Un homme à pieds, et épuisé, dévale la pente caillouteuse de ce qui ressemble fortement à une carrière. Il est poursuivi par un groupe de cavaliers qui finissent par le cerner et qui, après lui avoir reproché sa trahison, l'abattent. Un autre cavalier galope longtemps, droit vers la caméra, le temps pour le chef op de faire le point et de nous proposer enfin une image nette, le temps aussi de faire défiler le générique. Ce cavalier en stetson noir et en poncho se rend-il dans une ville-frontière entre le Mexique et le Texas ? Non, car nous sommes, nous prévient une incrustation sur l'image, en 1611 quelque part en Europe.
Sur la grande place d'une cité (en fait, plutôt en contrebas d'un château transylvain), un tambour de ville fait un discours en allemand, avec un accent qui semble venir d'une région plus proche de l'embouchure du Danube que de sa source. Notre héros est engagé pour se débarrasser du corps d'un pestiféré loin de cette ville (ou, étrangement, tout le monde parle roumain). Alors que les deux reîtres qui l'escortaient de loin s'approchent pour l'éliminer (sans doute pour empêcher la propagation de l'épidémie), il se débarrasse d'eux grâce à son habileté au revolver... euh... non, pardon, grâce à son habileté au pistolet à poudre.
Ailleurs, mais pas tellement plus loin, une bande de lansquenets transportant un canon s'arrête pour pique-niquer au bord d'une route. Un mendiant borgne, cul de jatte et quasi muet les hèle pour obtenir quelque pitance. Il ne reçoit que des lazzis et des os de poulets sur la tronche. Mais attendez, ce mendiant, qui ressemble à Bud Spencer essayant d'imiter Tomas Milian en train de cabotiner, je le reconnaîs c'est... c'est... Mihail Viteazul ! Ah la vache, il a morflé depuis qu'il s'est fait assassiner par des officiers wallons, il en est réduit à mendier comme un vulgaire rom sur les trottoirs d'une avenue d'Europe occidentale. Mais en fait, il n'est pas vraiment cul de jatte, ni muet, ni même borgne, et d'ailleurs il se débarrasse facilement des reîtres allemands, grâce à la complicité du scénariste il est vrai, mais rien de surprenant pour un héros tel que lui. Mais quoi ? Ce n'est pas Mihail Viteazul ? Ah, quelle déception !
Tourné en 1974, quatre ans après Mihail Viteazul, et sensé se passer dix ans après les événements du célèbre diptyque roumain, ce film narre les aventures d'un groupe de vétérans valaques des guerres de Michel le Brave contre les Turcs et les impériaux. L'explication du titre, Nemuritorii (littéralement : "les Immortels"), se fait dès le carton de prégénérique : "ceux qui se sont sacrifiés pour l'unité de la Roumanie resteront à jamais dans nos coeurs". Si cette profession de foi patriotique n'est pas très rassurante, les séquences qui suivent sont d'une toute autre tonalité, et lorgnent clairement vers le western italien, avec des (ultra) gros plans sur les mines patibulaires de ses héros déguenillés et mal rasés, n'hésitant pas à se vêtir des dépouilles des ennemis abattus.
On suit donc les aventures picaresques et tragicomiques de ce groupe d'anti héros, mi pieds nickelés, mi soldats d'élite, traversant une Europe centrale dévastée par la guerre de Trente Ans (ou, peut-être, seulement la Transylvanie ?), en pensant rapatrier le trésor, en fait imaginaire, de Mihai Viteazul, dans l'espoir qu'il leur permettrait de réunifier la Roumanie. Ils échapperont in extremis à de nombreux périls, avant d'arriver dans leur Valachie natale. A ce moment là, le ton du film va changer, et on passera du western spagh' au western hollywoodien, avec une dernière demi heure faisant la part belle aux actions héroïques, dans un mini Alamo roumain, où notre poignée de héros affrontera toute une armée ottomane secondée de collabos valaques. Paradoxalement, c'est cette fin très patriotique qui est la partie la plus réussie du film, car souffrant moins de la comparaison avec ses modèles ; le réalisateur (Sergiu Nicolaescu) et son scénariste (Titus Popovici) étant incontestablement plus à l'aise dans le style épique que dans la comédie dramatique.
Sergiu Nicolaescu eut l'idée de ce film juste après avoir réalisé Mihail Viteazul, sans doute s'est-il dit : "pourquoi ne pas réutiliser tous ces beaux décors et costumes pour un film à petit budget se déroulant à la même époque, ce qui nous permettra d'exploiter le succès populaire du précédent diptyque à peu de frais". Titus Popovici écrivit donc un premier scénario intitulé "Après la tempête", en 1971, mais le film ne put se faire que trois ans plus tard. Difficile, donc, de ne pas penser à Mihail Viteazul dans la mesure ou Nemuritorii non seulement y fait souvent référence mais reprend aussi presque tout le casting masculin principal de son glorieux aîné, et nous offre même un stock-shot de celui-ci (lors du rêve de Ion Besoiu). Mais, cette fois, Nicolaescu s'est réservé le rôle principal, (celui du Capitaine Andreï, magnifique nom pour un héros, ne serait-ce que pour ça ce film devait être fait), Amza Pellea étant relégué à celui de comparse, alors que Ion Besoïu, qui incarnait le "méchant" dans la seconde partie de Mihail Viteazul, joue cette fois un patriote idéaliste et est beaucoup plus convainquant.
L'impression d'être dans un western n'est pas dû qu'au scénario et à son traitement, mais aussi, et là c'est involontaire, aux armes des protagonistes, si les Mosin Nagant camouflés pouvaient facilement passer pour des mousquets dans les scènes de foules de Mihail Viteazul, ici, en gros plans, on voit clairement que l'on a affaire à des fusils. La musique pop-rock folklorique, qui tient un grand rôle dans le film, renforce aussi les similitudes avec les westerns contemporains italiens et d'outre atlantique.
Cette bande son est constituée essentiellement de chansons du groupe "ethno rock" roumain "Phenix" (ou "Transylvania Phenix", alors très populaire), inspirée par des thèmes traditionnel roumains. Parfois un peu trop envahissante, elle m'a laissé une impression mitigée. Le film en lui-même préfigure le genre éphémère des "Westerns Mamaliga" de la fin des années 70, scénarisés par le même Titus Popovici, et ayant pour vedette Ilarion Ciobanu (second rôle sur ce Nemuritorii), se déroulant eux vraiment dans l'Amérique du 19e siècle, bien que contant les aventures d'une fratrie roumaine.
Si ce film de cape et épée, qui fut un énorme succès populaire dans son pays, est loin d'égaler les meilleures réussites du genre vers lesquelles il lorgne vraiment (à savoir le western spaghetti), il constitue néanmoins un très agréable divertissement, pour peu que l'on ne soit pas trop sensible à son coté "film de propagande nationaliste".
Note : 7/10
Sigtuna