nez avec une jeune hippie (Mariclare Costello). Après un hurlement de surprise et de peur, la jeune femme dit s'appeler Emily, être sans abri, et avoir squatté la ferme à la recherche d'un coin où dormir. Dès lors, les choses ne seront plus comme avant... Cauchemar ou réalité, toujours est-il que Jessica se met à entendre des voix. Des voix qui lui parlent, la préviennent, la menacent, la protègent aussi parfois.

 


Ayant besoin d'argent, notre petit groupe se rend bientôt chez un brocanteur pour y revendre quelques uns de leurs objets. Ce dernier leur apprend l'étrange légende régnant dans les parages : la maison serait hantée par le spectre d'une jeune femme morte noyée le jour de ses noces, il y a presque un siècle de ça. Selon lui, les gens du village prêtent beaucoup de crédit à cette histoire, jusqu'à considérer la défunte comme un vampire aimant à revenir sur les lieux de sa propre tragédie. Voilà qui ne va pas arranger la santé mentale de Jessica ; d'autant qu'elle aperçoit ensuite au milieu du lac, lors d'une baignade avec ses acolytes, la jeune femme en robe de mariée. Celle-ci tente de l'emmener vers le fond. Bien entendu, aucun des deux hommes ne veut la croire. Ce sera idem lorsque Jessica prétendra avoir vu le cadavre du brocanteur gisant aux abords du lac. Evidemment, ledit cadavre disparaîtra le temps que ses témoins arrivent sur place. Rêve ou cauchemar, cauchemar ou réalité, névrose hallucinatoire ou réalité hallucinante, reste que les événements vont s'amonceler, laissant les routes boueuses de la campagne américaine jonchées de morts, et de morts vivants...

 


A un moment du film, en regardant des dessins tapissés au mur de la maison (des reproductions de pierres tombales qu'elle collectionne), Jessica s'exclame : "Ces visages angéliques ont l'air impitoyables !". La solution, tant est qu'elle existe ailleurs que dans la perception de notre héroïne tourmentée - et la notre avec, manipulée ici avec un sens de l'ambiguïté sans faille – est peut-être à chercher de ce côté-ci. C'est du reste en restant le plus terre-à-terre possible, à l'instar de Duncan, le mari de Jessica, qu'on pourra trouver des réponses à quelques mystérieux événements ayant cours... Impossible toutefois de se prononcer sur la globalité des faits ; au risque, à l'instar de cette "dame blanche du lac", de se noyer soi-même dans une intrigue à l'ambiance délétère, morbide, paranoïaque et poétique, et de ressortir du film avec davantage de questions que de réponses. Rêve ou réalité ? Si pour certains les cauchemars naissent la nuit, pour d'autres ils font partie intégrante du quotidien. Quid finalement de ces représentations graphiques aux allures inoffensives ? Là où Jessica y voit un danger, chacun d'entre-nous n'y verra que des formes aux contours appliqués, des dessins innocents, propres tout compte fait à l'enfance. Ainsi, Let's Scare Jessica to Death se déroule comme un test de Rorschach dans lequel une forme pourra très bien se voir comme un poisson, tandis qu'une autre personne verra là une morte venue des tréfonds de l'enfer pour venir la chercher.
A psyché tourmentée, ressenti exacerbé, audition amplifiée, vision déformée. Mais pas forcément...

 


A bien lire le titre du film de John D. Hancock, et avant même le générique du film, c'est du côté obscur que nous sommes placés : comme si une farce venue des ténèbres allait se jouer sous nos yeux (des fantômes venus se jouer de la fragilité de l'héroïne). C'est du reste ce qui se passe, dans un naufrage débutant de façon purement psychique (des voix parlent à Jessica) pour se finir de façon assassine. Le tout dans un cadre où les questions existentielles n'ont plus lieu d'être hormis de tourner en boucle sur elles-mêmes, restant inéluctablement sans réponse. Finalement, à l'instar du fameux test de Rorschach, tout est question de sensibilité du moment ; de ce moment dépend la perception d'une même image ou d'une même action, lesquelles peuvent dès lors s'interpréter de mille et une façons. Plus jungien que freudien, les refoulements pathogènes sont ici traités de façon individuelle, mais en prenant toutefois en compte un inconscient collectif très pragmatique servant à la fois de transfert à la névrose de Jessica mais aussi d'éventuel prisme à sa folie.
Sur ces bases, Let's Scare Jessica to Death instille un climat mélancolique propre à la dépression, en plus de livrer une oeuvre lancinante faisant écho aux penchants obsessionnels de Jessica.
Inutile de s'attendre, en découvrant cette belle oeuvre, à un déferlement d'effets en tous genres. Certains trouveront le rythme trop lent, voire patinant ou même encore inexistant. C'est la pire injustice à faire à une série B dont aucune scène n'est de trop, ni le moindre détail. Comme expliqué ci-dessus, le choix est volontaire, tenant même de la nécessité (budget restreint, respect d'une tonalité en adéquation, déroulement d'un point de vue logique d'une intrigue reposant sur d'inexplicables événements, voire de malentendus, structure confrontant le réel et l'irréel pour mieux explorer inconscient...).

