Interview de Vincent Lecrocq
Écrit par Bastien   

 

Interview réalisée en novembre 2010.

 

Je remercie chaleureusement Mr Lecrocq de sa disponibilité et de sa gentillesse. Merci également à Jean-Michel Montanary, le big boss d'Oh My Gore pour m'avoir permis de contacter Mr Lecrocq !

 

 

Bonjour Vincent ! Tout d’abord, quelle est l’étincelle qui vous a donné envie de faire des films ? Était-ce pour porter à l’écran des histoires ou pour exprimer votre créativité ?

En réalité, je pense que c'est un mélange des deux... Disons que je ne suis pas du tout certain d'être quelqu'un de créatif, ni même d'être un bon conteur. En tous cas, je suis incapable de pouvoir juger ça sur moi, disons que c'est surtout aux autres à exprimer leurs opinions sur ces sujets...
Mais mon envie est surtout basée sur trois choses :


L'identification aux personnages et aux héros de mon enfance.
Tout d'abord le fait d'avoir vécu ces choses et que ça m'ait à ce point marqué jusqu'à façonner certains aspects de ma personnalité.
Secundo, l'envie de faire vivre à des personnages similaires des histoires excitantes avec l'image.
Le troisième facteur réside dans mon amour du cinéma : celui des autres avant même de vouloir réaliser mes films.
Je suis un cinéaste très cinéphile... C'est ce qui m'a marqué en étant jeune, qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Pour moi c'était mes héros d'enfance (flics, soldats, espions, aventuriers...) et ils vivaient des aventures palpitantes. Comme beaucoup de mes confrères qui sont de la même génération que moi, j'ai été élevé à Mc Tiernan, Cameron, Spielberg, Lucas, Zemeckis et cie... Les Terminators, Indiana Jones, Retour vers le Futur, Arme Fatale et autres Die Hard, ce sont les films et les héros de mon enfance.
Cela a très clairement orienté mes goûts vers l'action, la SF, le fantastique ou encore l'horreur. Je suis nostalgique de ces années-là et encore aujourd'hui, les films que je regarde le plus ont été faits entre 80 et 95. Puis j'ai découvert le cinéma à grand spectacle produit par Don Simpson et Jerry Bruckheimer, le renouveau des années 90, et j'ai connu d'autres grands réalisateurs à mes yeux comme les Frères Scott ou encore évidemment Michael Bay dont j'aime particulièrement les films.

Venons-en à Survivant(s). La genèse de ce court provient d’un projet abandonné de six courts-métrages sur les Zombies. Or, vous avez repris et porté vous-même votre propre segment. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur cette première mouture ?

A partir du moment où j'ai dû reprendre le film et en faire un court-métrage à part entière, il était déjà tourné. Finalement, je ne sais pas si l'on peut parler de première mouture. On était dans un système de production très "pauvre" proche du zéro budget, et le projet n'était pas encore pré-vendu, ni commandé. Cela devait être au final une saison clef en main à proposer à des petites chaînes câblées... Donc sans aucune pression, ni impératifs quels qu'ils soient, j'avais une relative totale liberté. Enfin, du moins, la liberté de faire tout ce que le budget et les efforts de la somme des talents participants au projet pouvaient permettre de faire.
Ensuite, j'ai du financer la fin du tournage avec mes économies et "Survivant(s)" est passé du statut d'épisode de série TV à celui de court-métrage.

Vous avez produit vous-même Survivant(s). Quand Salem Kali, votre co-scénariste et premier rôle masculin, est-il venu dans ce projet ? Qu’a-t-il apporté dans la nouvelle version de ce projet ?

Salem et moi avions travaillé ensemble sur "They Were in Normandy", un film de guerre, que j'ai conçu à la fois comme un hommage à "Saving Private Ryan" de Spielberg, qui est à mes yeux un très très grand film et aussi comme un film qui montrerait quelque chose de difficile à faire, un challenge. Notre collaboration s'était bien déroulée et nous avions envie de remettre ça. Quand je lui ai proposé le rôle d'un type couvert de sang qui allait défoncer des mutants, il a dit oui instantanément.
Salem n'a pas participé à l'écriture du scénario, mais il a apporté quantité de choses pour son personnage ou proposé à ses collègues acteurs des choses. Il a apporté des idées, parfois qui ont orienté les scènes dans une meilleure direction, parfois des détails, il a trouvé des astuces au moment du tournage pour parer au manque d'argent ou de temps. Et au final, l'histoire fonctionne aussi grâce à tout son travail. Ceci explique qu'il soit aussi crédité au scénario.
Salem m'a aussi aidé pour le montage du film, en donnant son avis et en m'aidant à apporter à certaines scènes des choses supplémentaires, tout ça ayant pour but pour lui comme pour moi, de faire le meilleur film possible avec le matériel dont nous disposions.

