So Young So Bad
Genre: Drame , Women In Prison
Année: 1950
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Bernard Vorhaus & Edgar G. Ulmer
Casting:
Paul Henreid, Catherine McLeod, Grace Coppin, Cecil Clovelly, Anne Francis, Rosita Moreno (Rita Moreno), Anne Jackson...
 

Le docteur John H. Jason (Paul Henreid) accuse le coup. Deux de ses protégées au sein du pensionnat de rééducation qu'il dirigeait viennent de récidiver dans la violence après s'être enfuies. Qui plus est, l'une de ses hôtes, la jeune Dolores Guererro (Rita Moreno), s'est suicidée après avoir subi les mauvais traitements de l'infirmière en chef de la maison, une dominatrice et sadique.
Jason se souvient alors, tentant de trouver les raisons de son échec...

 

 

... Nous voici donc transportés lors de son arrivée dans l'établissement. Plus que candide, c'est alors un docteur idéaliste qui débarque. Evoluant à la lisière constante de la naïveté (c'est que nos pensionnaires ne sont pas forcément des anges non plus et peuvent, pour certaines d'entre-elles, vous mettre K.O. sur le tapis en un coup bien ajusté), celui-ci se met bille en tête d'intégrer au programme de rééducation une bonne part de psychologie, jusque là absente. Il s'agit de prendre les cas de façon séparée, de comprendre les raisons pour lesquelles les jeunes filles ont pris un jour, dans leur vie, les marches de la marginalisation et de la délinquance. Il ne s'agit plus de répression à tout va, à l'instar de cette vieille salope de madame Beuhler (Grace Coppin, excellente) qui prend son pied ce faisant, mais de les aider au mieux, en prenant chaque cas comme particulier, et non plus en gérant le groupe comme un troupeau de brebis égarées à remettre dans le droit chemin à coups de bâton.


Heureusement pour lui, John H. Jason trouve rapidement une aide en la personne de Ruth Levering (Catherine McLeod), l'une des infirmières de l'établissement, laquelle n'a jamais pu agir de la manière souhaitée sous le joug de l'horrible matrone. Très vite, Jason s'intéresse au cas ardu de Loretta Wilson (Anne Francis), une adolescente rebelle, violente, indocile à l'extrême, sauvage. C'est paradoxalement grâce à elle qu'il prendra conscience des mauvais traitements réservés en douce à ses pensionnaires. Deux autres jeunes femmes prendront également une part importante dans la mise à jour des pratiques sadiques régnant en ces lieux : Dolores et Jackie Boone (Anne Jackson).

 

 

So Young So Bad est un film extrêmement intéressant. Quand bien même a-t-il été réalisé à quatre mains que cela ne nuit pas à l'homogénéité de l'ensemble. Difficile d'ailleurs de savoir ce qui est dû à Bernard Vorhaus d'une part, et à Ulmer d'autre part. Tout comme Ulmer, Bernard Vorhaus évolue comme réalisateur depuis le début des années 30, le plus souvent à la tête de budgets dérisoires. Et tout comme son homologue austro-hongrois, il a abordé des genres divers, avec une prédilection pour le film noir, mais avec aussi quelques petits films fauchés mais malins tels que "The Amazing Mr. X" en 1948 pour Ben Stoloff et sa Samba Pictures. Sur les dix jours qu'a duré le tournage, on en attribue généralement trois, voire quatre à Edgar G. Ulmer. Difficile de se rendre compte néanmoins à qui l'on devrait telle ou telle scène, hormis, sans doute, l'une d'elles, très efficaces : le suicide de Dolores qui, par son jeu d'ombres très expressionniste, porte manifestement la marque du réalisateur de Strange Illusion et de Barbe Bleue. On ne sait pas à avec certitude les raisons pour lesquelles Vorhaus disparut du tournage pour être remplacé en urgence par Ulmer. D'un côté, le réalisateur aurait été empêché par d'importants ennuis de santé ; de l'autre, fraîchement étiqueté communiste dans une Amérique paranoïaque et hystérique, celui-ci venait de rejoindre la longue liste des cinéastes blacklistés. A regarder la filmographie de Bernard Vorhaus, on s'aperçoit que So Young So Bad est l'un de ses derniers films avant que celui-ci se voit contraint de quitter le métier (dans lequel, paraît-il, il exerça encore mais sous de multiples pseudo qu'on a du mal aujourd'hui à retrouver).

Quoi qu'il en soit, So Young So Bad s'avère être un film réussi à bien des endroits ; bien meilleur que le Girls in Chains d'Ulmer, avec lequel il entretient quelques similitudes. Il s'agit là d'un des tous premiers W.I.P. de l'histoire du cinéma, en tout cas dans une forme proche de ce que l'on retrouvera dans le cinéma d'exploitation des années 70.
On mentionnera, pour compléter le tableau W.I.P. et pour ne cependant pas en attribuer tous les mérites à So Young So Bad, que la même année venait d'être tourné le fameux "Caged" de John Cromwell, avec Eleanor Parker. Ces films anticipent à eux deux le "Reform School Girl" que tournera Edward Bernds en 1957.
Un détail d'importance, car à bien y regarder, même le film dit de "délinquance juvénile" ne percera qu'une poignée d'années plus tard avec le "Graine de violence" de Richard Brooks. Quant aux instituts répressifs pour jeune femmes, c'était alors une véritable gageure, surtout dans une mise en image dotée d'un sous-texte lesbien constant.

