Chair et Tendre
Genre: Horreur , Fantastique , Recueils de nouvelles , Autres genres
Année: 2010
Pays d'origine: France
Editeur: Éditions La Madolière
Collection: Myriades
Auteur: Amelith Deslandes
Illustrateur: Zariel
 

J'ai lu le recueil d'une traite, sans pause, les yeux rivés aux mots (et quels mots!) qui défilaient comme un film étrange. Puis j'ai lu encore, et relu encore, toujours avec le même émerveillement, certaines nouvelles. J'ai encore attendu puis j'y suis à nouveau retourné avec un plaisir qui se voulait presque malsain. Et à chaque fois la même question est apparue, un flou étrange, un mal être certain, cette sensation de ne pas savoir en face de quoi je me trouvais... Le moins que l'on puisse dire c'est que la lecture d'Amelith Deslandes est déstabilisante! Du fantastique, pas vraiment. De l'horreur, oui mais sans en être tout à fait. La lecture d'Amelith Deslandes agit comme un poison, elle s'insinue dans votre esprit et votre corps et elle vous travaille de l'intérieur. La littérature étrange de cet auteur qui l'est tout autant que ses écrits est comme l'un de ces poisons corrosifs qui vous use lentement, qui vous fait mal, qui vous marque à vie. C'était le cas de son précédent recueil, "Les Loges Funèbres" sorti il y a déjà un petit temps aux éditions Nuit d'Avril, c'est ici à nouveau le cas avec "Chair et Tendre", en pire! Pour le pire donc mais aussi pour le meilleur!

 

Il y a pour moi un cas Amelith Deslandes. Tout d'abord qui est Amelith Deslandes? Au moment de la sortie de son premier recueil de nouvelles j'avais fait, comme je fais systématiquement pour tout auteur, du plus connu au moins connu, des recherches sur internet! Rien. Impossible de savoir qui était Amelith Deslandes. Certains même murmuraient qu'il s'agissait en fait d'une femme. Sur ce point aujourd'hui, le doute est levé même si un grand mystère continue à planer sur qui est réellement Amelith Deslandes. Alors peut-être que cela n'a pas d'importance, ou très peu, qu'après tout peu importe qui écrit du moment que l'écrit est là. Je dirais même que parfois rencontrer ses auteurs préférés n'est pas la meilleure des choses. Mais dans le cas Deslandes, cela participe presque de l'écriture et du mystère de son écriture!

A l'arrière de l'ouvrage, une photo. Mise à part le fait que l'on entrevoit un visage, Amelith Deslandes ne laisse voir que peu de chose de lui : un œil en gros plan et un piercing. En fait c'est beaucoup, comme si déjà là on avait une indication pour comprendre le processus qui habite l'auteur, comme si l'on avait une clef pour comprendre son œuvre et ce qui sont pour moi ses thématiques principales : la chaire et l'âme. Deux choses qui sont liées chez cet auteur formidable, unique dans la littérature fantastique française, donc de par son aura mystérieuse mais aussi par ce qui l'habite et par ce qu'il écrit... Si l'on combine cette photo particulière et le titre du recueil, alliance de la chair et d'une certaine tendresse, le tout combiné au jeu de mot chère et tendre, on a un aperçu de ce que pourrait être le style et l'univers de cet atypique de la littérature fantastique française, tout en étant toujours peu sûr qu'il s'agisse de fantastique d'ailleurs. Un auteur qui nage entre les frontières, entre les univers, qui navigue entre les genres et surtout qui abime les corps pour atteindre l'âme! Tout simplement fabuleux! Et dès la première nouvelle, celle qui donne le titre à l'ouvrage, on est plongé en plein dans l'univers de l'auteur, dès cette mise en bouche on est frappé par la force du style, simple, rapide, nerveux, efficace et par la puissance de sa courte histoire. Un père aime tellement sa fille, avec le mot aimer à prendre dans tous les sens, qu'il va lui couper les jambes, les bras et ne garder d'elle que ce qu'il peut garder comme un précieux trésor, comme si aimer l'autre c'était en faire un objet, un esclave de ses sentiments. C'est un peu schématiquement résumé mais l'idée est là. Même quand il parle d'amour (chère et tendre...) Amelith taille dans la chair, métamorphose les corps et surtout les emprisonne dans des cadres macabres, choquants, beaux, esthétiques, à lire comme on irait voir un happening un brin hors-norme...

