Au XIXe siècle, dans un petit village d'Italie, l'Inquisition arrête une jeune femme, Isabella Drupel (Rita Calderoni), décrétant qu'elle est à la fois une sorcière et un vampire. Elle est condamnée au bûcher. Sous les yeux de son compagnon (Mickey Hargitay), Isabella est torturée, un pieu est enfoncé dans sa poitrine avant qu'elle ne périsse dans les flammes. A la nuit tombée, l'amant inconsolable vient récupérer la dépouille de sa bien-aimée avec la complicité d'un ami versé dans les arts de l'occultisme (Raul Lovecchio). Le corps de la défunte est caché dans les souterrains d'un château et les deux hommes fondent une société occulte qui aura pour but de ressusciter Isabella dans les siècles à venir.
Environ six cents ans plus tard (c'est-à-dire de nos jours), Jack Nelson (Mickey Hargitay, encore), un homme fortuné, vient d'acquérir une partie du fameux château, l'autre partie appartenant au descendant de l'occultiste (et joué évidemment par le même Raul Lovecchio). Nelson est venu célébrer les fiançailles de sa belle-fille Laureen (Rita Calderoni, la revoilà) avec un dénommé Richard Brenton (William Darni). De nombreux invités ont été conviés dans ce cadre magnifique pour la circonstance, parmi lesquels figurent toutes les amies de Laureen, qui sont à la fois nombreuses et charmantes. Mais ce rassemblement semble avoir été programmé de longue date par les adorateurs de Satan qui sévirent en ces lieux au Moyen Age, un culte étrange qui s'adonne également au vampirisme. Le jour des fiançailles de Laureen coïncide avec la venue de la 25ème Lune, date à laquelle Isabella doit se réincarner. Pour que la cérémonie réussisse, il faut également sacrifier sept vierges, et les copines de Laureen paraissent être des victimes toutes désignées...
Résumer l'histoire de "Reincarnation of Isabel" n'est pas une mince affaire, et comprendre la démarche cinématographique de Renato Polselli s'avère encore plus complexe. Déjà responsable l'année précédente du fameux "Au-delà du désir", ersatz de giallo à tendance névrotique, qui mettait à jour les obsessions et la folie du metteur en scène, Polselli récidive dans le créneau horrifique, cette fois, mais de façon encore plus décousue, voire incompréhensible. "Reincarnation of Isabel" est un mélange détonant résumant en 90 minutes toutes les idées baroques du cinéaste. Pour se retrouver dans ce véritable capharnaüm, il est impératif de se concentrer, sous peine de lâcher prise très rapidement. En effet, Polselli prend un plaisir évident à tout mélanger : les époques, les personnages, le jour et la nuit, et même l'origine du mal. Secte sataniste au départ, la confrérie bifurque ensuite pour obéir à Dracula en personne. Histoire de larguer un peu plus le spectateur, Polselli s'ingénue à donner un double rôle à chacun des protagonistes de l'histoire (à l'exception de Richard, le fiancé de Laureen). Ainsi, retrouve-t-on tous les autres acteurs passer sans véritable transition du XIXe au XXe siècle. Si les transitions laissent donc à désirer, les explications sont quant à elles inexistantes, si bien que l'on se demande si les personnages du Moyen Age se sont réincarnés à l'approche du rituel, ou s'il s'agit simplement des descendants de la lignée, présentant la même apparence physique.
Difficile de s'y retrouver, dans cet amas chaotique d'images stroboscopiques, de couleurs vues à travers le prisme d'un kaléidoscope, d'une musique tantôt progressiste, tantôt psychédélique, accompagnant des sectateurs vêtus de pyjamas rouges et capes noires, le visage tartiné de fond de teint vert caca d'oie, et arborant des médaillons en toc récupérés dans un magasin de farces et attrapes.
Oui, vous verrez tout cela dans "Reincarnation of Isabel", et bien plus encore : des filles arborant des coupes de cheveux incroyables, des personnages italiens s'appelant Jack Nelson et Richard Brenton, des chauves-souris en caoutchouc, une nana hystérique, un serveur bourré de tics, un serviteur louche toujours tapi dans l'ombre, une scène érotique impliquant trois personnages dans une tournure voulue comique, et agrémentée d'une musique sortie tout droit d'un film muet.
A l'approche de la 25ème Lune, on bascule dans une complète hystérie. Les serviteurs de Satan, censés sacrifier les vierges (qui soit dit en passant sont plutôt délurées), sont pris de frénésie sexuelle et se jettent sur leurs victimes pour les violer (histoire de foirer le rituel un peu plus. C'est pas de chance, attendre six cents ans pour faire appel à une bande de débiles, cela ne valait pas la peine de se fatiguer). Une croix s'enflamme dans la nuit. Les villageois pètent les plombs et accusent deux des invitées d'être des sorcières. Ces deux dernières déambulent ensuite dans la nature à moitié nues, avant d'être rattrapées et de se retrouver avec Laureen et une autre fille prisonnières dans les souterrains, à côté du corps momifié d'Isabella. C'est à ce moment là que Richard s'exclame : "J'exige une explication. Tout semble faux dans ce château !" C'est la première phrase sensée du film, on peut pousser un "ouf" de soulagement.
Alors que le spectateur consciencieux finit enfin, avec du mal, à déterminer qui est qui, et ce qui se passe réellement, tout pète : Isabella renaît, et se marre. Mickey Hargitay hurle, des objets explosent, le sol tremble. Et puis, finalement, Laureen se réveille dans son lit, le visage enjoué. Elle se lève, marche, sautille même, et va déclarer son amour à Richard. C'est beau.
Malgré tout le mal que l'on peut dire de "Reincarnation of Isabel", de ses défauts qui sont tellement énormes qu'ils confinent presque au génie, la vision de ce film est un spectacle total auquel je convie chacun, tant cette oeuvre représente peut-être l'apothéose du cinéma de genre des années 1970 dans le domaine de l'excès. Lorsque je parle d'excès, je n'évoque pas l'érotisme, somme toute très léger (tout au plus quelques poitrines dénudées et un postérieur), ni l'horreur, réduite à la portion congrue (un pieu enfoncé entre les seins de Rita Calderoni, un coeur en plastique arraché du ventre barbouillé à la peinture rouge d'une victime). Non, l'outrance va bien au-delà, dans le style inimitable de son metteur en scène, un non sens ininterrompu qui force finalement le respect. Car Polselli, au bout du compte, est parvenu à rester homogène du début à la fin dans son délire filmique, au niveau de ses personnages et de son histoire. Il a réuni autour de lui le même casting (à peu de choses près) présent dans "Au-delà du Désir", avec une Rita Calderoni toujours aussi belle, et un Mickey Hargitay toujours aussi allumé. Les autres acteurs sont dans le même ton, composant une galerie de personnages plus grotesques que réellement inquiétants, mais garantissant un spectacle pour le moins inoubliable.
Car visionner "The Reincarnation of Isabel" est une expérience unique, marquante, et de laquelle on peut sortir fièrement de ne rien avoir compris, preuve qu'en réalité on a parfaitement assimilé l'esprit du réalisateur.
Flint