Durant trente-quatre ans, l'existence d'Adam Volladier, chef-comptable pour un supermarché, n'a été qu'un long fleuve certes tranquille mais aux eaux grisâtres. Une petite vie bien terne, repliée comme un mouchoir de poche et rythmée avec une régularité métronomique. Sans surprises, sans heurts mais aussi sans joies.
Cette situation s'explique en partie par une enfance trop couvée par des parents que la perte de leur premier enfant en bas âge avait rendus anxieux et pusillanimes. Aussi, la naissance inespérée du second les amenèrent à l'enfermer dans cocon familial douillet mais étouffant, et trop éloigné des réalités d'un monde extérieur autrement plus rude. Et lorsque le jeune Adam se découvrit un don inné pour le dessin et la peinture, ils s'empressèrent bien vite d'étouffer les velléités artistiques trop aventureuses de leur fils pour le rediriger sur la voie plus rassurante de la comptabilité.
Peu après le décès de ses parents, les choses commencent cependant à changer pour Adam Volladier.
Subitement, il se découvre un don d'ubiquité sociale : sans raison, une foule de gens reconnaissent en lui qui un dentiste clermontois, qui un oenologue, qui un acteur de série télévisée... Adam résiste - très peu - puis se laisse glisser dans ces identités, émerveillé par les vies qu'on lui attribue, qui l'enivrent et qu'il endosse comme un costume ou une nouvelle veste.
Mais peut-on poursuivre un pareil jeu lorsqu'il s'agit de prendre la place d'un amant ? Que faire lorsque Rita - une femme ravissante travaillant pour une galerie d'art - le prend pour Georges Fondel, l'homme dont elle est amoureuse ? Adam ne réfléchit pas : il sera Georges Fondel. Le choix, bien sûr, n'est pas sans risques. Le vrai Fondel est un escroc. Après avoir volé une toile célèbre au musée d'Orsay, il a disparu sans laisser de traces et ses complices le recherchent...
"Ubiquité" est le premier roman de Claire Wolniewicz. Premier coup d'essai plutôt réussi. Cette allégorie sociale au postulat fantastique se place du côté des nouvelles d'un Buzzatti ou d'un Kaflka. Son but n'est pas de susciter l'inquiétude, encore moins l'effroi, mais de proposer une réflexion sur l'identité, les apparences, la falsification et la manière dont un homme trouve enfin sa place dans la société, quitte à le faire d'abord par l'intermédiaire d'autres personnes (et surtout d'une en particulier : Georges Fondel), avant de se trouver lui-même.
Car, plus que tout, ce roman décrit par le menu la renaissance d'un individu trop longtemps laissé en marge de la vie et ce qu'elle peut lui offrir comme possibilités. Cet aspect est le plus jouissif : nous suivons pas à pas l'épanouissement d'Adam, sa confiance retrouvée, ses prises de risques, pour aboutir à une véritable aisance dans ses rapports avec autrui. L'empathie du lecteur avec le personnage est immédiate.
Mais cette résurrection n'est pas seulement sociale : elle passe aussi par la redécouverte du talent inné d'Adam pour la peinture, sa véritable vocation et sa passion. Cette seconde partie propose quelques-unes des meilleures pages du roman, où l'auteur montre comment son personnage, de l'univers gris et aseptisé de sa première vie, redécouvre le monde dans une explosion de couleurs et de lumières (la couleur étant utilisée ici autant comme une métaphore que comme une composante artistique). Cette révélation l'amènera à peindre des faux avec une dextérité étonnante, d'abord par jeu (et pour décorer son nouvel appartement parisien) avant de se retrouver impliqué dans une petite intrigue aux allures de polar qui n'est pas l'essentiel du roman (les quelques malfrats que rencontre Adam ont une présence assez anecdotique) mais permet à l'auteur d'illustrer de manière plaisante les thèmes sous-jacents de l'imposture, du faux qui se fait passer pour vrai, du Double (Adam/Georges) et de l'obsession artistique. Elle est aussi l'occasion de faire un peu rebondir une histoire qui se contentait surtout jusque-là de décrire les changements survenus chez son personnage.
C'est un des aspects du roman que j'ai trouvé un peu rébarbatif dans sa première moitié : Claire Wolniewicz semble avoir le goût de l'énumération, tel une liste de courses pour shopping (Adam renouvelle sa garde-robe, son mobilier, Adam se documente sur ses nouveaux centres d'intérêt, Adam passe en revue le matériel de peinture dans un autre magasin. De fait, son personnage passe pas mal de temps dans les boutiques). Ce souci du détail n'est pas totalement superflu (pour passer de la chenille au papillon, il faut bien quelques accessoires) mais lasse un peu à la longue.
A noter que contrairement à beaucoup d'oeuvres anglo-saxonnes touffues, "Ubiquité" est un roman plutôt dans la mouvance d'une certaine littérature française (court, structuré en petits paragraphes, un seul personnage vraiment important décrit dans son microcosme et sa crise existentielle).
Toutefois, dans les limites qu'il s'est fixé, "Ubiquité" est un roman astucieux, bien écrit, sympathique et qui aborde des sujets assez complexes avec une simplicité et une légèreté bienvenue.
Note: 7/10
Raggle Gumm
A propos de ce livre:
- Site de l'éditeur: http://www.viviane-hamy.fr/