 

 

Quand l'évidence vous est venue d’entreprendre par vous-même votre projet produit par vos soins, vous attendiez-vous à autant d'efforts pour réaliser cette histoire ?

Après les difficultés que j'avais rencontrées pour "They Were in Normandy", je savais que ça allait être difficile. Ma plus grosse déception a été que les producteurs me lâchent purement et simplement le lendemain du dernier jour de tournage. En réalité, ils voulaient être producteurs, mais ils n'avaient pas d'argent et ils n'avaient pas cherché à en trouver avant de se lancer là-dedans.
Mes collègues réalisateurs des autres épisodes et moi nous nous sommes rendus compte qu'ils avaient procédé de la même façon avec tout le monde : monter le projet sur du vent et attendre qu'on finance à leur place... Aujourd'hui, le principal fautif s'en mord les doigts, car il a quand même dépensé un peu d'argent pour certains épisodes, y compris pour "Survivant(s)" ; il n'en récoltera jamais rien... Si ce n'est de la très mauvaise pub.

 

 

Il semble évident que toute votre équipe, devant et derrière la caméra, se soit totalement investie. Jusqu’à quel point ?

Jusqu'au point d'avoir froid et faim, d'être malade, ou même de se blesser...
Et le pire (ou le mieux) c'est que chacun ou presque revenait le lendemain, prêt à recommencer une journée avec le sourire ! Je me souviens d'une anecdote... Mon deuxième cadreur, Mathieu Rolland, avec qui je travaille régulièrement depuis des années, a eu un accident de moto en rentrant chez lui un soir. Il s'est reposé le lendemain, mais est revenu dés le surlendemain, la jambe brulée par le frottement sur la chaussée, bourré de médicaments mais prêt à en découdre !!!
Sur un projet de ce genre, le moindre petit apport de quelqu'un s'avère important voire primordial. A la fin du tournage, en montant le film et en visionnant les images du making-of, je me suis rendu compte à quel point chaque personne ayant apporté quelque chose au projet est irremplaçable. C'est valable pour tout le monde, des acteurs principaux aux figurants, en passant par l'équipe technique et tout un tas de personnes qui ont, d'une manière ou d'une autre, fait quelque chose pour ce projet.

Justement, pour motiver des acteurs à jouer dans une oeuvre quelque peu sanglante, quelles sont leurs motivations ? Donner à leurs personnages une réelle épaisseur, exprimer une gamme d’émotions ? Ont-ils été frustrés par la durée limitée de Survivant(s) qui ne leur permet pas de développer davantage leurs personnages ?

Pas à ma connaissance, il m'a semblé que certains ont été un peu décontenancés par l'étroitesse du budget et la rudesse du tournage. Mais les comédiens connaissent souvent l'exercice du court-métrage, ils savent que ça sera difficile, court et intense et ils le vivent, pour la plupart, en connaissance de cause. Ceux qui m'ont exprimé leurs motivations se classent dans deux catégories :
-Il y a ceux qui aimaient le côté action, film de genre et qui voulaient s'amuser.
-Les autres ont été davantage séduits par le contenu de l'histoire, les sous-textes sur la critique des déviances de la télévision ou les appréhensions sur l'évolution de notre société et de la politique...

 

 

En ce qui concerne la durée de Survivant(s), on a l’impression -en tant que spectateur- que ce court métrage pourrait être très facilement transposable en long métrage tant la structure, les ressorts et les situations n‘ont qu‘à être rallongées. Etait-ce une astuce de votre part de présenter un court qui pourrait facilement être transposable en long métrage ?

Ce n'est pas la première fois qu'on me le dit. Et si à la base je n'ai pas forcément écrit dans ce sens (en vue d'en tirer à tout prix un long), c'est apparu comme évident plus tard.
De toute façon, je n'ai pas pu faire la moitié de ce que j'avais imaginé et je ne suis pas certain que la moitié des idées que j'avais soient dans le film. Il y a quantité de scènes et de situations que je n'ai pas pu faire. Donc j'ai effectivement encore de la matière pour développer un long-métrage basé sur ce court. Je suis justement en train de l'écrire même si, en ce moment, je suis très pris par d'autres projets, mais je m'y remets quand j'ai du temps disponible. On verra bien si ça s'avère possible d’aboutir à un long-métrage, soit adapté du court, soit reprenant certains éléments en pour produire un long-métrage avec un autre rendu mais dans la même veine.

Une des grandes qualités de Survivant(s), prenons la première, est le dynamisme avec lequel vous avez réalisé votre histoire. Elle est à la fois fluide, dynamique puis nerveuse et accélérée pour les séquences d’action.
Êtes-vous satisfait de ce rendu ? Est-il conforme à ce que vous aviez à l’esprit avant de débuter Survivant(s) ?

