A la vision de cette énième et médiocre aventure de Sinbad, les spectateurs pourraient être verts de rage, Lou Ferrigno oblige, et pourtant non, ils se contentent d'être désolés ou plutôt désopilés. Car, il faut bien le dire, ces péripéties fantastico-féériques ne volent pas haut mais prêtent à rire bien volontiers. C'est ainsi que le sinistre Jaffar, vizir du roi et méchant du film, roule des yeux, gronde dans sa barbiche, menace et lance des imprécations, maudit et perpètre moult forfaits avec beaucoup de vantardise mais rien n'y fait : c'est un loser patenté et ses projets de ravir la princesse Alina à son promis Ali sont visiblement bien trop grands pour lui.
Sinbad, lui, roule des mécaniques et fait saillir tous ses muscles, les bandant pour impressionner ses ennemis tout en les tatanant de ses paluches immenses. Il est fort, Sinbad, il est malin, toujours prêt à trouver un plan pour contrecarrer ceux de l'ignoble Jaffar ! Et quels plans ! Du style : "Bon, Jaffar a expédié les gemmes sacrées qui donnaient la prospérité à la ville de Basrah et à ses habitants, eh bien on va aller les rechercher au-delà des mers !" Il ne sait pas où se trouvent ces joyaux mais il va les chercher, ça c'est du plan !
Aidé d'une équipe bigarrée composée d'un prince à la promise volée, d'un viking aux bacchantes bien fournies, d'un samouraï qui cite Confucius, d'un cuisinier trouillard et d'un nain dégourdi, Sinbad s'en va donc rencontrer l'oracle inévitable qui l'envoie en un premier lieu chercher la gemme sacrée, avant d'en trouver une seconde, puis une troisième, et ainsi de suite, cette chasse au trésor se ponctuant systématiquement de bagarres homériques (homerdiques serait plus juste) contre des adversaires étonnants : Amazones, guerriers fantômes, monstre de pierre, etc.
Tous les ingrédients sont là, on le voit, pour un film d'aventures trépidant et réussi : une histoire classique de quête, la lutte éternelle entre le bien et le mal, une belle princesse prisonnière d'un méchant aux noirs desseins, des personnages bien typés, des décors variés, une musique s'accordant aux différentes séquences, des effets spéciaux nombreux et des rebondissements constants... Sauf qu'en fait, ces ingrédients sont tous frelatés : l'histoire est archi-vue et rebattue, sans intérêt ; les personnages sont ultra stéréotypés, pas crédibles pour un sou ; les décors sont parfois réussis mais souvent mal utilisés ; la musique est... catastrophique ; les effets spéciaux de maquillages sont corrects mais les effets visuels devaient déjà être vieillots à l'époque de la sortie du film ; les tours et détours de l'action présentent peu de cohérence et s'enquillent maladroitement ; les dialogues sont parfois... autres...
Tous ces défauts du film, et ils sont légion, en sont néanmoins ses principaux atouts : pour peu qu'on le regarde avec un peu de recul et qu'on oublie son premier degré consternant, on y trouvera de bonnes raisons de rire plutôt que de pleurer. C'est ainsi qu'un Sinbad parlant à des cobras en faisant une référence à Adam et Eve et au jardin d'éden avant de les nouer entre eux pour s'en faire une corde à noeuds et sortir d'une oubliette pourra être vu comme du grand n'importe quoi plutôt réjouissant. Tout comme la présence incongrue d'une sorte de guerrière associée à Jaffar dont le rôle semble figuratif puisque jamais elle n'intervient dans l'action, cependant qu'elle offre l'un des ses plus surréalistes dialogues au film : Jaffar : "Attention à toi, Soukra ! On se demande dans quel camp tu es !", Soukra : "Tu as pris tes médicaments ce matin ?" ??? Hein ? Les plus surpris se repasseront la scène pour vérifier, mais oui, c'est bien ce qu'elle lui dit : "Tu as pris tes médicaments ce matin ?" Une répartie totalement décalée qu'il ne relèvera pas, continuant dans ses diatribes.