Emprisonné ai-je dit? Oui, c'est ça la particularité de l'auteur, sa thématique principale peut-être même, l'emprisonnement des corps, des idées, des cadres, avec les thèmes qui vont ensemble, celui des labyrinthes, des souterrains qui sont comme des geôles, les espaces qui se métamorphosent, les villes qui sont mouvantes.

La majorité des nouvelles nous présentent ce thème, comme s'il fallait lutter pour une simple respiration, lutter pour un simple souffle d'air, lutter pour sortir de là où l'on vous à plongé. C'est le cas dans "Chemin de croix" où un homme se réveille dans une pièce aux multiples portes sans savoir comment il est arrivé là et il devra lutter pour s'en sortir, lutter contre lui-même aussi peut-être. Dans "Chronique des égarées" se sont plusieurs individus qui se trouvent enfermés dans un labyrinthe étrange et poussiéreux sans vraiment savoir pourquoi ils sont là et il va falloir encore une fois survivre et essayer de sortir de là. Mais qu'est-ce que cet étrange artefact et qu'est-ce que ces caméras font là? Dans "La venelle fantôme", ma nouvelle préférée, splendide tant dans les idées que dans sa poésie noire, un jeune homme arrive dans une ville qui semble bouger et vivre d'elle-même, une ville qui semble vous emprisonner et vous empêcher de sortir. La ville, un microcosme insaisissable dont on ne peut pas sortir. La société ? Vouloir en sortir, c'est mourir! Dans "La maison Tranchoir", il y a cette étrange maison dans laquelle on peut pénétrer si on veut échapper à cette même société mais au risque d'y perdre un bras, une jambe ou bien tout simplement la vie. A moins qu'il ne faille plutôt rentrer dans le moule et quelle moule! A moins que la mort encore ne soit la meilleure porte de sortie... Dois-je continuer ? Dois-je vous parler de cette femme qui va s'en aller chercher dans les sous-sols d'une étrange maison une œuvre d'art mais qui risque de trouver dans ces souterrains quelques abominations bien pires que ce que l'on peut imaginer ? Bref, sans redondance ni répétition je vous prie de le croire, Amelith Deslandes use pour notre plus grand plaisir de cette thématique du labyrinthe, de l'enfermement, des catacombes pourquoi pas et des architectures fuyantes et variables.

Cette thématique toute particulière est aussi l'une du roman noir! Et c'est vrai, Amelith Deslandes rénove, dépoussière quelque peu, et pourquoi pas actualise ce genre. En caricaturant et en schématisant quelque peu (je ne saurai vous recommander d'ailleurs à ce titre de lire l'étude d'Anne Lebrun) le thème du château dans le roman noir, du labyrinthe et des souterrains, c'est une sorte de chemin dans lequel il faut se plonger pour y voir ce que la société de ne veut pas voir, ce que la société nous cache. Une sorte d'épreuve qui ne permet peut-être pas de trouver la lumière mais de trouver autre chose, loin de la droite ligne que veut nous faire entrevoir la société ou même les grands textes religieux plus particulièrement judéo-chrétiens. De même que c'est souvent dans des châteaux ou des lieux du même genre que se retrouvent les héros sadiens! Et bien il y a un peu de ça dans l'écriture d'Amelith Deslandes. Il faut descendre dans les profondeurs pour essayer de s'en sortir, descendre dans les labyrinthes pour voir ce que la société nous cache, ce que la société ne veut pas voir, ces œuvres d'arts que l'on nous dissimule par exemple, ces mystères enfouis. Comme si se perdre était le meilleur moyen pour essayer d'être tout simplement, se perdre pour essayer de se trouver. Mais voilà chez Amelith Deslandes la fin est souvent brutale, la fin est souvent définitive comme s'il n'y avait jamais de porte de sortie. Les labyrinthes, les sous-sols, les architectures étranges d'Amelith Deslandes sont aussi celles de l'âme, de l'esprit d'êtres isolés mais aussi de l'ensemble de la société et dans ces méandres sombres et étranges c'est souvent la société tout entière qui est malmenée, critiquée, voir carrément mise au pilon. Comme dans le roman noir!

