Plusieurs personnes et plusieurs couples se retrouvent au même moment et au même endroit, sur une route enveloppée d'un épais brouillard. Pris au piège par cette purée de pois à couper au couteau (de glace), ils se replient non loin et, tour à tour, dans une demeure aux allures de vieux manoir. Il va sans dire que le cauchemar ne fait que commencer...
La mansión de la niebla alias Murder Mansion est un fourre-tout foutraque cosigné Francisco Lara Polop et Pedro Lazaga, basé lui-même sur un scénario brumeux (pour ne pas dire à la mords-moi-le-noeud ), signé Luis G. de Blain et Antonio Troiso : sans forcément le savoir on connaît ces derniers pour avoir collaboré à l'un des films de Sergio Corbucci les plus paresseux des années 70 (Le blanc, le jaune et le noir) ainsi que pour avoir scénarisé aux côtés d'Umberto Lenzi, ce qui reste sa meilleure réussite dans le genre giallesque : Il coltello di ghiaccio.
A ce sujet, il est impossible, à la vision de La mansión de la niebla, de ne pas voir que leurs auteurs y refourguent, à peu de choses près, les mêmes ingrédients : personnes réunies malgré elles dans un lieu reculé, ambiance vaguement gothique de circonstance, présence d'un cimetière situé en vis-à-vis, ainsi que des meurtres et flashbacks explicatifs venant faire office de trame criminelle autant mystérieuse que capillotractée.
Difficile également de ne voir qu'on y fait coup-double puisqu'on y retrouve, d'un film à l'autre, plusieurs acteurs en commun, lesquels semblent être restés dans le même décor : Ida Galli bien entendu (on se souvient de son traumatisme "taureaumachiste"" du film de Lenzi), Eduardo Fajardo (qui passe du statut de chauffeur à celui de bourgeois ingénu et infidèle), Franco Fantasia (qui garde ici son arme à feu) ainsi que George Rigaud, promenant comme toujours un air avenant pouvant cacher les pires méfaits ou intentions. Ce dernier n'intervient ici que dans des flashbacks tous voués à une dernière bobine assassine mais tient néanmoins un rôle prédominant dans cette mosaïque d'histoires dont l'une, à tendance giallesque, mettant en scène sa fille Elsa (campée par une Analía Gadé psychotique), prend la plus grande part à l'écran.
Ailleurs, c'est un fantastique de pacotille qui semble vouloir napper cette petite pièce montée d'un surnaturel horrifique : dès leur arrivée, nos personnages égarés (mais néanmoins rapidement et confortablement installés dans le salon à tailler le bout de gras), sont donc accueillis par la maîtresse des lieux, Martha Clinton (Evelin Stewart) : elle leur explique que jadis un vampire a sévi dans cet endroit reculé, jusqu'à propager un virus de mort tuant la population, d'où ce cimetière non loin. De même, l'ancienne propriétaire serait morte dans un accident de voiture, son chauffeur avec. A cela viennent bientôt s'ajouter les déambulations de deux revenants allant et venant autour de la demeure, provoquant frayeur puis meurtres. Qu'à cela ne tienne, les très gourmands Luis G. de Blain et Antonio Troiso en rajoutent une caisse avec la vieille Ellen (Ingrid Garbo) dont le portrait campe au milieu du salon et qui, ô surprise, fait office de morte-vivante, et saupoudrent le tout d'une historiette entre un jeune motard véloce (Andrés Resino - Jack el destripador de Londres / "La furie des vampires") et une jeune femme à vélo (Lisa Leonardi - L'alliance invisible) avec, en point de mire, un Alberto Dalbés (Week-end pour Eléna / La malédiction de Frankenstein) en amant assimilé au père (ouf!), le tout dans une histoire de psyché détruite et d'héritage ultra rabâchée.
Avec tous ces ingrédients au service d'une seule pellicule, Francisco Lara Polop, dont c'est le premier film (suivront d'autres récits criminels dont "Perversión" ou "Obsession" avec la jeune Victoria Abril) et le vétéran Pedro Lazaga (93 longs métrages recensés entre 1943 et 1979), ont bien du mal à se dépêtrer et balancent une mixture flirtant avec la confusion et confinant par moments à l'indigestion.
D'un autre côté, si le fait de se retrouver en terrain familier (une fois de plus, me hasarderais-je à dire) contribue paradoxalement au plaisir que l'on prend devant La mansión de la niebla, il est difficile d'affirmer, malgré tous ses défauts, qu'on s'ennuie. Ce dernier présente également d'énormes similitudes avec Qualcosa striscia nel buio tourné l'année d'avant par Mario Colucci : du brouillard en lieu et place de pluie diluvienne, des gens que rien ne relient de prime abord se retrouvant à devoir cohabiter dans une ambiance de maison hantée et de tueur en série (ici substitué par la dépression profonde du personnage joué par Analía Gadé) jusqu'à ne plus savoir qui est responsable ou victime, ni de qui, ni de quoi, ni même pourquoi.
Inceste, héritage, appât du gain, folie, schizophrénie, vengeance, machination, malédiction ancestrale, revenants... tant d'éléments que nos deux réalisateurs ont bien du mal à phagocyter pour rendre un tout homogène. Après une mise en place laborieuse, Lara Polop et Lazaga ne parviennent ensuite que trop rarement à surprendre, ce malgré les nombreuses ramifications scénaristiques. On a du reste tôt fait de mettre au placard tout le pan surnaturel du film, s'apercevant dans un même temps que les ficelles, bien que noyées dans l'excès, sont aussi énormes que celles de pantins mal articulés. Un petit peu comme les acteurs du film, lesquels tentent avec savoir-faire et talent de nous faire avaler les couleuvres de l'histoire sans trop y parvenir.
En l'état, grâce à la petite atmosphère distillée aux dépends de la surenchère ainsi qu'à ses dix dernières minutes ironiques et macabres, La mansión de la niebla se laisse regarder avec une certaine indulgence (ou une indulgence certaine). A chacun, finalement, de se situer entre le trop-plein et la générosité d'un tel film.
Mallox