Traque, La
Genre: Survival , Drame
Année: 1975
Pays d'origine: France
Réalisateur: Serge R. Leroy
Casting:
Jean-Luc Bideau, Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle, Michel Constantin, Michel Lonsdale, Michel Robin, Paul Crauchet, Philippe Léotard, Françoise Brion, Georges Géret...
 

La Traque est il un Survival, une étude de mœurs, un pamphlet politique, la peinture mordante d'une certaine France, un film sur la lutte des classes, un drame psychologique, une toile de groupe, une dissection des bas instincts humains tapis quand on ne les soupçonne pas, un film d'aventures, un formidable film d'acteurs ? Tout ça en même temps mon Capitaine ! "La Traque" est un film tout aussi important qu'atypique dans le cinéma français des années 70. Un must, un incontournable, une œuvre à réhabiliter, un film qu'il faut avoir vu.

Helen Wells (Mimsy Farmer), une jeune anglaise, professeur à l'université de Caen se trouve bloquée dans une bourgade un peu paumée de la Grande Sologne afin d'y visiter un ancien moulin qu'elle a l'intention de louer comme résidence secondaire pour le week-end. Philippe Mansart (Jean-Luc Bideau) vient de passer la nuit avec Françoise, l'épouse de David Sutter, dont il a besoin pour se faire élire au conseil général et, rentrant chez lui, il propose à la jeune femme de l'emmener en voiture. Ça ne lui coûte pas grand-chose vu que c'est sur son chemin, car il s'apprête à rejoindre cinq de ses amis pour une chasse au sanglier. Parmi eux, on trouvera donc David Sutter (Michael Lonsdale), le notaire Rollin (Paul Crauchet), l'assureur Chamond (Michel Robin), le capitaine Nimier, ancien baroudeur d'Algérie (Michel Constantin), et les frères Danville (Jean-Pierre Marielle et Philippe Léotard), deux ferrailleurs, dont les manières rustres tranchent avec la "respectabilité" des cinq autres.

Sur la route, Philippe Mansart et Helen Wells croisent les frères Danville, très avinés. Après une stupide partie de "stock car" et les retrouvailles des amis chasseurs autour d'une bonne table et de bonnes bouteilles, l'affaire va tourner à la tragédie. Les frères Danville violent Helen dans une chapelle en ruine, avant que cette dernière ne blesse l'un d'eux avec un fusil oublié. La respectabilité de chacun sera dès lors en jeu et la peur du scandale va prendre le dessus…

 

 

Assez rapidement, on pense à plusieurs axes cinématographiques. D'un côté, nous voici plongés en plein film de genre, à savoir une sorte de Survival à tendance "Rape and revenge" qui n'est pas sans évoquer I Spit on your Grave de Meir Zarchi, notamment dans la scène de viol qui sert de postulat au film mais également dans la traque qui s'en suit, puis dans un final absolument éblouissant et sans concession.

D'un autre côté, l'intrigue sous-tend une charge tout aussi virulente contre la société bourgeoise et le conformisme de l'individu, quelle que soit l'échelle sociale à laquelle il appartient. On accouche donc alors d'une sorte de "Dupont Lajoie" version chasse en Sologne, mâtinée de Claude Chabrol période "Le Boucher" ou "Que la bête meure". Bref, tout ceci ne fait pas de cadeau et la peinture n'épargnera personne, et certainement pas les notables, dont Serge Leroy fait habilement ressortir le côté "bête humaine".

En passant, et en parlant de "bête humaine", le film est également un hommage finaud au cinéma de Jean Renoir, notamment sa "Partie de campagne" mais surtout "La Règle du jeu" dont "La Traque" pourrait presque être un pendant ultra pessimiste, implacable et corrosif. Les images sont d'une beauté stupéfiante et le sanglier est ici aussi remarquablement filmé que l'être humain. Il en va de même pour la nature environnante où même des roseaux font office de parabole sur l'apparence voilant une moitié de la part animale de l'homme. On doit la photographie à Claude Renoir justement et il paraît clair que ce n'est pas le fruit du hasard, mais bien un choix judicieux avec la volonté de rendre hommage à l'illustre oncle. Hommage très réussi et le naturalisme ici présent se fond dans une harmonie quasi-parfaite avec le propos brut de décoffrage.

 

 

Jeu de massacre et lutte des classes aussi, puisque finalement les notables se mettent au service des plus populeux de peur d'être mouillés par des exactions qui pourraient mettre à mal l'apparente respectabilité dont chacun sait qu'elle n'est qu'une façade, cachant méfaits et autres arrangements. Il convient de faire disparaître toute chose susceptible d'éveiller les soupçons, se cachant ainsi à soi-même la vérité, de peur qu'elle ne transparaisse au yeux de tous.

Plus bas dans l'échelle sociale, le garde chasse (Gérard Darrieu) et le braconnier (Georges Géret), qui ne sont pourtant ni des êtres réflexifs, ni des anges à la base se croiseront le temps d'une scène dans un bref moment de respect et de compréhension mutuelle.