Si la chair est tendre c'est aussi qu'elle est malléable, clônable à souhait et quand on décide de créer un nouvel Adam, dans "Maudit soit le jour", c'est un être psychotique, malade, que l'on crée, une très longue suite de morts. Voilà l'auteur qui nous dit tout le bien qu'il pense de l'homme. Et encore qu'est-ce que cette société où la mutilation peut devenir une mode, où le crime fait plus que payer puisque ça fait bien ("Mutilations Mondaines"). Quelle est belle notre société ! Et même quand Amelith s'empare de la téléréalité c'est génial! Enfin façon de parler... Alors si la chair est si malléable, peut-être malgré tout, comme on pourrait le penser, l'âme peut-elle être sauvée? Non! Rien n'est sauvable et même Dieu (s'il est encore vivant!) est lui aussi mis au pilori, critiqué. Oui le démiurge, comme dans les histoires des multiples Adam dont je vous parlais précédemment, mais aussi avec ce concept qui semble courir d'une nouvelle à l'autre, le concept dit des greffes mythiques! Lorsque l'homme crée, lorsque l'homme se prend pour Dieu, lorsque l'homme veut se changer, il devient un monstre au sens propre comme au sens figuré. Comme cette femme qui veut devenir comme la Méduse des mythes grecs! Chez Ametlith Deslandes, l'homme créé des chimères, Dieu créé des monstres et ici pour un temps, le fantastique rejoint une étrange science-fiction. Oui Chair et tendre fait mal, très mal, car si l'auteur écorche les corps il attaque aussi tous les préceptes qui font notre société, il remue l'estomac mais aussi les consciences et les cœurs! Une véritable œuvre d'art, un recueil de nouvelles qui se lit un peu comme un happening macabre. Et d'ailleurs, d'art il en est souvent question dans l'œuvre d'Amelith Deslandes et c'est même l'art qui clôture le recueil avec "L'éternelle demeure". Une nouvelle qui est en somme la conclusion de ce recueil et qui pose une question : quand je crée, peinture ici, mais on peut l'étendre à tous les arts, écriture y compris, puis-je capter l'âme humaine? Et si oui comment? Une conclusion bien sombre, un brin glauque et marquante comme l'ensemble de l'œuvre d'Amelith Deslandes! Lire ce recueil c'est en prend plein la tête et croyez moi vous ne l'oublierez pas!

 

Il y en aurait encore des choses à dire et redire! Il faudrait presque prendre chaque nouvelle et la décortiquer, la lire et la relire... Il est évident qu'il faut oser pour écrire "des choses comme ça", comme ont osés des Marquis de Sade ou des Gabrielle Witkopp ou bien des Brussolo et d'autres encore. Dans le paysage français fantastique, horrifique, Amelith Deslandes est un peu un cas à part c'est une évidence. Lire du Amelith c'est aller là où vous n'êtes jamais allé, c'est oser et c'est un vrai plaisir! Certains seront choqués, d'autre amusés, certains seront bluffés par le style si particulier mais personne ne peut être indifférent au cas Amelith Deslandes! C'est incisif, c'est corrosif, c'est court et efficace et ça fait mal! La société dans son sens le plus général en prend plein la tête mais pour critiquer le genre humain, il faut être proche de l'autre, il faut connaître son "ennemi" en fait, il faut être humaniste et quelque part c'est ce qu'est Amelith Deslandes. Un humaniste qui ose! Mais tous les honneurs ne peuvent aller à une seule et même personne, rendons aussi hommage à la maison d'Edition La Madolière qui a elle aussi osé publier ici des textes hors normes, loin de ce qui se fait habituellement et ça aussi c'est un bel exemple de courage que nous nous devons de saluer bien bas! Alors si vous voulez sortir des sentiers battus, si vous voulez découvrir autre chose tout simplement et surtout lire l'un des plus grands nouvellistes français en matière d'horreur et de fantastique, foncez! Je vous le jure vous n'oublierez jamais la première fois ou vous avez ouvert un Amelith Deslandes! Une claque!

 

Note : 10/10

 

Le Cimmerien

 

A propos de ce livre :

 

Site de l'éditeur : http://www.editions-la-madoliere.com/

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