Conte du temps perdu
Titre original: Skazka o poteryannom vremeni
Genre: Comédie , Animation , Sorcellerie
Année: 1964
Pays d'origine: U.R.S.S.
Réalisateur: Aleksandr Ptushko
Casting:
Oleg Anofriev, Sergei Martinson, Georgiy Vitsin, Irina Murzayeva, Valentina Telegina, Lyudmila Shagalova...
Aka: Сказка о потерянном времени
 

Le jeune Petia Zubov, huit ans au compteur, a beau être un hardi pionnier de la riante U.R.S.S. et posséder un chien philosophe, c'est un sacré fainéant. Distrait et rêveur, il est en retard dès son réveil, et préfère s'imaginer sillonnant la savane africaine en scooter que de se préparer à aller à l'école. Au même moment, hélas pour Petia, le vieux sorcier Prokofi Prokofyevich prépare avec ses trois acolytes (en U.R.S.S. sorciers et sorcières vont en couple) un plan pour retrouver leur jeunesse passée : il suffit pour cela de récupérer le temps futilement perdu par les paresseux. Tous les quatre quittent donc leur foret magique, dont l'entrée est dissimulée dans le creux d'un arbre, pour se rendre à la ville voisine en autostop (oui, les temps sont durs pour les vieux magiciens). Une fois arrivés sur place, ils se mettent à courser discrètement de jeunes enfants en train de faire l'école buissonnière, la cible choisie par Prokofi Prokofyevich étant le petit Petia...

 

 

Antépénultième film d'Alexandre Ptushko, ce Conte du temps perdu marque en partie un retour de son réalisateur (après "Les voiles écarlates", une romance en costumes) vers la veine fantastique qui avait fait sa réputation. En partie seulement, car ce métrage est particulièrement chiche en effets spéciaux et se déroule, cas unique dans la filmographie de Ptushko, dans un univers contemporain (l'U.R.S.S. du début des années soixante) et globalement réaliste. Mais si ce film marque un retour, il marque aussi une régression, régression vers les films pour enfants de ses débuts, régression qui se poursuivra avec son film suivant, lui aussi tiré d'un conte pour enfants : Le Conte du Tsar Saltan. Mais le présent film constitue en quelque sorte l'antithèse de son cadet : si l'adaptation de Pouchkine est plastiquement très réussie mais assez antipathique et pénible à suivre pour un adulte, ce Conte du temps perdu, à destination lui aussi d'un très jeune public, se révèle au final drôle et sympathique.

Pourtant, il est difficile de reconnaître dans ce film le style Ptushko (j'ai failli écrire la charte graphique), sans doute à cause de son cadre urbain et "moderne", et les trucages (pour l'essentiel, des incrustations de personnages dans une forêt en modèle réduit qui défilent) sont relativement ratés. Le début du métrage fait peur, avec son chiard à la bouille sympathique mais assez laide, son chien qui parle sans vraiment parler et sa séquence d'animation, le tout digne des pires ersatz disneyens. Puis, quand on suit ces sorciers branquignols en train de suivre eux mêmes des gosses faisant l'école buissonnière, on se dit que le temps perdu du titre, c'est celui du spectateur. Mais quand arrive enfin la "substitution temporelle", on se surprend à sourire aux gags assez fins et bien vus, et aux facéties de l'acteur principal Oleg Anofriev ; de plus, Aleksandr Ptushko sait insuffler le rythme indispensable à toute bonne comédie burlesque (même s'il use et abuse des poursuites en accéléré).

 

 

Les mésaventures tragicomiques de l'enfant-vieillard Petia font alors penser au personnage de Tati dans "Mon Oncle", le cadre flambant neuf d'une banlieue moscovite aux immeubles modernes et pimpants (d'un futurisme rétro pour le spectateur du 21ème siècle) et le tracé parfaitement géométrique de ses larges avenues renforçant cette impression. C'est donc bien plus à Tati par son humour, son cadre et son personnage d'inadapté (aux absurdités de la vie "moderne" et artificielle chez Tati, à la complexité de la vie d'adulte ici) que le film se rapproche, plutôt qu'aux comédies "pop-corn" hollywoodiennes des années 80/90, aux pitchs pourtant plus proches de la transformation d'un ado ou préado en adulte.
Les sorciers transformés par leurs propres maladresses en enfants se livreront pour leur part à des exactions bien anodines, leurs tentatives de corruption de la jeunesse se limitant à apprendre à ces chères têtes blondes la valeur de l'argent (au-dessus de toutes ces notions passéistes d'amitié et de solidarité) et à contourner les règles à leur profit, bref à former de futurs directeurs du FMI.

 

 

Le scénario du film est adapté d'un conte pour enfants de Yevgeny Schwartz (ou Evgeny Shvarts, suivant la transcription du cyrillique), rejeton de la haute bourgeoisie juive de Kazan (il sera grièvement blessé durant la guerre civile, alors qu'il servait dans l'armée blanche), devenu l'ami et le commensal de Gorki. Bien que considéré comme l'un des plus grands dramaturges russes du 20ème siècle, ses pièces étaient systématiquement interdites sous Staline ; il se tourna alors vers la littérature enfantine à visée éducative.
La musique, qui contribue pour beaucoup à rythmer l'action, est signée Igor Morozov, compositeur attitré d'Aleksandr Ptushko depuis Ilya Muromets. Ce sera leur dernière collaboration, et la dernière composition cinématographique de l'obscur Morozov. Pour l'anecdote, on notera que l'orchestre qui a enregistré la bande son était dirigé par un neveu du célèbre compositeur arménien Khachaturian.

Mais si le film arrive à fonctionner sur un public adulte, il le doit pour beaucoup à l'incontestable "vis comica" de son acteur principal, Oleg Anofriev, en vieillard athlétique et gaffeur (même si son déguisement est peu crédible). Célèbre pour sa voxographie dans le dessin animé et en tant que chanteur comique, il est l'équivalent russe d'une synthèse entre Roger Carrel et Gérard Rinaldi. Hormis le vétéran Sergei Martinson (que l'on verra somme toute assez peu), le reste du casting adulte est aussi issu du doublage pour films d'animation.

 

 

Note : Le slogan publicitaire promettant un film éducatif et distrayant (quatorze ans maximum, dirait Bobby Lapointe) pour les sept à dix ans s'étant avéré assez juste, donnons à ce Conte du temps perdu un 7/10.

Sigtuna

 

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