Le corps sans vie de Gregory Moore, journaliste américain détaché à Prague est découvert une nuit, dans l'un des parcs de la ville. Bien que déclaré mort par les médecins, l'homme ne l'est pas et est étrangement en mesure d'entendre et de voir ce qu'il se passe autour de lui, sans malgré tout pouvoir bouger et donc le manifester. Ce qui le sauvera d'une autopsie, c'est l'absence décelée par l'un des légistes, de rigidité cadavérique en même temps que le refroidissement propre à la mort.
Le journaliste se voit également frappé d'amnésie et c'est petit à petit, par flashs, que sa mémoire lui reviendra, alors il se souviendra qu'il était en train d'enquêter sur la disparition sans queue ni tête de Mira, sa fiancée. Dans son investigation qui lui revient par brides, Gregory Moore avait alors découvert, tandis que la police patinait de son côté, que la disparition de sa compagne ressemblait singulièrement à d'autres disparitions de jeunes femmes ayant eu lieu au fil des années précédentes. Tandis qu'il se souviendra que ses recherches l'avaient menées invariablement au sein d'une sorte de Club privé pour vieux notables, de l'autre côté, certains intérêts semblaient lui mettre des bâtons dans les roues dans ses recherches, tout comme certains semblent actuellement vouloir le faire taire afin qu'il ne recouvre pas sa mémoire, ou mieux encore, disparaisse enfin pour de bon...
"Je suis vivant" est un sacré bon Giallo. L'un de ceux qu'on peut prétendre "supérieur" ou majeur au sein du genre, tant non seulement il se démarque tranquillement du lot, s'appuyant sur un scénario remarquable, mais qui plus est dans le spectacle qu'il offre à son spectateur a le mérite de le hisser vers le haut et de ne pas se reposer sur une seule qualité, voire de surfer de trop près sur les succès de l'époque. A l'instar des gialli offerts par Lucio Fulci, Aldo Lado a un grand mérite - en tout cas avec cette "Corta notte delle bambole di vetro" - celui de ne pas prendre son spectateur pour un idiot en lui servant des plats tous prêts ou réchauffés, lui rendant les choses faciles. Certes le film est loin d'être parfait et à la demie heure, on aura droit de s'ennuyer tant il se perd en dialogues empesés, le faisant stagner, et s'il n'y avait pas cette astuce scénaristique à base improbable de catalepsie, Lado frôlerait même la correctionnelle.
Ce qui le sauve dès lors également, ce sont deux choses qui ne se démentiront jamais par la suite. D'un côté la faculté que peut avoir Aldo Lado à utiliser son décor (ici Prague) pour en faire ressortir tout son côté oppressant - qualité que l'on retrouvera du reste dans son film suivant "Qui l'a vue mourir ?" où Venise sera brillamment exploitée - de l'autre son excellente direction d'acteurs qui réussit à faire du personnage de Jean Sorel, acteur, je le répète, assez fadasse et limité, mais qui joue parfaitement les personnages dépassé par des machinations, d'ailleurs son rôle ici n'est pas sans rappeler celui qui était le sien dans le superbe "Perversion Story" de Lucio Fulci, deux ans avant. Oserais-je ajouter que lorsqu'il joue le "mort clinique" comme c'est le cas ici, il se défend d'autant mieux ? Presque, et quoiqu'il en soit, ça y est, à la demie heure, le film décolle enfin et trouve sa mesure, entre flashs back, lisière du fantastique, complot de notables, jalousies et quête de soi, et la force du film est telle qu'on s'identifie complètement à cet homme endive qui semble pourtant déjà faire partie du passé, donnant même une atmosphère toute en lévitation au film.
Même le titre français, sans être d'une grande originalité, vient résonner comme un cri qui viendrait de l'intérieur et la mise en scène qui n'a pourtant rien d'époustouflante en soi - et certes, on n'y retrouvera pas les outrances stylisées des Bava / Fulci / Argento - mais Aldo Lado a l'intelligence alors de se faire oublier et de suivre son scénario, il est vrai, assez formidable, et c'est plutôt vers un Tonino Valerii et sa "Folie Meurtrière" que le film pencherait dans son parti pris de s'effacer devant son sujet. Ce qui ne l'empêche non plus de disséquer les détails à portée de main, ainsi la galerie assez impressionnante de personnages inquiétants qui semblent cerner Jean Sorel dans un même mouvement, faisant de chaque être un coupable potentiel lorsque ce n'est pas à une machination plus large à laquelle on pense.
