Apparemment hanté par une véritable passion pour les femmes, un riche play-boy sillonne les États-Unis à bord de son hélicoptère pour agrandir sa "collection". Mais ce n'est pas le goût des conquêtes qui le pousse à séduire ainsi. Il destine les jeunes femmes à un tout autre usage : nourrir ses chats. Du reste, le voici qui s'en revient avec la dernière femme séduite et probablement sa prochaine victime...
Et ils nagent dans la mer, et ils nagent dans la piscine ; ils sont nus, ils y font l'amour. Aux sentences amoureuses telles que "J'aimerais rester avec toi éternellement" répondent de béâtes possessivités romantiques "On est d'accord, j'aimerais que tu restes avec moi. Mais dans un endroit où personne ne te touchera. Par exemple, dans une cage de cristal."... C'est un peu tout le cinéma de René Cardona Jr. résumé dans un préambule hors du temps, hors norme, au-delà de tout repère connu. Le réalisateur défie toutes les lois narratives et rythmiques. Même les pâles d'un hélicoptère peuvent être sujettes à l'une de ses rêveries tandis qu'il tente des travellings savants, des contre-plongées et des angles tarabiscotés qui n'ont jamais de véritable raison d'être. Un serviteur chauve au regard inquisiteur semble lui aussi figé, comme dans une image arrêtée, un tableau à l'onirisme involontaire. Comme suggéré un peu avant, les dialogues sont à l'avenant et l'histoire fait des bonds aussi aériens qu'un chat volant au ralenti, dans les airs, après avoir été lancé par un héros barbu pourvu de Ray-Ban grosses comme des couilles d'éléphant, pour en rejoindre cent autres. Peut-être mille.
Psycho-killer, gothique, laboratoire, macabre, sensualité et non-sens, voici le programme de La noche de los mil gatos.
Décomplexé, sorte d'alter ego du cinéaste, lui-même parfois serial killer de spectateurs (voir "Tinterora" jusqu'au bout et puis mourir), notre play-boy se permet même de se poser, comme ça, sans prévenir, à l'improviste, sur les terrasses de propriétés de femmes bronzant aux abords de leur piscine. Il est comme ça notre propriétaire aux mille chats. Et ça marche ! Dans des sortes d'hallucinations collectives - dont on pourra toutefois se sentir exclu selon son état à la vision du tacos volant non identifiable - il parvient même à conclure sans sortir de son engin, grâce à des signes pour sourds et malentendants. ("Je t'appelle, ok ?" Elle succombe immédiatement à son charme, lui renvoie le sourire radieux de l'acceptation, "Allez hop ! Une minette de plus pour mes matous !"). Quant à l'ensemble, il ressemble au même sample, monté en boucle. Les femmes séduites se succèdent, font un bon repas, sont amenées à visiter les tréfonds du manoir, frémissent de peur de par leur ambiance lugubre puis sont données en pâtées pour chats. Tout comme chaque intrus, inspecteur de police compris, qui viendrait s'aventurer dans cette bien funeste demeure.
Il existe des pellicules, rares à vrai dire, qui font la boucle pour toucher du bout du doigt le sublime. À naviguer dans les marais d'un surréalisme qui engloutit jusqu'à son auteur, et à force de ralentis aussi psychotiques que mille chats affamés, La noche de los mil gatos fait partie de cette espèce. Même le montage accède parfois au suprême. On pense aux Chasses du comte Zaroff en version "Predator per Seductor", et ce n'est pas le moindre compliment qu'on puisse faire à René Cardona Jr.
Touristique, redondant, léthargique, tels sont les termes dont on affuble en général La nuit des mille chats. S'ils ne sont pas volés, selon l'humeur du moment, on aura aussi le droit de trouver cette variation sur le thème de Barbe-bleue hypnotique ; à plus forte raison sur sa version non écourtée, celle de 93 minutes (pour une trentaine de minutes de Barbe-bleue version Supercopter).
Coécrit et co-produit avec son acolyte Mario A. Zacarías, au rayon "Chats mexicains", La noche de los mil gatos ne pourra jamais prétendre rivaliser avec l'unique chat de Más negro que la noche. Cependant, moins terre-à-terre qu'un chat canado-britannique de "The Uncanny", il peut se targuer de posséder une somptueuse photographie due au très talentueux Alex Phillips ("Mains criminelles" de Roberto Gavaldón, "Robinson Crusoe" et "La montée au ciel" de Luis Buñuel, jusqu'au "Château de la pureté" d'Arturo Ripstein). La partition de Raúl Lavista, qui composera du reste la musique de Más negro que la noche deux ans après et fort alors d'une carrière de déjà plus de trente ans et 250 films, contribue elle aussi à sa manière au côté "lounge" de la chose.
Un petit mot sur les acteurs enfin : Hugo Stiglitz, ici en tueur en série, hôte généreux d'un serviteur chauve et de félidés mieux nourris qu'à la SPA, est parfaitement ridicule et c'est pas plus mal ainsi. Également coproducteur de la chose, ce dernier est extrêmement populaire dans son pays et habitué à jouer pour Cardona Sr. ("Le mystère du triangle des Bermudes", "Cyclone", "Guyana - La secte de l'enfer"...). On le reverra entre autres hors de ses frontières dans L'avion de l'apocalypse (1980) d'Umberto Lenzi. Dorgo, le chauve inquiétant, est campé par Gerardo Zepeda. Ce dernier, après avoir côtoyé Santo et Blue Demon, sera aussi bien présent chez Alejandro Jodorowsky ("El topo") qu'aux côtés de Ringo Starr (L'homme des cavernes). Rayon pâtées pour chat, défilent pour nous caresser dans le sens du poil, Anjanette Comer ("La Bataille de San Sebastian", "The Baby" de Ted Post, Dead of Night...), Christa Linder (Le Commissaire X traque les chiens verts, Commissaire X : Halte au LSD, Le Dernier jour de la colère, Vagabundo en la lluvia...) ou encore, plus confinée à la seule production mexicaine, la jolie Zulma Faiad. Inutile, je pense, de compter puis de pointer les chats, disons qu'ils sont globalement très convaincants dans cette gamelle destinée à des spectateurs (très) avertis.
Mallox