Police fédérale Los Angeles - Carlotta Films
Écrit par Francis Moury   

 

 

Région : Zone 2 PAL / B

 

Coffret "ultra collector" 1 Blu-ray + 2 DVD

 

Editeur : Carlotta Films

 

Sortie film : 1er novembre 1985

Sortie coffret : 06 décembre 2017

 

Durée : 111' (DVD) / 116' (BR)

 

Format : 1.85 d'origine / Couleurs

Audio : VO : Dolby Digital 5.1 et 2.0. (DVD) / DTS-HD MA 5.1 et 2.0 (BR)

VF : Dolby Digital 5.1. (DVD) / DTS-HD MA 5.1 (BR)

 

Langues : français, anglais

Sous-titres : français

 

Bonus :

 

Commentaire audio de Friedkin

« Making-of »,

Scène coupée,

Fin alternative,

Spot radio,

Bandes-annonces

Livret de 160 pages

 

 

 

1) IMAGE


Format 1.85 couleurs compatible 16/9 : copie argentique présentée dans une restauration 4K approuvée par le réalisateur, numérisation Full HD en 1080 / 23.98p, encodage AVC sur BRD et MPEG-2 sur DVD. Elle reproduit admirablement la texture chimique et les couleurs parfois volontairement vives ou acidulées de l'original argentique de 1985. Seuls un ou deux plans sur la longue durée se révèlent légèrement instables (lorsque Steve James et William Dafoe se séparent après s'être mis d'accord pour éliminer leur complice emprisonné) mais le reste est pratiquement parfait : on frôle le 10/10 de très près.

 

2) SON


VOSTF encodée en DTS-HD MA 5.1 et 2.0 sur BRD, en Dolby Digital 5.1 et 2.0. en DVD. Sur la piste 2.0 du bluray, le niveau s'élève d'un net cran à partir de la première nuit passé par Chance avec son indicatrice et durant tout le restant de la continuité. D'une manière générale, les effets sonores ont été mixés de telle manière qu'ils se détachent vigoureusement de l'espace sonore, créant régulièrement la surprise. VF d'époque disponible en DTS-HD MA 5.1 sur le BRD, en Dolby Digital 5.1. sur le DVD. Sur le plan dramaturgique, il faut ici absolument privilégier la VOSTF car certaines voix (celle de Dafoe par exemple) ont une sonorité et une diction irremplaçables. Très belle et originale partition signée par le groupe Wang Chung, devenue emblématique du film et qu'on n'oublie plus une fois qu'on l'a entendue.

 

 

3) INTERACTIVITE

 

a) Suppléments vidéo :

 

L'édition de référence française est arrivée à condition de se procurer le coffret collector limité et numéroté qui contient plus de 4H de suppléments en HD (sur le BRD uniquement, bien sûr) provenant de la Shout Factory ou directement de la MGM. Ils tiennent sur le même BRD que le film. L'édition single BRD ne contient pas le commentaire audio de Friedkin qui est le plus important supplément. On y apprend que le surréalisme et l'expressionnisme furent ses deux écoles esthétiques de référence, qui était l'auteur du roman original et pourquoi Friedkin voulut l'adapter, et d'autres choses. Quelques passages à vide mais l'ensemble est passionnant. L'édition single BRD comporte le « making-of », la scène coupée, la fin alternative, le spot radio, les bandes-annonces. Le « making of » estampillé MGM, lorsque Friedkin y apparaît, fait parfois inévitablement double-emploi avec son commentaire audio : même chose pour l'acteur William Petersen qui est celui qui en apprend le plus sur la « méthode Friedkin » de la première prise, sous couvert de répétition. Il y avait une « ruse de la raison » chez le philosophe G.W.F. Hegel ; on peut dire qu'il y a une « ruse de la répétition » chez le cinéaste William Friedkin. Les actrices Debra Feuer et Darlanne Fluegel apportent des précisions plus limitées. L'entretien avec Buddy Joe Hooker, le responsable des cascades, est assez sympathique et excitant car il permet d'apprendre beaucoup de choses sur les effets spéciaux et les cascades, notamment celles utilisées pour la grande poursuite. La scène coupée (un peu surjouée par l'actrice), la fin alternative (nulle selon Friedkin lui-même et qu'on a eu raison de ne pas retenir) sont toutes deux des curiosités mineures rapportées au film exploité. Les spots radio sont mineurs. Enfin on nous propose deux bandes-annonces : la première relève presque du cinéma expérimental mais elle est trop longue et en outre très fatigante pour les yeux. La seconde est bien plus classique, bien plus courte et bien meilleure.