 


Pour son premier film, le réalisateur tournait, à l'âge de 31 ans, un petit chef-d'oeuvre de thriller fantastique atmosphérique. S'en suivra une carrière en dents de scie et surtout très hétéroclite. En témoignent, par exemple, ses films suivants ("Le dernier match" en 1973, un drame se situant dans le monde du baseball avec De Niro et Michael Moriarty ; ou "Baby Blue Marine", suivant les états d'âme d'un Jan-Michael Vincent fatigué de sa condition de marine). C'est également un cinéaste inégal, comme le prouvent certains thrillers plus tardifs, dont le quelque peu apathique et surtout faisandé "Mayhem" en 2001, lequel semblait vouloir reprendre les mêmes ingrédients, sinon la même recette.


Pourtant, quoi qu'on pense de la carrière du réalisateur, il convoque ici avec un talent indéniable, et sur un mode onirique très risqué, nombre d'affiliations à des films charriant des thèmes communs et quant à eux devenus des classiques au fil du temps. Ainsi, côté psyché féminine perdue entre réalité et cauchemar, on pense par moments au Polanski de Répulsions ou davantage encore de Rosemary's Baby, tandis que la vision des habitants du coin par Jessica, toute en contreplongées, devance celle de Polanski lui-même dans son génial "Le Locataire". L'arrivée de cette femme fragilisée, dans un endroit fait semble-t-il de mystères opaques issus d'outre-tombe, évoque La maison du diable de Wise.

 

Côté ambiance, on le rapprochera d'autres réussites singulières, tenant de mélanges intemporels ainsi que de thèmes communs : ceux basés sur des faits et comportements a priori inexplicables desquels on se défend tout en tentant d'en capter les raisons, lorsqu'on ne se réfugie pas tout simplement dans ses derniers retranchements (ici, cette maison victorienne du bout du monde). On pense alors à Carnival of Souls et son climax "nécro-fantomatique" tout en suspension, ainsi qu'à l'excellent Messiah of Evil (exhumé avec bonheur et pertinence par Artus Films en 2010) dans lequel l'héroïne croisait, jusqu'à la paranoïa, et dans un endroit également désolé, une galerie d'êtres plus curieux les uns que les autres, comme subitement plongée dans un monde parallèle peuplé de non-morts.

Ailleurs, on pense, niveau sources littéraires dans lesquelles serait venu puiser le réalisateur, aux influences mélangées d'un William H. Hodgson et ses analyses psychanalytiques et philosophiques tendant vers l'infini ; à certaines oeuvres de Lovecraft dans lesquelles les protagonistes, plongés dans des univers étrangers, mettent systématiquement en péril leur santé mentale ; tandis qu'ailleurs, c'est D. H. Lawrence et ses désirs de mort dépeinte comme seule échappatoire aux névroses de chacun qui semble poindre pour en définir le cadre.

 


Reposant sur une composition magistrale de justesse de Zohra Lampert (dont ceux qui ont vu "La fièvre dans le sang" d'Elia Kazan se souviennent forcément, par la puissance des dernières scènes dont elle est l'une des protagonistes, mais aussi par sa présence dans de nombreuses séries dont "Supercopter"), magnifié par la simplicité et l'évidence somptueuse de la photographie de Bob Baldwin (Le loup garou de Washington, Le droit de tuer, McBain), soutenu qui plus est par une mémorable bande-son, alternant les notes de piano désaccordé et des effets synthétiques en avance sur leur temps, signés Orville Stoeber (celui-ci retravaillera avec John D. Hancock en 1987 pour un "Weeds" mettant en scène Nick Nolte dans un quartier pénitentiaire), Let's Scare Jessica to Death, fort de garder encore aujourd'hui certains de ses secrets (l'absence totale de femmes parmi les autochtones, les cicatrices qu'on retrouve sur plusieurs visages, et j'en oublie...), est un petit grand film, jouissant à l'heure actuelle d'un statut - hélas galvaudé à force de sur-utilisation - "culte" ; mais qui mériterait en vérité de figurer parmi les plus belles mises en images d'un cinéma conjuguant l'allégorie, la poésie, le morbide, tout en s'inscrivant de la manière la plus subtile et brillante qui soit dans un cinéma dit de genre. Il est aussi la preuve que la pauvreté (de son budget) peut engendrer bien des richesses...

 

Mallox

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