Innocents aux mains sales, Les
Genre: Giallo , Thriller
Année: 1974
Pays d'origine: France / Italie / Allemagne (RFA)
Réalisateur: Claude Chabrol
Casting:
Romy Schneider, Rod Steiger, Pierre Santini, François Maistre, Paolo Giusti, Jean Rochefort, François Perrot...
 

A Saint-Tropez, Wormser (Rod Steiger) vit retiré des affaires avec sa femme, Julie (Romy Schneider), beaucoup plus jeune que lui. Venant d'être victime d'une crise cardiaque, il doit éviter les rapports sexuels et à tendance à se saouler pour oublier sa frustration. Julie fait alors la connaissance de Jeff (Paolo Giusti), un voisin qui vient chercher son cerf-volant venu se nicher sur ses fesses durant un bain de soleil. Elle devient rapidement la maîtresse du jeune homme qui est écrivain. Les amants décident d'éliminer Wormser en camouflant sa mort en accident de bateau. Après tout, quoi de plus logique que de faire une crise cardiaque et de passer par dessus bord, après avoir un peu bu sur son yacht ?
Les choses ne se déroulent hélas pas comme prévu. Julie apprend que non seulement son mari a disparu, mais également que son argent a été entièrement retiré de son compte en banque au préalable. Pire encore, la voiture soi-disant prêtée à son amant en route vers l'Italie est retrouvée écrabouillée dans un fossé.



Adapté d'un roman noir américain de Richard Neely, Les Innocents aux mains sales, bien qu'inégal, est plutôt une réussite.
Il pèche surtout au niveau de son casting international : si Romy Schneider est convaincante, Rod Steiger, avec ses yeux de chien battu, l'est un peu moins (on sait qu'il en fait souvent trop, bonjour en passant au "Refroidisseur de dames"). Idem au niveau des seconds rôles. Le duo de policiers campés par Pierre Santini et l'excellent François Maistre est chouette comme tout : décalé, beauf et génial à la fois, rempli d'humour (leurs apparitions autour d'une partie de pétanque qui fait office de réflexion sur l'enquête, ou bien en train de se faire des sandwichs jambon-beurre sont un régal, idem pour leurs dialogues pour le moins misogynes). En revanche, Paolo Giusti (Patrick vive ancora, Le témoin à abattre, "L'infirmière de l'hosto du régiment",...) qui joue l'amant de Schneider est juste abominable (Chabrol l'avait lui-même décrit comme un jeune premier italien hallucinant de médiocrité). Au crédit de Les Innocents aux mains sales, la présence d'un Rochefort très vif et pertinent en avocat (du diable) et surtout, celle du formidable François Perrot qui nous vaut également une ou deux scènes mémorables dans lesquelles il range Julie dans la catégorie "femelle", accessoirement "dégueulasse".

 

 

Le plus étonnant, vu qu'il s'agit d'une coproduction franco-italo-allemande (pour précision : Les Films de La Boétie/La Jupiter Generale Cinematografica - Concerto per pistola solista.../La Terra Filmkunst - Le chat à neuf queues, L'Iguane à la langue de feu...), c'est qu'on ne le classe pas dans les gialli- machination. Pourquoi ? Pour l'unique raison qu'il serait plus français qu'italien ou allemand ?
Au niveau ingrédients, rien ne le distingue de ce que faisaient Lenzi (Une folle envie d'aimer/Paranoïa) ou Guerrieri (L'Adorable Corps de Deborah) à la fin des années 60 ou d'autres encore au début des années 70 : une machination destinée à éliminer un mari puis à récupérer son pèze. S'ensuivent des rebondissements, eux-mêmes calculés hors-champ : les rouages d'autres machinations, et ainsi de suite juste qu'au dénouement avec révélations par paliers.
Quant au quota sexy, il est assuré dès le début, lorsque le voisin arrive dans le jardin où l'actrice est allongé nue, puis par des scènes d'amour (et de voyeurisme jaloux).

 

 

Il n'y a donc rien, strictement rien qui le différencie des gialli considérés comme tels, si ce n'est que le film de Chabrol est, sans être une réussite majeure non plus, supérieur à la plupart d'entre eux. Il y a ce décalage rigolard qui devance un spectateur non dupe d'être manipulé (reste à savoir de quelle manière) qui en fait un film plus sulfureux et plus paranoïde qu'à l'usuel ; l'ambiance et la mise en scène sont assez peaufinées, même si les secrets peuvent parfois s'anticiper.

