Colorado
Titre original: La Resa dei conti
Genre: Western spaghetti
Année: 1966
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Sergio Sollima
Casting:
Nieves Navarro, Lee Van Cleef, Tomas Milian, Luisa Rivelli, Fernando Sancho, Roberto Camardiel, Walter Barnes...
 

Jonathan Corbett est connu pour avoir éliminé presque tous les bandits du Texas. C'est bien pour cela qu'on lui propose sa candidature au sénat des Etats-Unis et que l'on compte bien se servir de lui pour soutenir la construction ferroviaire d'un riche propriétaire. Pour que ce projet soit mené à bien, on lui demandera en premier lieu d'éliminer le mexicain gênant Cuchillo, accusé à tort d'avoir violé et tué une fille de 12 ans. Corbett se met alors comme convenu à le poursuivre, sauf que dans sa longue traque, celui-ci verra ses convictions petit à petit contrariées puis contredites...

 

 

C'est simple, cette Resa dei conti n'a pas besoin de compagnie, car prise seule, non seulement elle existe, mais elle est tout bonnement l'une des meilleures et jouissives pellicules du genre. L'histoire déjà, est à la fois très bien développée (dans sa version intégrale de 105 ou 107 min), mais également empreinte d'une certaine profondeur humaine. Le personnage de Corbett campé par Van Cleef possède déjà un caractère bien plus complexe qu'à l'ordinaire, et sa transformation désabusée, humaine, qui tend vers le respect est un fait même assez inédit dans le spaghetti. On sera donc gré à Sergio Sollima d'avoir su apporter cette dimension humaine, et ce sans pour autant, ni tomber dans un humanisme béat, un moralisme facile, ni encore une complicité pataude entre les deux héros, via un traitement trop bon enfant.

 


Non, Sollima prend le temps de peindre finement ses personnages, ce qui ne l'empêche pas de le faire avec grâce et pas mal d'humour, notamment lors de la première rencontre entre Corbett et Cuchillo, ce dernier étant en plein rasage, substituera le barbier à lui-même, laissant, disons le tout net, "Lee Van Corbett" comme un con, et ce ne sera que la première d'une petite série ! Il est vrai, hormis l'hypothèse où l'on serait renégat soit même, voire riche propriétaire terrien, qu'il est impossible de détester ce personnage de Cuchillo, car tout agaçant qu'il puisse être, il n'en est pas moins attachant.
Si attachant du reste, que Van Cleef, pourtant abusé à plusieurs reprises par cet étrange sauvageon, qui plus est fort en gueule, à la limite même du soûlant, révise petit à petit son jugement sur le personnage autant qu'il remet en question, pas à pas, son sens de la justice issue de son éducation. Peu à peu, il découvre qu'il y a davantage d'équité chez le pourchassé anarchiste que chez le chasseur légal qui l'emploie. C'est là du reste où réside la plupart de l'engagement à gauche toute de Sergio Sollima, en inversant les rôles, et en livrant ainsi sa propre conception de la justice, ainsi que de la légitimité à se servir de la légalité pour la détourner. A ce titre, la qualité de son interprétation est à nouveau remarquable. Celui-ci, tout juste sorti du "Bon, la brute et le truand", assure avec un brio et un charisme incomparable son avenir au sein d'un genre qu'il ne cessera ensuite de tirer vers le haut.


De l'autre côté, se situe donc son miroir sinon son révélateur, à savoir Cuchillo. Cet homme-là, constamment en fuite, à travers les plaines, déserts et les champs de maïs, saura pourtant s'arrêter quand il faut afin de profiter des plaisirs de la vie. Injustement accusé, et quand bien même ce ne serait pas un ange, celui-ci refuse la violence injustifiée, et le couteau dont il préfère se servir en tant qu'arme (et l'on ne s'en plaindra pas !) semble symboliser sa marginalisation au sein d'un système où il ne se retrouve pas. Ce qui est amusant, c'est qu'à contrario des autres westerns mettant en place comme celui-ci un jeu subtil de chat et de souris (Le Grand duel), c'est le jeune qui entraîne ici le vieux dans la réflexion et l'initiation. Ceci va bien sûr dans le sens anti-réactionnaire et militant de son metteur en scène, et c'est malgré les apparences beaucoup plus fin qu'on ne pourrait le croire.

