Copenhague est plus connue pour sa "Petite Sirène" que pour ses agents secrets. Pourtant, il existe bel est bien un réseau d'espionnage danois, dont le siège social se trouve dans l'arrière boutique d'un magasin de produits Bio. Les services secrets du Danemark sont en lutte contre une puissante organisation criminelle dont le chef est le redoutable Scorpion (Karl Stegger). Une guerre impitoyable qui a pour objet de s'emparer de la formule d'un scientifique permettant de produire du pétrole à partir de l'eau. Pour l'heure, la sagacité du Chef des services secrets (Poul Bundgaard) a permis de récupérer les précieux documents réunis dans un microfilm. Ce dernier a été dissimulé dans un petit pain et doit être remis à un agent spécial de la C.I.A. Bien que ne connaissant pas l'identité de l'Américain, un mot de passe imparable a été convenu lorsque celui-ci viendra dans la boutique : "Je cherche du travail pour vendre des petits suisses, et des grands aussi."
Mais c'était sans compter sur les caprices du hasard, et aussi sur l'incompétence notoire de Jensen (Ole Soltoft), plus communément appelé "Agent 69". Ne voilà-t-il pas qu'il remet le sac de sport contenant le microfilm à un inconnu qui a balancé la tirade sur les yaourts sans le faire exprès. L'inconnu en question, Arnold (Soren Stromberg), est un brave gars, un peu naïf, très "peace and love", devant se rendre à un séminaire de yoga.
Se rendant compte de sa bourde lorsque le véritable représentant de la C.I.A. déboule dans le magasin, Jensen se lance à la poursuite d'Arnold, en compagnie de Penny (Anna Bergman), la meilleure espionne du gouvernement (et aussi la plus jolie).
Mais dans l'ombre, Scorpion surveille tout ce beau monde, et il ne va pas tarder à attirer ses ennemis dans son repaire, un magnifique château situé dans les faubourgs de Brondby. Scorpion s'est engagé à vendre le microfilm à un émir (André Chazel) qui verrait évidemment d'un très mauvais œil l'exploitation d'une telle formule.
Lorsque l'on recense les pays qui ont connu un âge d'or du cinéma X, on évoque les Etats-Unis, l'Allemagne et la France. On a parfois tendance à oublier la Scandinavie, qui a elle aussi donné ses lettres de noblesse au cinéma porno. La Suède, avec Mac Ahlberg ("Second Coming of Eva", "Flossie", "Justine and Juliette", "Bel Ami" et "Molly") fit de Marie Forsa une star du X peu conventionnelle puisque la Suédoise ne tourna jamais de scènes explicites dans ses films (bien qu'on soupçonne fortement le contraire, et qu'elle eut notamment une liaison avec Eric Edwards). Idem pour Joe Sarno, qui fit tourner également Marie Forsa ("Butterflies", "Le Château des Messes Noires"), la splendide Rebecca Brooke ("Confessions of a Young American Housewife", C.J. Laing et Annie Sprinkle dans des œuvres de qualité.
Si la Suède manifesta un certain penchant pour la chronique de mœurs, le Danemark se tourna résolument vers la comédie grâce à Werner Hedman, et sa série des "Tegn". Un mot qui signifie "signe", et se rapporte donc aux différents signes du zodiaque.
Hedman en réalisa cinq entre 1974 et 1978 :
"I Tyrens tegn/In the sign of the Taurus" ("Les Leçons de Carolla", 1974)
"I Tvillingernes tegn/In the sign of the Gemini", 1975
"I Lovens tegn/In the sign of the Lion" ("Les Belles Dames du Temps Jadis", 1976)
"Agent 69 Jensen, I Skorpionnes tegn/In the sign of the Scorpion" ("Les Filles du Scorpion", 1977)
"Agent 69 Jensen, I Skyttens tegn/In the sign of the Sagittarius" ("Les Dames de Copenhague", 1978).
Il est à noter que ces œuvres sont indépendantes les unes aux autres. Seules les deux dernières présentent la particularité d'être des comédies d'espionnage et on y retrouve de ce fait les mêmes personnages. Si à ma connaissance le volet du "Gémeau" n'a pas franchi les frontières de l'Hexagone, tous les autres ont connu une distribution française. La plupart de ces films furent d'ailleurs rebaptisés lors de leur exploitation dans les salles spécialisées. Ainsi, "Les Leçons de Carolla" devînt "Spécialités Danoises", "Les Belles Dames du temps Jadis" se transforma en "Encore Plus", et "Les Dames de Copenhague" fut renommé "Chaleurs Scandinaves".
L'affiliation des œuvres de Werner Hedman au zodiaque revient en fait à Finn Karlsson, qui réalisa en 1973 "I Jomfruens Tegn" / "In the sign of the Virgin" ("Les belles Demoiselles d'antan"), dont le cadre se passait dans un pensionnat de jeunes filles pour le moins délurées. Curieusement, le film est passé notamment sur Ciné Culte et Ciné Auteur, dans une version évidemment expurgée des scènes pornographiques (sous le titre "A nous les belles Danoises"), mais avec un générique créditant les interprètes des "Filles du Scorpion", et attribuant le film à Werner Hedman ! Une telle confusion n'était pas idéale pour s'y retrouver dans cette saga "astrologique".