Là où les manoirs pouvaient servir de décors tendant vers le gothique auparavant (Les Nuits de l'épouvante, Les Diablesses,...) vient se substituer une architecture plus moderne, faite d'escaliers blancs en colimaçon, de bars américains et de fenêtres dans les murs pour la praticité, pouvant néanmoins servir au sein du thriller, d'oeil du témoin...
Cependant, malgré ce côté moderne, on y trouve les mêmes déambulations nocturnes filmées de façon gothique, avec ses jeux de lumières et d'ombres montrant parfois des indices tout en cachant le principal. A ce sujet, il convient de rendre hommage à Jean Rabier, directeur de la photographie indissociable de l'oeuvre de Claude Chabrol. Tout cela, il faut bien le dire, forme un film plutôt pas mal torché.

 

 

Là-dessus, pour remettre une couche de confusion, à bien regarder sa source américaine (même pour contester son appartenance au genre giallo), à savoir l'écrivain Richard Neely, on s'aperçoit qu'en 1970, il écrivait "Cauchemar sous plastique" et, lorsqu'on pense par exemple à L'homme sans mémoire de Tessari, classé quant à lui dans les gialli (et tourné la même année que ce Chabrol), il est difficile de ne pas les assimiler (même si on assimile parfois le Tessari au Duvivier : "Diaboliquement vôtre"). Sans compter, et c'est là que le classement contient son lot d'absurdités parfois, que ce roman a été adapté par Wolfgang Petersen en 1990 avec "Troubles" : un film pas extraordinaire, soit, mais là n'est pas la question.

Bref, la définition et les classements giallesques deviennent parfois incohérents ou du moins capilotractés, un peu comme les rebondissements qu'on trouve dans le Chabrol et dans le thriller/giallo-machination en général. Il est même assez probable que, tourné par un Italien et catégorisé Bis (ce qu'il est un peu, Chabrol tournant là un film de série sans avoir toute la marge de manoeuvre nécessaire), on classerait "Les Innocents aux mains sales" au rayon giallo sous influence "Les diaboliques" (ici aussi il est question d'amour, d'infidélité, de meurtre, d'héritage, de mort qui réapparait, etc.) et on ne se contenterait pas de le mettre en exergue au sein de la carrière de Chabrol qui ne verse pas ici complètement dans son thème de prédilection, à savoir la bourgeoisie provinciale et les dessous cachés sous le vernis des apparences.

A l'époque, si on lui additionne d'autres films connus ou moins connus tels que Les magiciens, le réalisateur était clairement le représentant numéro Uno du thriller- machination en France. Et quand je dis en France, n'oublions pas que les deux films sont franco-italo-allemands, Les magiciens voyait même se croiser au casting Jean Rochefort, Franco Nero, Gert Froebe et Stefania Sandrelli. Après tout, si l'on comptabilise les giallo-paëlla (ou les amarillo selon Didier Lefèvre, merci à lui), pourquoi ne pas aller jusqu'au bout du raisonnement et, sachant que la mort peut pondre des oeufs, faire une petite place au Cocorico-giallo?
N'évoquons même pas l'influence d'Alfred Hitchcock qu'on retrouve dans le giallo comme chez Chabrol.

 

 

Quoi qu'il en soit, et après ce détour aussi long que les routes meurtrières, tout en zigzags, allant de Menton à Vintimille, Les Innocents aux mains sales mérite d'être redécouvert. Pas seulement parce que Romy Schneider y campe, selon les flics, une salope et, selon son amant, une pouffiasse (sic), mais parce que le canevas et sa mise en scène sont suffisamment brillants pour que les deux heures qu'il dure passent comme une lettre anonyme à la poste.

Il est à noter également que la nudité, explicitement montrée, notamment dans la première scène pré-générique, outre qu'elle remplit sa fonction putassière, cristallise d'entrée le jeu de dupes à venir entre les deux personnages, à savoir Julie et Jeff, plus que leur amour véritable. En cela, Chabrol est un réalisateur malin et vénéneux.
La musique de Pierre Jansen (Objectif: 500 millions mais surtout compositeur indissociable de la carrière du réalisateur), épousant les tourments schizophrènes de personnages tour à tour dépassés en même temps que les morceaux de suspens nocturnes purs, vaut bien, à sa manière, celle parfois écrasante d'un Morricone.

 

 

Mallox

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