 

 

A ce titre, Tomas Milian livre une prestation assez hallucinante, entre cabotinage et retenue, spontanéité et réflexion lasse, si bien qu'il ne serait pas étonnant que ce rôle-là ait déteint par la suite sur sa carrière, le faisant parfois tomber dans le surjeu, pour ma part légèrement agaçant (Le Clan des pourris) - je dis ça en toute objectivité (personnelle) puisqu'il s'agit d'un acteur que j'adore. Quoi qu'il en soit, Cuchillo reste à ce jour l'un de ses rôles les plus marquants. De plus l'association qu'il forme avec Lee Van Cleef est non seulement malicieuse, subtile, ambigüe et même ambivalente, mais Sollima lui donne une épaisseur assez rare pour être signalée, d'autant qu'il fait rentrer une notion de respect mutuel aussi finaude qu'imparable dans sa petite étude de moeurs.


Il ne faudrait tout de même pas laisser de côté le foisonnant spectacle tout fait d'aventures. La première scène (absente dans la version US de 80 min où le film perd tout son sens en plus de caricaturer les protagonistes) avec ces chasseurs de primes éradiqués vite fait bien fait par Corbett est épatante. Le personnage est sans concession, il ne tirera que si on l'oblige, mais il tirera pour tuer. Pareil en somme que Cuchillo avec son couteau et c'est bien leur notion personnelle de justice qui les fera se rejoindre enfin.

 

 

En parlant de coutelas, la fin marquera son homme, et à ce propos il est difficile une fois de plus de ne pas citer l'immense partition (et non pas seulement son thème principal) du sieur Morricone. La scène où Cuchillo se retrouve à combattre un taureau restant ma préférée (le thème de "la corrida" du grand Ennio est formidable), une véritable célébration de tous les sens ! De même pour ce saint Cuchillo pourchassé à travers les champs de maïs, défendant son épouse (Nieves Navarro : La Jeunesse du Massacre) mise à mal, balançant d'un coup de pied (plutôt) gracieux son fusil à son double Corbett afin qu'il puisse éliminer le danger, à savoir autant l'horrible homme d'affaire sans foi ni loi (Walter Barnes / Le moment de tuer, La révolte des indiens apaches), que ce policier mexicain (Fernando Sancho / "Sartana"), que tout ceci arrange bien, détestant quant à lui autant les révolutionnaires que les Américains. C'est dans un respect mutuel, durement gagné et rempli de défis et de joutes narquoises que les deux hommes se retrouveront pour porter haut et fort ce qui est juste et vaincront. Enfin, on l'espère pour eux...

 



Bref, si l'on ajoute à tout ceci une sorte de nazi au monocle (Gérard Herter / "Poker d'as pour Django"), doté d'une tête pas possible, entre sadisme contenu et fair-play, et dont le sport préféré serait la chasse à l'homme (mais à chacun son truc, restons tolérant !), semblant ainsi symboliser l'ancien temps et toutes les déviances des jeux de Rome, en même temps qu'une suprématie aryenne en devenir, c'est cette avalanche de détails ajoutés aux richesses évoquées ci-dessus, qui font de La Resa dei conti non seulement l'un des tous meilleurs films de son auteur, mais l'un des meilleurs spaghetti auquel on puisse encore assister à ce jour ; et, somme toute, un grand western tout court.

 

Mallox

 

A propos du film :


# Le film Saludos Hombre, tourné deux ans plus tard, est la suite des aventures de Cuchillo pour le coup retranché au Mexique. Entre temps, Sergio Sollima a tourné un excellent Dernier face à face.

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