A Girl's Tears
Titre original: O lacrimă de fată
Genre: Expérimental , Policier
Année: 1980
Pays d'origine: Roumanie
Réalisateur: Iosif Demian
Casting:
Dorel Visan, George Negoescu, Horia Baciu, Luiza Orosz, Constantin Rădulescu...
 

Début des années 70 - un duo de policiers roumains arrive dans un village du Maramures, accompagné d'une équipe de reportage censée filmer leur enquête. Une jeune fille y a été trouvée noyée dans la rivière locale dans des circonstances troubles laissant penser à un meurtre. La victime, technicienne agricole fraichement diplômée, était une orpheline, étrangère au village, arrivée quelques mois plus tôt pour travailler dans le "kolkhoze" local et qui avait été mise à pied peu de temps avant sa mort pour vol d'engrais. L'enquête se heurte rapidement à la mauvaise volonté des paysans locaux. Deux images de la morte se dégagent des différents interrogatoires, celle d'une jeune fille aimée de tous mais régulièrement battue par son fiancé, un militaire natif du village décrit comme alcoolique et violent, et celle, très minoritaire, de la part des quelques personnes non employées par la collectivité agricole, d'une jeune femme rapidement prise en grippe par ses supérieurs au "kolkhoze" et qui, depuis sa mise à pied, allait la nuit et en secret inspecter les parcelles agricoles. Par ailleurs, un drame survenu au même endroit plus de vingt ans auparavant, au moment de la collectivisation des terres, présente de troublantes similitudes avec la mort de la jeune orpheline...

 

 

Ce film longtemps oublié fut redécouvert récemment dans son pays. Une redécouverte sans doute liée à la mode du found footage dans les petits budgets horrifiques nord-américains (et espagnols, norvégiens, monculsurlacomodiens, etc.) parfois tournés dans des studios roumains. Très original sur la forme (pour son époque) et le fond (pour un film de la république populaire roumaine), par ailleurs contemporain du "Cannibal Holocaust" de Ruggero Deodato tourné la même année (1980 donc), O lacrimă de fată, qui fut sélectionné à Cannes (dans la section "un certain regard" où il passa inaperçu), peut se revendiquer comme un des précurseurs de ladite mode. Sauf que... sauf que... autant la filiation entre le film de Deodato et toutes les semi-merdouilles tournées depuis "Le Projet Blair Witch" avec une caméra sur l'épaule est évidente, autant le lien avec le présent film n'est que purement esthétique : images merdiques, cadrage dégueulasse et "mal de mer" sont certes de la partie mais, bien plus qu'un found footage, O lacrimă de fată est un "footage in progress" puisqu'il montre le tournage d'un documentaire.

 

 

A Girl's Tears n'est pas non plus totalement un "faux documentaire" (genre remontant aux années 30) puisqu'il alterne image dudit documentaire (avec viseur au centre de l'écran) et image du tournage de ce documentaire (avec l'équipe de tournage présente en arrière-plan). On peut d'ailleurs se demander l'intérêt de l'alternance des deux formes puisque les images "hors documentaire", tournées elles aussi caméra sur l'épaule, sont esthétiquement aussi discutables que le faux documentaire, et que par ailleurs, contrairement à ce que l'on pourrait croire, cette alternance ne sert pas à distinguer un discours officiel (dans le documentaire) et une parole officieuse (hors documentaire) des protagonistes, mais uniquement à nous montrer l'équipe technique en train de tourner. Le principal intérêt, donc, de ce format de semi-found footage, outre un coût de production peu élevé et une originalité bien éventée depuis (mais qui lui valut une sélection à Cannes), c'est de pouvoir mêler acteurs professionnels et authentiques bouseux de l'authentique village qui servit au tournage sans que cela choque mais au contraire donne une certaine véracité au faux documentaire, le relatif amateurisme des semi-figurants s'expliquant par les conditions d'un interrogatoire devant une caméra.

 

 

Mais c'est plus sur le fond que sur la forme que O lacrimă de fată est original puisque, cas unique parmi les polars "Ceaucescien", il est inspiré d'un authentique fait divers ayant eu lieu en 1970, d'où l'aspect très réaliste et crédible de l'enquête et l'absence d’éléments propagandistes dans le scénario. Une démocratie populaire ne pouvant produire des assassins, la plupart des polars roumains des années 70 sont situés temporellement durant la période pré-communiste (les "Commissaire Roman" et la série des "commissaire Moldovan"), et si par exception l'action est contemporaine, l'origine du crime a ses tenants dans la période pré-communiste (The Man in the Overcoat). Hors ici, si les motivations réelles du meurtre prennent leurs racines dans le passé, ce n'est pas celui du régime précédent mais celui de la collectivisation, une collectivisation qui ne s'est pas déroulée sans heurts. Pour autant (et contrairement à ce que l'on peut lire dans les rares critiques roumaines contemporaines), il ne faut pas voir dans le film une critique politique plus ou moins subtile du régime en place, ni dans le village et l'omerta voir dans la culpabilité collective qui y règne (une culpabilité qui in fine s'avérera n'avoir pas de rapport direct avec l'assassinat) une allégorie de la Roumanie sous Ceausescu. Par contre, on peut considérer le film comme un authentique et rare témoignage sur la Roumanie rurale des années 70, et c'est cela bien plus que son "esthétique expérimentale" qui fait l'intérêt de ce métrage.

 

 

Sigtuna

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