Homme amphibie, L'
Titre original: Chelovek-Amfibiya
Genre: Fantastique , Drame
Année: 1962
Pays d'origine: U.R.S.S.
Réalisateur: Vladimir Chebotaryov & Gennadi Kazansky
Casting:
Vladimir Korenev, Anastasiya Vertinskaya, Mikhail Kozakov, A. Smiranin, Nikolai Simonov, Vladlen Davydov...
Aka: Человек-Амфибия / The amphibian man
 

Ichtyandr, fils du professeur Salvator, a eu une grave maladie des poumons étant enfant et son père a dû lui greffer des branchies d'un jeune requin afin de lui sauver la vie. La découverte est restée jusque là secrète tant et si bien que les pêcheurs qui l'aperçoivent parfois le prennent pour un démon sous-marin. Au fil des ans, le professeur Salvator s'est vu atteint de folie des grandeurs puisque son rêve est de créer une république sous-marine dont son fils serait le premier habitant. Et pourquoi pas peupler les profondeurs d'êtres malades dont ils trouveraient en ces fonds un lieu de retranchement salvateur ?

Voici que lors d'une pêche à a perle, Gutiere, la fille de Baltazar, un vieux loup de mer, est victime d'un accident et tombe évanouie à l'eau. Les hommes la cherchent en vain. Mais voilà qu'un bras argenté émerge de l'eau, tendant la jeune femme aux pécheurs. Ichtyandr l'a portée dans ses bras et cela a suffit pourqu'il tombe amoureux. Le voici qui va désormais tout faire pour conquérir le cœur de la belle en des lieux plus terrestres.

Petit problème, Gutiere est promise à Pedro Zurita, le riche bourgeois qui loue le service des pécheurs pour les recherches de perles et à qui Baltazar a promis la main de sa fille afin d'éponger ses dettes. Zurita est loin d'être un enfant de chœur, et voici qu'il apprend l'existence de l'homme amphibie voyant ainsi germer l'idée très capitaliste de le kidnapper puis de l'exploiter pour une prospection toute personnelle et sans compter le personnel dont il pourra alors se passer complètement, l'homme amphibie étant à lui seul bien plus efficace.

Plus tard pourtant, Ichtyandr se décide à agir sur Terre, et l'on découvre une fois sa combinaison argentée ôtée, un beau jeune homme dont Gutiere succombera rapidement aux charmes. Ça y est, le prétexte d'un conflit entre l'homme d'affaires pro-capitaliste est bel et bien là et c'est le jeune qui aura le dessus lors d'une bagarre avec le riche patron. Bagarre qui lui portera préjudice à tort puisqu'il se verra alors poursuivi par la police sous de faux prétextes comme celui d'avoir distribué gratuitement du poisson à quelques affamés.

Malheureusement alors en cavale, Ichtyandr ne pourra pas faire grand-chose contre le mariage forcé entre Gutiere et Zurita. Si ne n'étaient les circonstances qui feront agir Baltazar, aidé par l'un de ses amis journaliste, l'issue serait fatale. Même si tout ne se passera pas comme prévu et que l'ignoble exploitant paiera en quelque sorte, la tragédie poissono-humaine semble en marche…

 


Ce n'est pas souvent que je m'attarde autant sur une histoire. En général je suis à la fois assez peu doué pour en faire la synthèse mais aussi il est vrai que pour le coup, elle m'a semblé parler d‘elle-même par endroits en même temps que d'envoyer des images que j'espère proches de ce très beau et atypique film découvert il y a quelques jours et qui hante encore mon esprit. Alors est-ce un film politique ? Certes forcément puisqu'il y est mis en scène un personnage peu sympathique représentant un capitalisme en marche, avec tout ce que cela comporte d'exploitation des masses populaires, de même les forces policières qui prennent fait et cause pour le tyrannique patron dans une société du futur à la solde du pouvoir de l'argent. Certes L'homme amphibie et ses réalisateurs mettent en garde et pourtant on est loin de l'hystérie paranoïaque présente dans les productions américaines de la même époque, et dans lesquelles le plus souvent, la menace de la technologie nucléaire est le plus souvent spécifique à la Russie communiste, et mise en exergue pour effrayer avant tout les foules sur le péril rouge et ses dérives. De même ici, pas de déploiement jusqu'à plus soif des forces armées soviétiques afin d'exhiber sa force de dissuasion contre un éventuel impérialisme à la solde du grand capital. Non ce qui fait beaucoup de sa valeur, c'est qu'il s'agit avant tout d'un film romantique à la naïveté tellement touchante - et sans jamais être cucul la praline - qui s'attarde avant tout sur la condition humaine et les rapports sociaux qui vont avec. En même temps il met le doigt sur l'arrogance humaine vis-à-vis d'une nature qui elle, ne changera pas exceptée de par la vanité de l'homme. Olsen, le journaliste dépêché sur les lieux mettra tout le monde en garde. D'abord le bourgeois aux dents longues mais aussi Baltazar le père de l'homme amphibie et son rêve utopique de fonder une république sous-marine parfaite. Olsen est un sage et alertera rapidement sur les dangers inhérents à une telle création qui selon lui ne fera qu'accroître le fossé entre les pauvres et les riches, puisque ce seront ces derniers qui auront le privilège de bénéficier de cette république, évoquant déjà (nous sommes en 1962) la possibilité d'une médecine à deux vitesse. Propos on ne peut plus d'actualité et cette république sous-marine pourrait très bien être l'équivalent de l'hôpital américain parisien pour ne citer q'un exemple parmi tant d'autres, mais dans lequel y pourront s'y faire soigner uniquement les classes sociales pouvant se le permettre…