Le braconnier se taira pourtant alors qu'il est, vraisemblablement, témoin de la tragédie qui se trame et l'autre restera fidèle, perdant le peu de droiture qu'il lui restait encore, pour garder sauf l'honneur de ces bourgeois qui semblent eux, beaucoup moins pourvus d'états d'âme que ces deux ennemis réunis.  La subtilité de cet échange furtif, en plus d'évoquer à nouveau "La Règle du jeu" avec cette guerre interminable entre le braconnier (Julien Carette) et le garde chasse (Gaston Modot), dans laquelle finalement, chacun n'existe que par l'autre, rend bien compte du sens unilatéral dans lequel les intérêts se jouent.

 

 

En ce qui concerne les acteurs, ils sont ici, tous sans exception, remarquables et remarquablement dirigés. Marielle compose une ordure comme on en a peu vu, tout en restant plausible, Léotard en frère plus influençable et fragile à qui il reste encore quelques doutes l'est tout autant. Et l'inoubliable galerie de gueules qui compose le reste du groupe est tout bonnement proche du dantesque. Michael Lonsdale, tout en froideur calculée, représente le pouvoir au service de sa propre cause, prêt à faire tomber les autres si jamais il était lui-même déséquilibré. Michel Robin représente le suiveur en toute occasion, celui qui ne vit que par procuration et sa profession (assureur) semble même faire foi, aux yeux de Leroy, que sa peur générera, comme dans sa vie, le contraire de ce qu'il recherche. Paul Crauchet (admirable acteur) déploiera ses talents de notaire au sein d'une traque où il sera presque le seul à garder tête froide, ce qui peut paraître pire encore, puisque ce sera au service du mal, mais l'homme semble coutumier du fait, et Constantin ici magistral, sera un temps le personnage le plus droit du film, et son statut et expérience de militaire de carrière tendront même à réguler la panique anarchique des autres jusqu'au moment où ses valeurs militaires le rattraperont, et comme il le dira lui-même : "Un groupe, est un groupe". Mais ce sera paradoxalement le plus "respectueux" au sein d'un combat dès le départ démesuré et inégal. Normal, il a appris à respecter l'ennemi et à voir en lui un être humain. Son principal défaut : L'habitude de la mort.

 

 

Entre tous ces hommes, Helen tentera de s'échapper sans illusion aucune sur les intentions du groupe, et dans un certain malentendu même, puisque ceux-ci chercheront au préalable à acheter le silence de la jeune femme. Mimsy Farmer (Le Parfum de la dame en noir, Frissons d'horreur, Quatre mouches de velours gris, Le Chat noir, etc.) sait qu'après avoir tiré sur l'un des hommes, il n'y aura plus de discussion possible et qu'elle devra disparaître elle, et le viol dont elle a été victime avec. L'issue est imparable, le réalisateur ne fait aucune concession et chargera droit dans le tas, comme un sanglier sauvage blessé...

 

Le scénario, dû à André G. Brunelin ("Comptes à rebours", "Madame Claude"), est remarquable d'épure et sait aller directement à l'essentiel. De même, la mise en scène de Serge Leroy dont on ne retient strictement aucun plan inutile ou dispensable au sein de ce grand film bien trop méconnu, tout en empruntant les voies du cinéma de genre, délivre une charge colossale (bien plus que celle du pauvre sanglier qui ne fera pas long feu) et offre une étude de caractères saisissante de naturel et de cruauté, sans tomber pour autant dans le pur jeu de massacre, ce qui constituera quand même une part, sinon une facette importante du film.

La musique est presque absente, et le travail sur les sons que la forêt abrite contribue à la paranoïa, puis à la tension grandissante, allant vers une fin inexorable et sans espoir de retour (on pense également à Sans retour,  le chef-d'œuvre de Walter Hill). Cette musique donc ne se fera entendre qu'au générique final. Pathétique, sombre et majestueuse, tout comme cette œuvre dans son intégralité, elle est exemplaire.

 

Mallox

 

A propos du film :

# On ne peut pas dire que Serge Leroy ait eu beaucoup de chance durant sa carrière. Ses deux premiers films, "Le Ciel est bleu" et "Le Mataf" (déjà avec Michel Constantin) sont restés quasi-confidentiels sinon inédits, et c'est avec cette Traque (qu'on a bien du mal à voir aujourd'hui, sauf si l'on a pensé à l'enregistrer lors de passages télé) que celui-ci trouva une certaine consécration, le film étant distribué par une compagnie américaine… Disparu dans un presqu'anonymat en 1993 à l'âge de 56 ans, Serge Leroy aura tout de même signé des films parfois intéressants mais trop souvent dénigrés par la critique. Je pense au "Passagers" avec Trintignant en 1977 ou encore "Attention, les enfants regardent" avec Delon. Certes, ses polars des années 80 étaient dans mon souvenir assez faibles ("Le 4eme pouvoir", "Légitime violence"), et pour manger il dut œuvrer pour des "Pause café", "Joëlle Mazart" et autres "Navarro". En tout cas, Serge Leroy (ne pas confondre avec Francis Leroi, réalisateur de "Le Démon dans l'île" et de quelques X remarquables) ne mérite pas un tel anonymat.

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