Son amie Mira (Barbara Bach) déjà, est bien trop lisse pour ne pas sembler cacher quelque chose, la haine tenace que lui porte Jessica (Ingrid Thulin), la journaliste qui accompagne notre héros, ne ressemble que trop à de la jalousie pour être honnête, le comportement de Jacques, son meilleur ami (l'excellent Mario Adorf) semble trop bon pour être vrai d'autant plus qu'il se verra rapidement soupçonné, peut-être à tort, peut-être à raison, ailleurs dans ce qui semble accessoire, on fait la connaissance d'une espèce de chercheur quantifiant la douleur de la tomate (et oui !) et des végétaux en particulier, un aveugle bien trop terrifié pour ne pas cacher de lourds et dangereux secrets, puis comme tout giallo classique qui se respecte, ses personnages qui disparaissent dès qu'ils semblent prêts à révéler ce qu'ils savent... bref, tout y est et même plus encore. La où personnellement j'aurais tendance à trouver le metteur en scène lourd (lourdeur que l'on retrouvera de façon plus grave dans ses films suivants), c'est qu'à un moment, je me dis ceci : "tu es chez Lado, cherches le notable, tu trouvera le coupable !", et là, étrangement, ça marche pas trop mal, et de même s'il y a quelque chose de trop dans ce film là, c'est l'irruption soudaine de satanisme, qui même s'il demeure intelligemment flou, voire non expliqué, me semble vraiment trop venu d'ailleurs pour n'être là que pour recoller les morceaux du puzzle.
Dommage, vraiment dommage, car les qualités du film sont pourtant énormes et auraient pu se passer de ce genre de tour de passe-passe qui semble kidnapper d'un seul coup d'un seul, le film, résolvant tout au passage dans un grand coup de balai. Quand ailleurs Prague est si finement photographié et utilisé achevant de donner au film sa dimension paranoïaque perdue, quand la partition de Ennio Morricone vient souligner aussi joliment, malicieusement et de façon lancinante l'atmosphère du film empreint d'une apesanteur inquiétante, quand Lado parvient à insuffler à presque chaque détail quelque chose de troublant (Je pense entre autre mais ce n'est pas tout, au cristal et ses papillons qui ne cessent d'obséder Gregory Moore, et dans leur effet miroir qui détiendront bien la clé du mystère), quand des acteurs (et donc même Sorel, qui quand même me fait chaque fois penser à ce qu'aurait pu être le papa de Tom Cruise / j'y peux rien, c'est comme ça !) de Ingrid Thulin à Barbara Bach ici quasi-débutante sont aussi bien dirigés, quand les intérieurs sont tout aussi bien exploités que les extérieurs, ainsi hôpitaux, morgues et autres diverses appartements y semblent des lieux où tout peut s'y produire, à l'instar (mais là je resterai plus confidentiel) de cette scène finale tellement remarquable qu'elle fera définitivement pencher le film du bon côté, en même temps de trotter longtemps dans les esprits, à nouveau dommage donc, qu'ailleurs ce soit parfois lourd (Les bourgeois, c'est comme les cochons), et inégal d'intérêt, surtout dans sa première partie qui a du mal à prendre son essor.
En l'état et pour finir comme j'ai commencé, il s'agit tout de même d'un sacré bon giallo qui sait laisser son empreinte, en même temps que marquer, ce de façon plus ou moins roublarde parfois, ampoulée par moments également, mais en tout cas, de façon très talentueuse la plupart du temps.
Note : 7/10
Mallox
A propos du film :
# Le film s'est d'abord appelé "Malastrana" puis "La Corta notte delle farfalle di vetro" (littéralement : La courte nuit des papillons de verre). Mais le titre fut alors modifié car tout juste avant sorti le film de Ducci Tessari, à savoir "
Una farfalla con le ali Insaguinate" (Un papillon aux ailes ensanglantées).