"Va va vierge pour la deuxième fois" est fou. Et Koji Wakamatsu, qui l'est tout autant, d'entrée, en alertera les spectateurs en sublimant l'après viol. Mettant alors en place une poésie d'après-coup, il ne laissera pas Poppo succomber au cliché d'un tel réveil. Ce ne sera qu'après avoir discuté avec le garçon du toit et observé le monde autour d'elle qu'elle aura le droit d'hurler, seulement après avoir admiré du linge blanc, si vierge de toute tâche. A ce moment là, peut-être qu'elle aussi aimerait qu'on la passe à la machine, qu'on la nettoie. Ou du moins, c'est ce que Koji Wakamatsu semble nous dire et nous laisser croire, mais seulement jusqu'à ce qu'elle nous avoue qu'elle n'est pas triste, pas triste du tout, et qu'elle nous emmerde. Là, la musique jazz qui accompagnait alors Poppo dans son infinie déambulation s'arrête. C'est ici un grand moment de cinéma, qui prend à revers et impose le silence. La musique, dans ce film, se présente donc comme un élément essentiel, un personnage à part entière, comme l'équivalent du choeur dans les tragédies grecques, sauf qu'ici on ne le voit pas. Elle occupe une place primordiale, et la chanson du générique d'ouverture, lorsqu'elle prendra son sens à la toute fin, ne fera que confirmer la place de la musique dans "Va va vierge pour la deuxième fois".
Aussi, il y a le garçon qui a observé le viol et qui était encore là à son réveil, un 8 août apprend-on. Un garçon qui s'avère être le cinquième membre (et la tête de turc) de la bande responsable de l'acte, mais qui est aussi le fils du superintendant de l'immeuble, et qui semble être exclu des jeux de ses camarades (il dira d'ailleurs qu'il ne l'a pas violé, juste après lui avoir demandé si elle avait aimé). Lui, Tsukio, pense qu'il peut la tuer, contrairement aux autres, et qu'il est un expert en la matière. C'est du moins la première chose qu'il lui dira, comme s’il semblait alors vouloir se donner de la valeur vis à vis de Poppo. Il viendra aussi nous demander, après qu'elle ait hurlé le “je vous emmerde”, si elle l'a fait (sous entendant le suicide puisqu'elle parlait de "mourir" depuis qu'ils s'étaient adressés la parole) ? On observera qu'il tenait sa robe à la main, prêt à lui ramener. Dans le désir de la satisfaire, il veut tout de même savoir pourquoi elle veut mourir avant de la tuer.
On apprend alors qu'elle est malheureuse, et que même ce second viol n'a pas réussi à effacer son infinie tristesse. Elle désire donc mourir et le répète sans cesse. Quand elle aura 20 ans elle sautera, mais pas maintenant, car à seulement 17 ans, c'est trop tôt. Elle est elle même issue d'un viol, et se demande alors si les larmes des viols étaient de vraies larmes de femme? Tout ce qu'elle recherche, dans le fond, est de se faire tuer, considérant alors le viol comme une étape à part entière ou possible de la/sa mort.
"Va va vierge pour la deuxième fois" revendique et assume son appartenance au pinku eiga, mais va plus loin. Les codes érotiques sont certes respectés (déshabillages, viols...), à l'apparence, mais Wakamatsu s'applique à les détourner (il n'y a d'ailleurs rien de réellement excitant dans tout cela, et la scène de partouze en couleur semble être une parodie du porno soft de son temps). Il s'impose alors comme un contre-magicien du cinéma, une sorte de sorcier maléfique capable de briser tous les clichés avec une inhabituelle violence et maîtrise tant narrative que technique.
On constate aussi, quand on y regarde de plus près, que ce fut la période la plus "riche" de Wakamatsu. La pauvreté des moyens devenant alors un atout; et la couleur, utilisée de la même manière que dans "Les anges violés", deux ans auparavant, est ici présente dans un scope tout à fait impressionnant. Cependant, il s'agissait à l'origine de satisfaire les envies d'un distributeur souhaitant pouvoir faire une pub de qualité à propos du film avec des images "en couleurs". Quant à savoir si c'était aussi le cas sur "Les anges violés", la question est posée.
C'est donc l'histoire de deux personnes seules, victimes d'abus, comme le laissera découvrir le film, et symboles d'une jeunesse désabusée au plus profond d'elle même, pervertie jusqu'à la moelle, telle que nous le montre les activités de la bande criminelle (le viol, au vu de la banalité avec laquelle il est évoqué, ne semble pas tabou), et désespérée.
Nous sommes clairement face à des jeunes oubliés du Boom Izanagi (1965/1970). Une sorte de jeunesse en perdition qui n'a pas connu le miracle économique japonais, et que le slogan clôturant le film semble présenter comme "incomprise"; et certainement à cause d'une société qui n'a pas su (ne sait pas et ne saura pas) comment se confronter à un tel problème.
Intemporel et magistralement mis en scène, captivant et osé, il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur "Va va vierge pour la deuxième fois", mais c'est dans ce cas là un fanzine qu'il faudrait lui consacrer (si ce n'est un ouvrage, et une collection entière pour la filmographie de Sir Wakamatsu). Allez donc jouer vous aussi avec la mort, la femme est à l'homme ce que le prolétaire est au bourgeois capitaliste. Ce film est un chef-d'oeuvre.
The Hard
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