 

b) Livret 160 pages :

 

Bel objet, richement illustré (notamment les cahiers des p. 45 et 107 sq, contenant des photos d'exploitation, de plateau, de production, de tournage en couleurs et en N&B) comportant des textes explorant divers aspects du titre, présentés par Thomas Aïdan et signés par des critiques du collectif Septième obsession ...en clin d'oeil au classique La Septième victime (USA 1943) de Mark Robson produit par Val Lewton ? Le texte le plus objectif est peut-être celui de Jean-Sébastien Massart qui situe bien Police fédérale Los Angeles dans son contexte filmographique comme historique. Loris Hantzis réfléchit sur le thème du personnage de Masters qui pourrait être le miroir du cinéaste. Noémie Luciani  s'intéresse à la chasse et au voyeurisme : deux thèmes éminemment friedkiniens illustrés notamment dans French Connection, L'Exorciste, Cruising, Traqué. Nicolas Tellop s'intéresse aux faux-monnayeurs de Puente Hills mais aussi au flou intermédiaire entre négatif et positif argentiques, symbolique selon lui de la relation entre le livre original et son adaptation par Friedkin. Alexandre Jourdain analyse les résonnances éminemment baudelairiennes du cinéma de Friedkin et les restitue dans leur contexte esthétique. Enfin, Pascal Françaix (qui, comme moi, aime le cinéaste Pete Walker) s'intéresse aux impostures et aux postures de la masculinité telle que Friedkin la met en scène dans sa filmographie. Chaque article cite soigneusement ses sources en notes : autobiographie de Friedkin, entretiens, critiques d'époques, livres d'histoire du cinéma.

 

 

 

 

Argument du scénario :

 

U.S.A., Los Angeles 1985 : Jim Hart et Richard Chance, agents des services secrets, empêchent un soir un attentat contre le président Ronald Reagan. Quelques jours plus tard, Hart découvre l'entrepôt de Rick Masters, chef d'un gang de faux-monnayeurs qui l'abattent sur place. Son co-équipier Chance jure de venger cette mort et d'arrêter Masters par tous les moyens, légaux ou non. Chance enclenche un processus infernal pouvant entraîner la chute de l'inspecteur Vukovitch mais aussi celle de son indicatrice principale. De son côté, Masters est trahi par certains ses complices mais il rétablit la situation en usant d'une extrême violence. A mesure que Chance et Vukovitch se rapprochent de Masters, le risque d'une confrontation mortelle augmente.

 

4) CRITIQUE

 

Police fédérale Los Angeles [To Live and Die In L.A.] (U.S.A. 1985) de William Friedkin est un film noir policier réaliste, sur un thème bien connu mais renouvelé par une esthétique alliant cinéma classique et cinéma expérimental. C'est assurément l'un des meilleurs films noirs américains de la décennie 1980-1990 d'une part et de la filmographie de Friedkin d'autre part.

 

Sur le plan esthétique, Friedkin revendique d'emblée deux influences : le surréalisme et l'expressionnisme. De fait, c'est d'ailleurs un peintre expressionniste contemporain qui est l'auteur véritable des toiles filmées, attribuées par le scénario à Masters. Sur le plan thématique, la situation de départ évoque assez le cinéma de Fritz Lang (influencé lui-aussi, comme on le sait, par le surréalisme et l'expressionnisme dont il fut une figure). Fritz Lang que Friedkin avait d'ailleurs filmé en 1975 dans un admirable entretien vidéo [1] et qui demeure un de ses maîtres avoués. Qu'on se souvienne du Règlement de comptes [The Big Heat] (USA 1953) de Fritz Lang ! Chez Friedkin comme chez Lang, un inspecteur de police est déterminé à venger la mort (suicide chez Lang / meurtre chez Friedkin) d'un collègue et cette détermination provoque des réactions en chaîne. La grande différence résidant dans la conséquence ultime de la chaîne des réactions : ici, c'est l'influence de Hitchcock, également revendiquée par Friedkin, qui s'est clairement substituée à celle de Lang à un point précis de la continuité du scénario.

 

 