Les adversaires de Sinbad ne sont pas très doués, ni très effrayants. C'est dommage, l'idée des Amazones était alléchante, celle des guerriers fantômes encore plus, mais leur réalité à l'écran peine à faire frémir. Les jolies dames séduisent ridiculement les aventuriers, leur chef en tête au sourire niais de benêt bodybuildé, avant de se faire ravir leurs proies par un nain passant la pommade à son seigneur et maître pour le désenvoûter... Les guerriers fantômes en armures, à pied ou à cheval, filmés en plein jour et en plein soleil, ne ficheraient pas la trouille au plus trouillard des mômes... Le monstre de pierre tire des rayons lasers (ou un truc du genre) de ses mains mais loupe systématiquement Sinbad pourtant planté à trois mètres de lui, Jaffar lui-même est capable de téléporter tout l'équipage et le bateau du fier guerrier à Pétaouchnok, mais ne pense pas à réitérer l'exploit lorsque Sinbad est devant lui pour l'affronter...
Et la musique... Ah, la musique... Totalement désordonnée, elle change constamment en fonction des séquences : musique de jeu vidéo guillerette, elle se transforme ensuite en grosses nappes synthétiques et lourdingues, avant de se faire plus électriques, ou de se contenter de jouer les tapis sonores. Nulle au possible, elle est l'oeuvre de Dov Seltzer, dont on se demande s'il l'a fait exprès ou s'il était vraiment sous-doué.
Et ai-je parlé du procédé à la Princess Bride qui introduit l'histoire et la fait avancer en multipliant les voix-offs ? Non ? Et pourtant il y aurait de quoi dire sur cet autre raté d'un film qui n'en manque pas, avec Daria Nicolodi en maman attentionnée lisant l'histoire de Sinbad à sa fille, lançant le début du film et en posant les contours, avant d'intervenir très souvent pour commenter ce qui se passe à l'écran (au cas où le spectateur serait aveugle ?) sans oublier de surutiliser le dictionnaire de synonymes à propos de Jaffar qualifié ainsi tour à tour d'immonde, d'abject, de sordide, de larve gluante, etc.
Quel gâchis ! Mais souvent amusant, parfois désopilant, et finalement jamais emmerdant, des qualités que nombre d'autres films pourraient lui envier. Sinbad des sept mers est l'oeuvre d'un Castellari ayant officié dans tous les registres et parfois de façon plus inspirée (Big Racket, La mort au large, Keoma, ...). Dans le rôle titre, Lou Ferrigno joue des biscottos, après avoir été l'inoubliable Hulk de la série télé et le péplumesque Hercule dans... Hercule, justement, mais aussi Les aventures d'Hercule, deux films de Luigi Cozzi ici crédités pour avoir coécrit Sinbad. Dans le rôle très réussi du méchant cabotin, c'est John Steiner qui surjoue (pour notre plus grand plaisir), un Steiner anglais ayant fait l'essentiel de sa carrière en Italie : western, avec Tepepa, film de guerre avec SS représailles, comédie d'horreur avec Young Dracula, giallo avec Ténèbres et même érotisme dans le Paprika de Tinto Brass, entre autres !
Dans les seconds rôles, on retrouve le frère du réalisateur, Ennio Girolami, qui joue le viking, un acteur vu notamment dans les deux Killer Crocodile. Le samouraï philosophe est incarné par Hal Yamanouchi, qui fut mercenaire du futur pour Lucio Fulci quelques années auparavant (2072, les mercenaires du futur). Sans oublier la jeune et belle Alessandra Martines, qui épousa plus tard Claude Lelouch après l'avoir rencontré sur le tournage de "Tout ça... pour ça !" Un titre qui pourrait d'ailleurs tout à fait s'appliquer à ce Sinbad là !
Bigbonn