Oui, tout à fait !
C'est une manière de filmer à la fois sophistiquée mais, paradoxalement, très peu réfléchie finalement ! J'essaye juste de capter ce qui se passe en tâchant d'y donner un côté réaliste, pris sur le vif.
Le film n'est pas du tout storyboardé par exemple, je n'avais qu'un découpage technique de base, une sorte de squelette.
Mais nous avons aussi filmé énormément de choses en décidant quels plans faire et quels axes choisir juste avant de tourner. Quand je ne cadrais pas, il m'arrivait même de ne pas expliquer quels plans je souhaitais aux deux cadreurs en leur demandant justes de suivre l'action. C'est ce qui donne ce côté dynamique et chaotique.
Rappelons que le film est beaucoup basé sur le mouvement (les protagonistes sont presque toujours en mouvement, ils courent, changent de lieux sans arrêt ; les caméras ne faisaient que suivre le mouvement général de l'action en fait). Ainsi, le rendu final est effectivement très rythmé et dynamique.

 

 

L’autre grande qualité provient d’une résonance incroyable avec l’actualité politique récente. Le fait de détourner l’attention du public en s’acharnant sur une catégorie particulière, ethnique et en l’occurrence les Roms, trouve une curieuse extrapolation avec Survivant(s).
Que pensez-vous de ce hasard ? Vous a-t-il amusé ?

Je n'ai pas vraiment d'opinion particulière. D'ailleurs, le film n'a pas forcément pour but d’imposer mon propre point de vue sur ce sujet.
L'existence est faite de hasards...
Avant le 11 septembre, un groupe de musique américain originaire de New York, que j'adore, a fait un album live enregistré dans cette même ville.
Et comme c'est une musique plutôt énergique et bien, comme on dit "ils ont mis le feu" ce soir là, hé hé. Du coup, la pochette de l'album c'était une vue aérienne de New York, avec les deux tours du World Trade Center bien visibles et la ville était embrasée dans d'immenses flammes... Deux semaines plus tard, les deux tours tombaient... Ils ont remplacé en urgence la pochette, mais ça a fait un buzz. Il ne s'agît dans les deux cas que d'un pur hasard...

Toutefois, nous pourrions avoir un regret en ce qui concerne l’univers de Survivant(s). L’histoire se passe dans un futur trop proche - je doute que les choses dégénèrent aussi vite - et les peines de nos candidats sont trop fantaisistes, d’un point de vue pénal. Êtes-vous d’accord avec cette critique ?
Pensez-vous que Survivant(s) gagnerait en profondeur si la thématique avait été plus rigoureuse ?

Que les choses n'aillent pas si vite... c'est vrai !
Cependant, je trouve que certaines choses se dégradent vraiment vite. Toutefois, je suis tout à fait d'accord avec le côté fantaisiste des peines des candidats. J'aime aussi le cinéma de genre pour son côté fou et souvent pas dénué d'humour, il s'agît plus d'un délire rigolo. J'avais envie, avec ces peines exagérées, et cette jeune fille qui présente l'émission de Survivant(s) comme si c'était la Star Ac', histoire d'alléger un peu le débat.
Un peu d'humour ne fait jamais de mal de temps en temps et le sujet de base (l'existence des mutants dans ce type de jeu) était de toute façon déjà fantaisiste selon moi...

Que ce soit dans la bande originale ou même la chorégraphie des combats, Survivant(s) bénéficie d’un soin particulier et d’un sens du détail qui apportent beaucoup pour le rendu final, ce qui se remarque dès la seconde vision. Était-ce un souci de votre part ? Ne vouliez-vous pas, tout simplement, montrer l’étendu de vos talents avec Survivant(s) ?

En ce qui concerne la bande originale, Guy-Roger Duvert a fait un boulot formidable. C'est bien simple, rien ou presque n'a été jeté et je ne lui ai rien fait refaire, il a trouvé le bon ton, les bonnes ambiances tout de suite. Quand j'ai plaqué sa partition sur le montage, le film a pris une autre dimension.
Si je compare le film à un bébé (expression employée par pas mal de réalisateurs qui parlent de leur "bébé") ; alors le scénario a été la décision de faire l'enfant, le tournage a été sa conception, le montage a été sa naissance et la musique de Guy-Roger se place comme un équivalent évident à la puberté...
Plus encore que de montrer l'étendue de mon talent, c'était surtout un moyen de montrer de quoi je suis capable... Je n'ai pas conscience d'avoir du talent, mais je pense avoir les capacités de proposer quelque chose. Au final, est-ce qu'un talent particulier transparaît ? Cela n'est pas à moi d'en juger...
Cette expérience était aussi et plutôt un moyen de montrer comment je pouvais gérer et utiliser à bon escient le talent des différentes personnes qui ont participé.
Car si mon but est de faire du cinéma, ce qui est le cas, je dois aussi convaincre non seulement de mon potentiel personnel, mais aussi de la manière dont je peux mettre à profit le potentiel d'une équipe. On dit souvent qu'un réalisateur doit savoir bien s'entourer. J'ai tenté de faire ça pour Survivant(s) et vu le boulot de chacun, je suis tenté de dire que j'ai au moins réussi ça : bien m'entourer.

