Mansion of the ghost cat
Titre original: Borei kaibyo yashiki
Genre: Epouvante , Fantastique , Esprits
Année: 1958
Pays d'origine: Japon
Réalisateur: Nobuo Nakagawa
Casting:
Toshio Hosokawa, Midori Chikuma, Fuji Satsuke, Shin Shitaba...
 

Oubliez de suite Edgar Poe et son "Chat Noir" qui pourrait nuire à la vision de ce beau film d'épouvante, car ce Mansion of the Ghost Cat, s'il en emprunte le postulat, se sauve très vite ailleurs dans des territoires et des codes plus cloisonnés du cinéma de genre japonais de l'époque pour, du reste, quasiment les mystifier. Film plutôt court, celui-ci est construit en trois parties gigognes : une nuit, dans la clinique où il exerce en tant que médecin, Tetsuichiro Kuzumi entend des pas se rapprocher lentement de son bureau ; perplexe, la clinique n'étant habituellement pas fréquentée à cette heure tardive, et restant sur le qui-vive, il commence à se rappeler un épisode de sa vie pour le moins étrange, survenu six ans auparavant...
Nous voilà alors six ans avant, époque où, sa femme Yoriko étant atteinte alors de tuberculose, celui-ci décide de s'installer dans une immense maison abandonnée à Kyushu, comptant exercer ici, tout en espérant y trouver un air plus sain qui contribuerait à la guérison de son épouse. Or cette dernière est rapidement sujet à de troublantes visions : une vieille dame apparaît régulièrement tentant de l'étrangler. Tetsuichiro Kuzumi, mettant rapidement cela sur le compte de l'état de santé de Yoriko, commence à douter dès lors qu'il retrouve leur chien sauvagement assassiné. Tentant d'expliquer ceci à son entourage, et sous les conseils d'un collègue, il entreprend d'aller rendre visite à un moine censé lui apporter des explications, voire des éclaircissements tout du moins. Le moine peu avare en confidence, commence à lui raconter ce qui s'est passé un siècle plus tôt dans sa nouvelle maison / clinique : en effet, une terrible malédiction semble peser sur la maison, suite à un meurtre survenu alors...
Un siècle plus tôt donc, Kokingo, maître dans l'art du jeu de go, est convoqué par le fils du chef du clan Shigen afin d'enseigner à son père tout l'art et la maîtrise de ce jeu ardu. Le père, alors bien trop orgueilleux, insiste auprès de Kokingo afin d'effectuer une vraie partie avec enjeu ; logiquement mis en échec, il tente de tricher tandis que Kokingo, s'en apercevant, s'énerve souhaitant abandonner la partie. Shigen, peu habitué à se voir contredire, exécute fissa Kokingo, le faisant ensuite emmuré dans une cache secrète.
Le fantôme de Kokingo apparaît alors à sa mère aveugle qui, semblant immédiatement comprendre, se rend au plus vite chez Shigen. Ce dernier qui n'en est pas à un méfait près, la séquestre puis la viole avant qu'elle ne se suicide, doublement bafouée qu'elle est. Mais juste auparavant elle émet un dernier souhait à son chat : laper son sang après son suicide et assurer la vengeance de sa famille...
Voici Tetsuichiro Kuzumi renseigné. En effet, l'âme du défunt n'aurait pas encore trouvé le repos et un chat-fantôme rôderait donc dans les parages afin de se venger.

 

 

