Dernier face à face, Le
Titre original: Faccia a faccia
Genre: Western spaghetti
Année: 1967
Pays d'origine: Italie / Espagne
Réalisateur: Sergio Sollima
Casting:
Gian Maria Volonté, Tomas Milian, William Berger, Carol André, Jose Torres, Yolanda Modio, Gianni Rizzo, Guy Heron, Aldo Sambrell...
Aka: Il était une fois en Arizona
 

Brad Fletcher, ancien professeur d'histoire à l'université doit se retirer pour raisons de santé. En chemin, près de la petite ville de Purgatory City, il croise un dangereux malfrat, Beauregard Bennet. Au sein de sa demeure isolé il se fera enlever par le criminel en cavale, poursuivi par les forces de police et qui le prend alors en otage. Les rapports entre le prisonnier et son "geôlier" vont rapidement évoluer vers un respect, voire une forme d'admiration réciproque...

Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins, ce "dernier face à face" est une très grande réussite à la hauteur de son ambition. Aussi abouti formellement que "Colorado", supérieur au pourtant très bon et plus débridé (ou libre) "Saludos Hombre", le film affiche une volonté de proposer une étude de caractère fouillée, et si derrière la caméra Sergio Sollima a une approche humaniste, ce à quoi on assiste à l'écran est d'avantage un film sur l'humanité qu'un film humaniste. Tant mieux pour ma part, je déteste les sermons bien-pensants et l'anti-humanisme a selon moi beaucoup plus contribué à l'art que son pendant positif quand il n'est pas même pas emprunt de misanthropisme. A cet égard, je rangerai personnellement dans cette catégorie le grand Sergio Corbucci qui s'il s'inscrit dans le même courant de pensée politique que Sollima, n'a alors pas du tout la même vision de l'humanité que ce dernier. Autant Corbucci est un grand nihiliste qui laisse peu de chances aux humains d'évoluer ou de se voir offrir possibilités de rédemption, autant chez Sollima l'être humain évolue dans un doute constant et perpétuel. Il peut changer de choix d'une seconde à l'autre, aidé par le mimétisme qui l'entoure et le metteur en scène livre même ici un film au propos assez abyssal sur l'ambivalence.
A revoir "Faccia a Faccia", il me semble clair qu'on tient là le chef-d'oeuvre du western spaghetti réflexif, limite philosophique. Cette dimension est du reste affichée dans son script, et c'est même pour ma part ce que je craignais à priori, à savoir que le film tombe dans le "trop signifiant", ce qu'il évite magistralement, et je dirai même qu'on est en droit de le trouver trop court. Tous ces protagonistes en perpétuelle évolution accouchent en plus d'un spectacle plus physique, d'un film complètement fascinant, passionnant, foisonnant. C'est à regret que l'on quitte le film, qui disons-le, est doté d'une fin à tomber par terre.
Il semble selon les propos du réalisateur que le film durait près de 2h30 à l'origine, qu'elle aurait été coupée à la demande d'Alberto Grimaldi, dont c'est ici la troisième collaboration avec Sollima après "Agent 3S3, massacre au soleil" et "Colorado", version que l'on aura sans doute jamais la chance de voir, déjà qu'on semble avoir du mal à raccommoder le film dans sa version raisonnable de 107 minutes, vu la politique des exploitants de l'époque où le film est sorti, restant à l'affiche une semaine, dans une version tronquée afin de correspondre aux séances formatées 90 minutes, entre deux autres spaghettis sans envergure, et sous le titre de "Il était une fois en Arizona".

 

 

Ce qui saute aux yeux également et avant que j'oublie, c'est l'immense talent de Sergio Sollima scénariste. En effet, il faut le voir faire évoluer ses protagonistes (et ils ne sont pas que deux à muter, le personnage de Charley Siringo joué par un épatant William Berger est tout aussi creusé et traverse son chemin initiatique lui aussi), ceci par petites touches constantes et intelligemment distillées, à la manière du meilleur portraitiste qui soit.
Soit, on comprend bien que les rôles vont s'interchanger dès lors que le professeur d'histoire tuberculeux tirera son premier coup de pistolet, mais le plus remarquable en dedans, c'est le changement dans le changement, disséqué avec minutie et avec le regard de celui qui aurait tout compris à l'humanité, rendant chaque doute palpable à l'écran. Du coup, on reste nous même en attente de ces choix de chaque instant et restant en suspend de façon inaltérable.
Rappelons donc tout de même que Sergio Sollima a débuté sa carrière en tant que scénariste et ça se voit. Soit, les films n'étaient pas forcément des chef-d'oeuvres, mais les scénarios pour ceux que j'ai vu, semblaient solides. Comme beaucoup d'autres, c'est au sein du péplum qu'il commença cette carrière, avec des films plus ou moins notables comme "Goliath contre les géants", "Maciste contre le Sheik" ou encore "Hercule se déchaîne". En plus d'un excellent scénariste, on trouve ici ce que l'on soupçonnait déjà fortement dans "La resa dei conti", le fait que Sollima soit un formidable directeur d'acteurs. La légende (qui semble être la réalité) veut que Tomas Milian et Gian Maria Volonte ne pouvaient pas se saquer, chacun étant en pleine ascension de carrière cinématographique, qu'il se crut la vedette du film, allant jusqu'à aller voir Sollima de façon incessante, lui demandant de couper tel plan de l'autre, qui lui gâchait sa mise en valeur. Sollima a semble t-il malicieusement joué de ça, laissant la tension suivre naturellement son cours, et il me semble bien que ceci se perçoit à l'écran. Bennet et Fletcher semblent se fixer en tournant sans cesse autour d'un axe invisible, prenant ainsi petit à petit la place de l'autre comme dans un jeu de chaises tournantes.