 

 

Quelle satisfaction et quels enseignements avez-vous, désormais que la carrière du film se développe en DVD ? Quel a été l’apport de l’éditeur Oh My Gore qui a donné une vie à Survivant(s) ?

Concevoir, réaliser puis finir un film est déjà bien en soi, mais aussi faut-il qu'il soit vu.
Certes, aujourd'hui, avec internet cela est relativement simple.
Mais si l'on veut apporter encore un peu plus de crédit au projet, je pense qu'il faut essayer d'apporter un côté le plus pro possible.
Donc j'avais envisagé très tôt de sortir le film en DVD. Au départ, ça n'aurait peut-être été qu'un DVD gravé et vendu sous le manteau, ou sur internet. Puis Jean-Michel de "Oh My Gore !!", avec qui j'étais en contact, a créé sa boite de distribution et m'a proposé, peu de temps après le tournage, de le sortir en DVD qui serait distribué de manière classique, vendu en magasins etc... Je ne cesse de remercier Jean-Michel pour son travail et ses efforts ; sans lui, ce DVD n'aurait peut-être jamais vu le jour, tout du moins sous une forme aussi réussie.
J'en tire évidemment un plaisir personnel, il serait malhonnête de ne pas l'admettre. C'est quand même un petit aboutissement d'arriver dans un magasin de DVD et de voir que son film est vendu au rayon nouveautés ou horreur... D'ailleurs, le DVD sera vendu à la FNAC et aussi chez Virgin au milieu du mois de novembre. Ça devait se faire mi-octobre, mais pour toucher un tel réseau de distribution, il faut un peu se battre...
Toutefois, le DVD est déjà en vente sur internet depuis le mois de septembre et nous sommes contents des ventes. Je reçois pas mal de mails ou je rencontre des gens qui l'ont acheté et m'écrivent ou viennent me parler pour me dire qu'ils l’ont aimé. Avant, avec mes précédents films, le public était principalement un cercle d’amis ou de relations. Aujourd'hui ce sont des inconnus, des fans de cinéma fantastique ou d'horreur.
J'ai l'impression d'avoir réussi à atteindre un public un petit peu plus large que quand je diffusais mes précédents films juste sur quelques forums ou réseaux sociaux internet et que seuls mes amis les regardaient.

 

 

Dernière question ! On peut raisonnablement supposer qu’un réalisateur (mais aussi un acteur ou un scénariste) a des projets et des rêves plein la tête qui le motive. Quelles sont vos prochaines envies ? Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?

Oui bien sûr, des rêves, des envies et des projets. Evidemment, le but final est de faire des films, des long-métrages, du cinéma. Parallèlement à la post-production de "Survivant(s)" j'ai écrit plusieurs choses, y-compris la version longue de Survivant(s) qui n'est pas encore satisfaisante.
Mais le hasard m'a devancé et on est venu me chercher avant même que je propose mes propres projets de long-métrage... Un ami à moi s'est installé il y a quelques années à Toronto au Canada et il a écrit plusieurs scénarios qu'il a essayé de vendre à droite et à gauche jusqu'au jour où l'un de ses scénarios a fait mouche.
Sans rentrer dans tous les détails, les producteurs se sont donc mis à la recherche d'un réalisateur, et mon ami ayant vu que de mon côté j'avais fait des films de plus en plus ambitieux et aboutis (si je peux dire ça) a décidé de me mettre sur le coup. Il a donc montré ma bande-démo aux producteurs de Toronto et apparemment ça leur a plu. Nous sommes donc actuellement en pleine organisation de tout ça. Si tout se passe bien, je m'envole pour le Canada à la fin de l'année réaliser mon premier film. Nous allons tourner en anglais, avec des acteurs canadiens et américains. Il s'agît d'un thriller tendu qui se déroule pour sa majeure partie en huis clos. Le film raconte l'histoire d'un négociateur de la police de Boston qui est pris en otage chez lui, et qui est forcé d'accomplir une mystérieuse mission pour le compte de deux hommes dont il ignore l'identité...

 

Par Bastien en Novembre 2010

 

En rapport avec l'interview :

 

# La critique du film "Survivant(s)