 


A écrire cela l'on pourrait croire que je tiens des propos paradoxaux, mais il n'en est à mon sens rien car les deux réalisateurs ont l'intelligence ici de livrer avant tout une belle histoire d'amour vouée à l'échec, un film au romantisme amer, basé avant tout sur le difficile rapport entre les êtres avec leur incapacité à trouver un équilibre ensemble malgré les avancées technologiques faites pourtant pour améliorer leur condition d'âme et de vie. Les idéaux bons ou mauvais y seront balayés et remplacés par une quête d'amour contre vents et marées. Si celui-ci remportera la partie contre la nature, s'intégrant elle-même et selon les auteurs dans ladite nature, c'est la science qui au lieu de construire, détruira tout sur son passage, elle-même comprise. Bien entendu et même si L'homme amphibie met en garde contre les dangers de la technologie scientifique, c'est comme avancée sociale et sa difficulté à l'être vraiment qu'il l'aborde. Il est véritablement intéressant de découvrir un autre point de vue à l'alternative américaine, même si tout de même, c'est aussi un thème présent que l'on peut retrouver dans son industrie de l'époque. On songera à certains films de Jack Arnold par exemple, comme "Le météore de la nuit" ou bien évidemment "L'étrange créature du lac" auquel on pensera souvent. On y trouvera d'ailleurs la même poésie dans ses prises de vue sous-marines ainsi que par la présence de cette créature aquatique hantant les lieux. A ceci près que, s'il représentera tout d'abord l'image d'un danger potentiel au yeux des gens toujours prompts à craindre la différence, ce sera lui dont on se servira à des fin "inhumaines".

 


Tout compte fait Ichtyandr n'a qu'une envie on ne peut plus légitime et qui ne devrait pas dépendre des autres, celle d'assouvir son amour pour la jeune femme qu'il aura tenue dans ses bras sous l'eau avant de la sauver. Celle de vivre son destin pourtant au préalable déjà bien contrarié par sa condition qui l'oblige à retourner sous l'eau de façon régulière. On assiste finalement à une presque variation sur le thème de "La belle et la bête" avec l'omniprésence d'une quête d'un amour fou, si chère aux surréalistes. Le pessimisme sur l'issue de tout cela planera tout du long et sera confirmé par le sacrifice que fera son héros amphibien. Celui-ci sait parfaitement qu'il ne peut pas rester hors de l'eau trop longtemps au risque d'endommager son système immunitaire muté, pourtant, pour sauver Gutiere et pour ne serait-ce la voir quelques minutes, il fera le sacrifice et le payera de sa vie.

Si le film se pare jusque là, d'une allure de tragédie humaine et sociale avec un sous-texte politique, il s'achèvera ce avec quoi il a débuté, par une des tragédies romantiques les plus belles qu'il m'ait été donner de voir dans paysage fantastique de ces années là.

Basé sur un roman du prolifique Alexandre Belyaev, L'homme amphibie en est une magnifique adaptation qui a su tirer toute la substance à sa source.

Plus encore, cette fable sur la dualité des êtres et leur incapacité à la complémentarité, est ornée d'une esthétique des plus somptueuse. Peut-être pourra t-on ergoter sur quelques détails, notamment lorsque le film se fige subitement pour laisser place à un ballet sous-marin assez convenu et inutile, voire même proche d'un vieux kitch nunuche tout droit sorti d'un film avec Esther Williams. Mais ce sera le seul dérapage du film, le seul moment oubliable car quasiment tout le reste n'est que beauté. Soit, il y a bien ces vues sous-marines, très belles, mais tout ce qui se passe sur la terre ferme, les costumes des pêcheurs ou des savants, les intérieurs, d'une baraque de pêcheurs à l'antre moderne du savant, les extérieurs qui suintent une chaleur d'un pays d'Amérique du sud non défini et où est sensé se dérouler l'action, tout est un plaisir pour l'œil. La photographie de Eduard Rozovsky (ici pourtant presque débutant) aux nuances très serrées et à la pâleur paradoxalement chatoyante est complètement bluffante de beauté. On dira que c'est une esthétique de l'est, soit mais on n'aura certainement pas tout dit, car elle n'en demeure pas moins absolument somptueuse, en totale harmonie avec le drame romantique qu'elle illustre ou bien souligne, en distillant avec une générosité devant laquelle on peut que s'incliner, une succession de tableaux magnifiques.

 

 

C'est décidément un spectacle total que ce film car ailleurs, la partition de Andrei Petrov, à l'image du traitement pictural, est d'une complémentarité et d'une harmonie exemplaire. Quand les acteurs y sont soit beaux, soit bons ou les deux à la fois, que dire, la réussite est royale. Ne tournons pas autour du pot, L'homme amphibie trône tranquillement au royaume du genre et cet à un film à la noblesse toute tsarine auquel on aura le droit d'assister émerveillé comme votre humble chroniqueur. C'est un film moderne sur le modernisme, un film on ne peut plus pessimisme sur la nature humaine, un film doté d'une tension soutenue, d'un intérêt constant et riche en degrés de lecture. Je reste tout compte fait persuadé qu'on peut le voir uniquement au premier degré, à condition d'en accepter la naïveté qui n'est pourtant qu'apparente, tant les accents y sont graves et tragiques. C'est à mon sens un film qu'il faut découvrir absolument. Une perle rare si j'ose dire.

 

Note : 9/10

 

Mallox
En rapport avec le film :

# Sorti en dvd chez Ruscico en VF et en VOSTF.
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