Chine, 1937. Aux portes de Nankin, capitale "du Sud", l'armée impériale japonaise lance l'offensive. A l'intérieur, les soldats chinois sont totalement désorganisés. Les Japonais entrent dans la ville fantôme avec ordre de ne pas faire de prisonniers. Le "Massacre de Nankin" est en marche...
En 1988, Men Behind The Sun, sorti chez nous sous le titre Camp 731 fut l'un des premiers films à se voir attribuer la fameuse classification Catégorie III. Il racontait l'histoire de la tristement célèbre "Unit 731", où, pendant la deuxième guerre mondiale, les Japonais réalisèrent d'affreuses expériences sur des prisonniers. Gros succès en Asie (au point de se retrouver affublé de fausses suites réalisées par l'ineffable Godfrey Ho : "Laboratory of the Devil" et "A Narrow Escape") le film connut de nombreux problèmes, notamment au Japon où le réalisateur reçut des menaces de mort. Quelques années plus tard, le réalisateur Mou Tun Fei décide de s'attaquer à un autre sujet controversé, le massacre perpétré par l'armée japonaise dans la ville chinoise de Nanking en 1937. Entre décembre et janvier, les soldats japonais tuèrent entre 100 000 et 300 000 habitants, notamment à la baïonnette ou au sabre, sans distinction d'âge ou de sexe, civils et soldats. Un fait historique que les Japonais minimisent depuis des années et essaient de faire oublier. Il faut préciser que contrairement aux Allemands qui ont reconnu leur crime et officiellement demandé pardon, les Japonais ne l'ont jamais fait. Pire, chaque année ils rendent hommage à leurs combattants dont une partie sont ailleurs considérés comme des criminels de guerre, ce qui provoque la colère des autres nations asiatiques (Corée, Chine, etc.).
Né en Chine mais élevé à Taiwan, Mou Tun Fei (ou Mau Dui-Fai) n'est pas un réalisateur des plus prolifiques (une douzaine de films) mais il peut se vanter d'avoir réalisé quelques-uns des films les plus violents et glauques de la péninsule. Au début des années septante, après trois films taïwanais, il part en Europe, suit même quelques cours à l'université de Versailles et, à son retour à Hong Kong, rejoint le giron de la Shaw Brothers où il réalise des oeuvres consensuelles et s'occupe de finir des films que d'autres ont commencés (d'où la difficulté d'établir une véritable filmographie de cette époque). Utilisant à bon escient l'organisation presque kafkaïenne du célèbre studio, il réussit à réaliser deux produits hors norme qui vont asseoir sa réputation. Le premier, "Bank Busters" ("Lao guo jie" - 1978) est un film de gangsters politisé et le second un certain "Lost Souls" ("Da she" - 1980) est un drame social cruel où des immigrés clandestins tombent entre les mains de criminels qui les torturent sans pitié et les transforment en esclaves sexuels. Peu visible depuis sa sortie, le film se paye une réputation d'oeuvre barbare. Ce sera le dernier film qu'il signera pour le studio qu'il quittera en 1982.
Conçu comme un docu-fiction, Black Sun: The Nanking Massacre mélange images d'archives et reconstitutions. Comme pour son précédent film, Mou Tun Fei ne ménage pas le spectateur et les scènes de massacres sont d'une incroyable brutalité, il est d'ailleurs difficile de regarder le film sans détourner le regard ou fermer les yeux pendant quelques instants. Car ici pas de héros ou de sauveur, la caméra du réalisateur suit simplement le massacre de la population jusqu'à l'écoeurement (voir la scène du foetus arraché à la baïonnette !). Même si on distingue un léger fil conducteur via le récit d'une famille qui essaie d'échapper au massacre, le film est construit comme une série de vignettes qui se concentrent sur les méthodes utilisées par les Japonais pour exterminer leurs victimes, le tout entrecoupé d'images d'archives chinoises et japonaises. Méthode d'une efficacité redoutable, comme le montre la reconstitution de l'exécution du moine bouddhiste qui finit en se figeant sur une photo prise à l'époque, idem pour la pauvre jeune femme massacrée à la baïonnette que l'on retrouve sur son lit d'hôpital en image d'archive.
Bénéficiant d'un budget confortable, Mou Tun Fei soigne sa reconstitution et sa figuration est imposante, ce qui rend le film encore plus efficace et insoutenable. En effet, on est loin des reconstitutions de série Z avec quelques bouts de décors et deux ou trois figurants. L'horreur devient un élément historique et prend ici un côté particulièrement terrifiant, car en alternant reconstitution et images d'archives, le réalisateur enlève au spectateur toute possibilité d'échappatoire (la phrase magique "ce n'est que du cinéma" devient caduque), emprisonné dans un cauchemar de celluloïd le spectateur devient lui-même prisonnier du réalisateur.
En visionnant ce film, on en vient à se demander si dans certaines situations la suggestion n'est pas préférable aux débordements les plus sanglants. Certes, pour le réalisateur, rien ne doit être caché car il a vendu son produit (qui reste racoleur malgré l'argument historique) sur cette surenchère (ce qui lui permit de le financer après Men Behind The Sun). Mais cette accumulation de massacres en tous genres perpétrés par des Japonais la bave la lèvre et les yeux exorbités aurait pu desservir le film et son propos. Pourtant cette démesure fait justement de Black Sun un film à part dans la catégorie III en particulier et le cinéma asiatique en général, une sorte de hurlement pour éviter que certains révisionnistes ne réussissent à inhumer dans les limbes de l'histoire l'une des pages les plus sanglantes du vingtième siècle.
The Omega Man