 

 

Pour en finir avec le genre W.I.P. dans lequel on peut donc l'inscrire sans trop de risques de se tromper (on remplace, bien entendu, un institut de rééducation par une prison), on en remarque nombre de caractéristiques :
Le ou la surveillant(e) sadique qui s'arroge le droit de sévir à tout bout de champ, souvent de manière rigide, autant injustifiée qu'excessive (un thème qu'on reverra aussi du reste régulièrement dans le film "psychiatrique", ainsi "Schock Corridor" ou "Vol au-dessus d'un nid de coucous") ; l'une des hôtes qui prend l'ascendant autant physique que psychologique sur les autres détenues ("Tu es mienne, chérie !"), ce, avec une pointe de domination toute saphique (ce qui est du reste également valable pour la gardienne, ou même pour l'empathie excessive que peuvent avoir certaines pensionnaires envers d'autres) ; une rébellion organisée par les résidentes des lieux qui considèrent que les bornes ont été dépassées (souvent la mort d'une des leurs, comme c'est le cas ici, et la prise de conscience à l'extérieur de l'établissement - on notera ici une scène dans laquelle les jeunes femmes déchiquettent leur oreiller, remplissant la pièce de plumes, une scène d'insubordination toute anarchiste très proche de ce qu'on a pu voir jadis dans le "Zéro de conduite" de Jean Vigo) ; une vengeance bestiale envers la fasciste autorité, pouvant aller jusqu'au meurtre.


On pourra accessoirement (en tout cas ici) rajouter, qu'une fois aidées par le monde extérieur, se posera malgré tout le problème de leur insertion au sein de la société. A cet égard, le propos de So Young So Bad échappe au manichéisme qui voudrait que les gardiennes soient des tortionnaires, et les pensionnaires des jeunes femmes incomprises en difficulté, puisqu’à plusieurs reprises, elles se montreront dangereuses, tant et si bien que si les pratiques à l'intérieur de l'institut sont remises en cause de manière progressiste par Vorhaus et Ulmer, leur présence en ces lieux est tout de même justifiée.
A noter que lors de plusieurs séquences, on se surprend à penser à La Résidence de Serrador. Le rôle tenu par Grace Coppin n'est d'ailleurs pas sans évoquer celui de Lilli Palmer, même si les motivations sont autres. Quant au film, il peut aussi facilement se voir comme une parabole sur le fascisme, ce qui à la fois le rapproche à nouveau de La Résidence et tend dans un même temps à le rendre encore moderne ou d'actualité à ce jour.

 

 

Bardé de belles séquences toutes droit sorties du film noir (l'entame du film, avec le vol de voiture par Anne Francis, est très réussie elle aussi !), So Young So Bad possède de nombreuses qualités. Outre une mise en scène solide (et quelques fulgurances ici et là déjà mises en lumière dans cette chronique), ce W.I.P. avant l'heure peut se targuer de mettre en scène d'excellentes jeunes actrices, lesquelles percent littéralement l'écran. Soit, Catherine McLeod, dans le rôle de la gentille infirmière toute dévouée au gentil docteur, a un rôle ingrat car trop unilatéral, dépassant souvent la limite de la mièvrerie, mais ailleurs, niveau gente féminine, on est servi. Anne Jackson, l'une des pensionnaires aux tendances sexuelles et au physique le plus ambigu, fera une immense carrière théâtrale après des débuts ici remarqués. Epouse d'Eli Wallach à la ville, on la reverra dans d'autres films également dont, bien des années plus tard, l'incontournable Shining de Kubrick. Anne Francis détonne elle aussi dans son rôle de tigresse a priori indomptable. C'est ici son premier grand rôle au cinéma avant qu'elle ne soit immortalisée en mini-jupette aux côtés de Robby le robot dans "Planète interdite" de Fred M. Wilcox, et celle-ci se montre très convaincante. Pour finir de citer le festival d'actrices en herbe ici présentes, on n'oubliera pas de mentionner la très forte présence de Rita Moreno, d'une beauté à couper le souffle ! Rien que pour ces trois actrices là, le film est à voir. Dommage que le personnage campé par Paul Henreid soit si naïf au premier degré ; non pas que le comédien joue mal (même si on préfère le regarder par exemple dans un "Casablanca"), mais son inaltérable bonté emmène sournoisement So Young So Bad dans les tréfonds du mélodrame, genre qu'il eut été largement préférable d'éviter ici. De par son personnage, trop entier et naïf, le film met en exergue de façon nunuche les "énormes" problèmes vécus par ces jeunes femmes, justifiant grossièrement leur présence dans la maison de correction. De même, ses rapports avec une Catherine McLeod larmoyante chaque fois qu'elle le regarde frôlent la correctionnelle. Dommage car tout compte fait, So Young So Bad est une bonne réussite, à la fois hardie et précurseur. Il y règne une atmosphère de tension qui ne se dément que très rarement, du reste toujours soutenue par la prenante partition de Robert W. Stringer (l'un des compositeurs de musique de films les moins crédités de l'histoire du cinéma malgré qu'il ait, entre autres, participé aux musiques du "Magicien d'Oz").

 

On pourrait également pointer du doigt quelques invraisemblances au niveau du scénario (le directeur de la maison de correction mis à mal lors d'une scène à cause des pratiques sadiques qu'il soutient argue, si on venait à le dénoncer, qu'un autre pire que lui prendrait alors sa place), en mesure de laisser le spectateur perplexe. Il semble qu'on eut prit le risque de le virer, et l'on ne comprend pas vraiment la raison pour laquelle le docteur Jason cède à ce chantage de pacotille.
Mais si l'on fait fi de ses défauts, cette alliance non prévue entre deux faiseurs talentueux de B-Movies s'avère être globalement une réussite novatrice et passionnante à disséquer.

 

Mallox


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