Le film de chats-fantômes (le bake neko) est un genre très courant et très couru au sein de l'industrie cinématographique japonaise des années 50 et ce Mansion of the ghost cat semble faire partie des meilleurs (je n'ai dû en voir que trois celui-ci compris, alors qu'ils furent produits par dizaines). Le genre chat-fantôme donc, se réfère à une superstition quasi-traditionnelle qu'ont les japonais envers les chats ; importés de Chine au XIIe siècle, ils seraient dotés de pouvoirs maléfiques, du reste les maneki neko (chats-qui-te-saluent), mini-statuettes, pullulent dans les magasins Japonais et Asiatiques en général, et servent autant de porte-bonheurs que de remède superstitieux à l'encontre de leurs prétendus pouvoirs maléfiques.
Plutôt que de préjuger de la qualité des autres films du genre, autant le dire de suite, le film de Nobuo Nakagawa, à qui l'on devra ensuite l'incontournable "Jigoku", est un petit bijou de narration visuelle et Nakagawa se tire à merveille des restrictions budgétaires initiales, mieux, les détourne à son profit. Un métrage tourné en couleurs alors dans son intégralité revenait trop cher pour les studios de la Shintoho, le réalisateur eut l'idée particulièrement audacieuse, allant complètement à l'encontre des structures temporelles linéaires : s'entourant d'une équipe technique extrêmement talentueuse, que l'on retrouvera au générique d'oeuvres marquantes un peu plus tard, il débute son histoire au présent et, effectuant deux retours successifs dans le passé, la dernière partie chronologiquement plus ancienne est tournée en couleurs, tournant totalement le dos à la règle établie qui l'aurait voulu en noir et blanc, dans un cinémascope flamboyant et des couleurs pétaradantes.

 

 

La première partie, au présent, est au contraire dotée d'un noir et blanc et d'un magnifique éclairage tout en contraste, avec d'élégants mouvements de caméra qui donne d'entrée une ampleur au film. Dans le même plan et dans l'élan Nakagawa prolonge le générique animé (chose très rare à l'époque), pour entamer un très long plan-séquence d'une fluidité assez stupéfiante, qui fait sa caméra longer un mur, pénétrer l'intérieur d'une clinique, avancer dans de sombres couloirs, puis monter un étage (sans suivre les marches de l'escalier, on est chez Ophuls je vous dis !), pour arriver devant des doubles battants fermés ; reprise à l'intérieur, la prétendue vue subjective (vue à la première personne) se transforme en vue à la troisième personne avec l'entrée dans le champ d'un personnage. La maîtrise du mouvement fait penser au spectateur qu'il va mettre à la place un personnage secondaire, ce qui ne sera pas le cas. En revanche, un persistant bruit de pas n'était pas celui du personnage à l'écran, mais de quelqu'un s'approchant au beau milieu de la nuit dans les couloirs déserts de la clinique. Une coupure d'électricité plonge les spectateurs dans le noir et l'abrupt premier flash-back donne un agréable sentiment d'angoisse et de malaise en délaissant ainsi le professeur de la clinique face à l'inconnu qui s'approche.
La seconde partie et donc le premier flashback est tournée en un noir et blanc un brin plus granuleux, fin choix encore une fois, qui donne un résultat des plus angoissants, et le décor se suffit à lui-même dans sa magnificence. Nakagawa saute alors en athlète de haut niveau tous les poncifs du film du genre, en deux, trois minutes : l'archétype même de la maison hantée, la protagoniste principale pas dupe de la présence maléfique, l'apparition furtive du spectre d'une vieille dame et des traces de pas dans la couche de poussière de la maison, tout ceci s'arrête brusquement (alors que ces archétypes seuls assurent normalement le quota d'un film d'horreur) pour être outrageusement balancé sans explication aucune, fonce tête baissée dans un flash-forward plus qu'audacieux à l'intérieur de sa structure déjà non linéaire et nous renvoie direct au moment où le couple s'est installé dans la demeure. La mystérieuse vieille fait alors son retour pour tenter de tuer Yoriko et l'effet n'en est à l'écran que des plus saisissants.
On notera alors une trouvaille géniale que l'on use aujourd'hui jusqu'à la corde dans le film de fantôme : la vieille femme emprunte la voix du mari de la victime pour se faire ouvrir la porte.

 

 

Vous aurez compris à quel point j'estime ce film, pour lequel mes reproches iront surtout à une direction d'acteurs relativement délaissée (mais au profit du visuel narratif évoqué ci-dessus et qui porte magistralement le film), ainsi qu'une fin beaucoup trop Happy pour ne pas comprendre qu'on a affaire à une obligation de production. Mais bon, en l'état, que d'inventivité et quel beau film, à ranger quelque part entre les grandes réussites de Corman et celles de la Hammer.

 

 

Mallox
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