Parlons des acteurs à présent, puisque certains d'entre eux auront figuré dans plusieurs opus de la série. La palme revient à Ole Soltoft, qui a joué dans les six. En quelque sorte, cet acteur danois décédé en 1999 a formé avec Poul Bundgaard un duo équivalent à celui d'Alvaro Vitali et Lino Banfi dans la sexy-comédie italienne. Ce qui est surprenant, lorsque l'on se penche sur la majorité des interprètes des "Filles du Scorpion" (et des autres, aussi), c'est qu'il s'agit d'acteurs issus du cinéma classique. En dehors du tandem mentionné ci-dessus, on peut rajouter Karl Stegger qui, avec plus de cent soixante dix films à son actif, fut un acteur culte dans son pays. Mais il en est de même pour Else Petersen ou Soren Stromberg.
Et que dire d'Anna Bergman, espionne de charme dévoilant en maintes occasions son anatomie (mais qui était doublée pour les scènes hard), et qui n'est autre que la fille d'Ingmar Bergman !
Autre (demi) surprise, la présence du nain Torben Bille en homme de main de Scorpion. Torben Bille, né au Danemark, est connu pour avoir été la vedette de "The Sinful Dwarf" en 1973.
Au rang des hardeurs (et hardeuses), le plaisir des yeux se porte vers Anne Magle et Gina Janssen. Cette dernière, incarnant ici une irrésistible Matty Hari, sera quelques années plus tard l'une des vedettes du "Sadomania" de Jess Franco.
Enfin, cocorico, le "Mister Sexe" de cette œuvre au casting décidément international est un Français : André Chazel. Dans le rôle d'un émir obnubilé non seulement par le microfilm, mais aussi par les jolies scandinaves, le cheik prouve durant tout le film qu'il a des provisions ! Cet Ardéchois de naissance a été au début des années soixante l'une des vedettes de la série "Janique Aimée". Avant d'amorcer un virage radical dans les années soixante dix, dans "Couples Complices" ou "La Mouillette". André Chazel a fait une partie de sa carrière en Scandinavie, puisque, en dehors des "Filles du Scorpion", il a également joué dans sa "suite", "Les Dames de Copenhague", mais aussi dans "Bel Ami" et "Molly", côtoyant Harry Reems et Eric Edwards.
Depuis quelques années, André Chazel tourne désormais pour la télévision, revenant ainsi en quelque sorte à ses premières amours.
Et sinon, que vaut le film ? En fait, ce qui est frappant à la vision des "Filles du Scorpion" (comme d'ailleurs des films de Hedman en général), c'est la parfaite alchimie entre le sexe et la comédie. Les scènes hard s'intègrent complètement dans le scénario (car il y en a un, et généralement développé), donnant à l'ensemble une surprenante homogénéité. D'autant plus que le réalisateur s'évertue à alterner les séquences d'action pure et les scènes de sexe avec un savant dosage, évitant ainsi toute monotonie, et donnant un rythme incessant au film qui ne s'essouffle donc pas. Ole Soltoft et sa tronche de merlan fris renvoient tour à tour aux sexy-comédies italienne et allemande, à Benny Hill, et même à Peter Sellers. Oui, car il y a du Jacques Clouseau dans le personnage de Jensen, notamment dans son art du travestissement ridicule. Sans oublier quelques gags récurrents qui font mouche, basés sur le quiproquo, la gaffe ou la simple bêtise. Le passage où Soltoft utilise un fléau d'arme et provoque involontairement toute une série de catastrophes renvoie au génial "Quand l'Inspecteur s'emmêle" de Blake Edwards, réalisé l'année précédente.
On en vient à regretter que la version danoise visible et celle éditée autrefois en K7 par Alpha France ne proposent ni l'une ni l'autre la version intégrale. La VHS française, d'une durée de 75 minutes, commence 6mn30 après le début du film, occultant de ce fait la base de l'intrigue. La scène finale où les membres de Scorpion sont arrêtés dans la mairie a aussi été supprimée, ainsi que la plupart des gags où Soltoft provoque la panique avec son fléau. Par contre, cette VF comporte plus de scènes hard (pas loin de dix minutes), qui sont soit écourtées, soit supprimées dans la version danoise. Cette dernière, d'une durée de 87 minutes, inclut de ce fait environ vingt minutes de plus par rapport à la VF.
"Les Filles du Scorpion" résume très bien l'esprit "slapstick" de l'époque, à savoir du porno classieux mélangé à un humour certes un peu "tarte à la crème", mais néanmoins communicatif. En fait, les œuvres pornographiques de Werner Hedman seraient presque à voir en famille (enfin, bon, éloignons les enfants quand même).
Note : 8/10