 

 

Si la mutation de Beauregard Bennet est une élévation au contact du professeur d'histoire, ce dernier lui apprendra sans forcément le vouloir, l'esprit tactique, et de par sa faiblesse apparente et son intellectualisation qui va de paire, ainsi que dans une vision historique purement théorique mais judicieuse à la base, Bennett passera du sauvage sans états d'âme, à quelqu'un de plus patient et réfléchi. Celui-ci comprend bien qu'il a tout à y gagner dans l'efficacité de ses actions et méfaits. Ce qui est plus surprenant, c'est qu'en apprenant, il s'humanise dans un même temps, assimile des valeurs qui lui étaient jusque là étrangères.
De l'autre côté, Brad Fletcher se révèle attirer par la force et le pouvoir. C'est cela qu'il ira puiser chez l'ancien membre de la horde sauvage. Normal, c'est ce qui lui manque, et si Fletcher trouvera un autre lui-même, à savoir, un être courageux, puissant et ambitieux, soit le contraire de ce qu'il fut, il oubliera en revanche ses leçons d'histoire au passage, tombant ainsi dans le régime fascisme qu'il a pourtant du enseigner. Finalement pour ma part, l'un se trouve quand l'autre se perd et si le professeur d'histoire se révèle alors redoutable et puissant comme il ne l'a jamais été, ce n'est que par mimétisme. Beauregard lui dira ce qui résume la chose : "Tu n'es pas un homme fort, tu es un caméléon".
Là-dedans William Berger joue finalement le candide. Agent Pinkerton à la recherche de Bennet depuis des années, il n'est là à la base que pour exercer son métier, avec disons le un grand professionnalisme. Ce professionnalisme va de paire avec une acuité de regard, et c'est dans cette position qu'il sera le principal témoin des mutations de chacun. Ces mutations le surprendront tant et si bien qu'il glissera lui-même vers une humanité et un sens de la justice plus aigu et affirmé. D'autant qu'étant de l'autre côté de la barrière, il est en même temps témoin des enjeux politiques et financiers des notables qui mènent les rennes. Bref, il fera la part des choses, et son positionnement au fur et à mesure que les enjeux se précisent est tout autant remarquablement et finement rendu que ces deux Ying et Yang qui s'interchangent. Il ne faudra pas occulter l'exemplaire prestation de ce charismatique acteur d'origine Autrichienne, quand bien même Milian et Volonte sont ici remarquables.

 

 

Pour parler encore un peu des acteurs, les seconds rôles sont remarquables. J'ai déjà dit ailleurs l'estime que je portais à Aldo Sambrell, et son arrivée finale à la tête d'une horde sauvage poursuivant le squelette de cette même horde initiatrice, est l'un des autres traits malicieux de Sergio Sollima au sein d'une étude de caractère stupéfiante de précision, mais aussi d'une réflexion démystificatrice de l'histoire. Au fur à mesure que le professeur d'histoire régresse, Sollima prend sa place. Bref, c'est toujours un plaisir de voir ce Sambrell ("El Chuncho", "Navajo Joe"). C'est également un plaisir de retrouver un autre incontournable du genre, l'excellent Jose Torres ("La mort était au rendez-vous", "Tepepa" ou encore "Le corsaire noir") dans le rôle de l'un des derniers représentants de cette horde sauvage moribonde. Si Jolanda Modio s'en tire remarquablement, et servira même de moteur de violence à Brad Fletcher via l'attirance sexuelle, frustrée de l'autre côté et donc obtenue par la force, mon petit hic ira juste à Carole André ("Colt 38 Special Squad"), qui avec une coupe de castor pas possible fait un peu tâche dans le décor. Heureusement, on s'y habitue malgré tout de par la finesse de ses rapports avec Beauragard Bennet et surtout l'image qu'il lui renvoie, de plus en plus respectueuse...
Si la musique de Ennio Morricone ne ressemble pas à un "Hit", elle n'en est pas moins remarquable. Morricone livre ici une partition toute en lyrisme subtile, à savoir la parfaite retranscription de la tonalité de ce western hors norme, aux allures de tragédie grecque.
Le film peut également se targuer d'un bel apanage esthétique sans jamais tomber dans l'esthétisant. A ce titre, la mise en scène de Sollima est assez proche d'un certain classicisme américain (mais pas Hollywoodien), et pourtant le film est tout sauf une vulgaire démarcation de son modèle outre-atlantique. Il demeure même à ce jour la preuve (vivante !) de l'existence à part entière d'un genre transalpin possédant sa pleine identité. Moins formaliste que ses pairs, en reste pourtant essentiel et apporte l'un des meilleurs titres de noblesse de ce genre trop souvent réduit à Sergio Leone et ses opéras cyniques et mélancoliques.
Bon, disons pour finir que la méditation sur la force et le droit, ou même sur l'action et la littérature, est quelque chose de peu vu au cinéma et s'il faut passer par ce "faccia a faccia" pour goûter ces richesses là, en empruntant le chemin d'un genre sous-estimé, on aura envie de s'y attarder très longtemps. Un grand film.

 

 

Note : 9/10

 

Mallox
 
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