Friedkin filme l'espace en fonction du temps interne de ses protagonistes : le temps comme l'espace peuvent apparaître soit étrangement distendus (durant la grande poursuite) soit étrangement ramassés (Masters mécontent de son tableau et le brûlant). Le scénario semble complexe à première vision, surtout au jeune spectateur mais sa ligne de force est, en réalité, très simple : c'est la prise en compte du hasard et / ou du destin par une écriture très précise qui la modifie sans cesse pour donner à l'intrigue cet aspect d'une mosaïque de vignettes. Le principe, hérité du pionnier américain D.W. Griffith, sera repris d'une manière plus ample encore par le dernier grand film noir du siècle dernier (ou le premier du siècle actuel si on préfère cette chronologie) à savoir le Traffic (USA-All. 2000) de Steven Soderbergh. Il y a aussi quelque chose de hawksien dans To Live and Die In L.A. : pas seulement parce que le héros joué par Petersen se nomme « Chance » tout comme le shérif joué par John Wayne dans Rio Bravo (USA 1959) de Howard Hawks. La manière de filmer la mort est sèche, rapide, chez Hawks comme chez Friedkin mais Friedkin y ajoute un élément réaliste que ni Lang ni Hawks ne pouvaient exploiter en leurs temps : le réalisme expressionniste d'une violence sanglante, au baroque frisant parfois la folie. De ce point de vue, l'influence de Hawks aboutit chez Friedkin au même résultat dramaturgique que celui auquel aboutissait le thriller Assaut [Assault On Precinct 13] (USA 1976) de John Carpenter qui rendait également, le cinéphile s'en souvient, un hommage littéral au Rio Bravo de Hawks : rigueur et économie de moyen.

 

 

Police fédérale Los Angeles est donc un film noir policier d'un réalisme extrême (le génial générique d'ouverture, admirable, orchestrant sans dialogue l'envahissement de Los Angeles par la fausse monnaie) mais aussi d'un surréalisme extrême (la grande poursuite, la mort de Masters). Loin qu'il y ait contradiction, l'alliage est assumé, revendiqué, voulu. Le casting donnait leur chance à des acteurs talentueux alors jeunes et peu connus (William Petersen, Willem Dafoe, Darlanne Fluegel, Debra Feuer) et employait aussi certains acteurs connus de série B (Steve James [2]) et de série A (Dean Stockwell, [3]). Le budget assez important de Police fédérale Los Angeles a fourni à Friedkin la possibilité de certaines prouesses techniques (les cascades originales de la grande poursuite) mais d'autres furent la conséquence de sa curiosité technique toujours en éveil : par exemple son emploi de la petite grue française « Louma » pour filmer la séquence du saut de William Petersen. Le réalisme provient aussi de la « méthode Friedkin » qui privilégiait alors une direction minimale des acteurs et laissait libre cours à leur capacité d'improvisation. Sur un plan plus largement sociologique, la bisexualité et l'homosexualité (notamment féminine) sont suggérées à plusieurs reprises. Le sujet y est certes traité d'une manière plus elliptique et moins virulente qu'il ne l'était dans son Cruising (1980) mais il fournit tout de même sa fin au film et confirme ainsi sa présence thématique dans la lignée des grands film noirs anglais comme américains du dernier tiers du siècle, qu'il s'agisse du New York deux heures du matin [Fear City] (USA 1983) d'Abel Ferrara, du Les Frères Kray [The Krays] (GB 1990) de Peter Medak, du Basic Instinct (USA 1992) de Paul Verhoeven, du Bound (USA 1996) des Wachowski, pour ne citer qu'une fraction d'entre eux.

 

 

Sur le plan filmographique enfin, on peut relever que les films noirs de Friedkin dialoguent assez naturellement les uns avec les autres. Police fédérale Los Angeles entretient d'évidentes relations avec The French Connection (USA 1971) et avec Cruising [La Chasse] (USA 1980) : ici (1985) deux policiers, aux tempéraments opposés, sont forcés de faire équipe alors qu'ils étaient heureux de faire équipe (1971); là un policier doit changer d'identité pour arrêter un criminel (1980) alors qu'ici deux policiers changent d'identité pour arrêter un criminel (1985). On pourrait probablement relever encore d'autres allusions et d'autres contrepoints. Sans oublier l'aspect psychopathologique (surajouté à l'aspect purement criminel) du personnage de Masters dans Police fédérale Los Angeles qui annonce, par son pessimisme, ce film noir presque maudit que sera Le Sang du châtiment [Rampage] (USA 1987) de William Friedkin, fugitivement distribué en Europe et qui le fut encore plus mal aux U.S.A.

 

 

NOTES

 

1) Entretien visible dans l'ancienne édition Wild Side Vidéo (comportant deux entretiens avec Lang — dont celui-là) du très rare film noir mi-policier mi fantastique qu'est le House by the River (USA 1949) de Fritz Lang.

 

2) C'est probablement le meilleur rôle jamais tenu par Steve James — qui était également très bien dans The Exterminator [Le Droit de tuer] (USA 1980) de James Glickenhaus.

 

3) Dean Stockwell fut très célèbre aux USA dans les années 1955-1965, son âge d'or filmographique durant lequel il tournait au cinéma pour des cinéastes du calibre de Richard Fleischer et à la télévision dans les séries Alfred Hitchcock présente puis The Alfred Hitchcock Hour. Il est ici employé d'une manière curieusement neutre, effacée, renforçant l'effet de nouveauté du restant du casting.

 

 

Francis MOURY