1943, pendant la guerre du Pacifique. Un bateau américain sous le commandement de Mac Donald (Cornel Wilde) met le cap sur une île occupée par les Japonais. Dans le bateau prêt à accoster, tandis que la caméra se met à hauteur d'hommes et s'attarde sur certains d'entre eux, la peur de chacun est mise en exergue par leurs voix off. C'est toutefois vaillamment que ces mêmes hommes débarquent sous le feu nourri de l'ennemi et commencent à se tailler une route vers la jungle. Nombreux sont ceux qui laissent leur vie sur la plage mais la tête de pont est établie. Les hommes avancent inéluctablement dans la jungle. Blessé lui aussi au cours de l'assaut, Mac Donald s'étonne, lors de leur progression, que cette dernière se fasse soudainement plus facile. Deux de ses hommes, le lieutenant Domingo (Fred Galang) et le sergent Honeywell (Rip Torn), sont alors choisis pour partir en éclaireurs et ramener, si possible, un prisonnier pour glaner des renseignements qui pourraient se révéler précieux. Le piège est découvert et les Japonais, qui ont enfilé des uniformes américains, vont tenter de prendre à revers les hommes de Mac Donald en redescendant sur la plage. Durant ce même temps, d'autres enjeux ont cours ; la peur tétanisante qui est née dans ce bourbier révèle aussi des intentions plus perverses, bien qu'humaines : se faire blesser suffisamment pour être rapatrié peut sournoisement devenir une option envisageable, tout comme abandonner l'un de ses acolytes ou bien même le tuer...
Drôle de carrière que celle de Cornel Wilde, Autrichien d'origine, escrimeur de haut niveau qui faillit participer aux Jeux Olympiques dans cette discipline en 1936 mais préféra jouer au théâtre à la place. Et c'est pourtant ce même statut d'escrimeur qui lancera sa carrière puisque c'est Laurence Olivier qui l'engagera comme maître es lame fine pour l'une de ses pièces à Broadway : "Roméo et Juliette". Le choix de l'Olivier portera ses fruits puisque, lui confiant par la même occasion un petit rôle, voici Cornel Wilde remarqué. S'en suivront une carrière d'acteur assez remarquable, jonchée notamment de classiques du films d'aventures fantastiques ou romantiques : un sympathique "Aladin et la lampe merveilleuse" en 1945, un bondissant autant qu'oublié "Le fils de Robin des bois" en 1946, "Les fils des mousquetaires" en 1952, qui achève d'en faire un acteur autant physique que cérébral, juste après avoir tourné "Sous le plus grand chapiteau du monde" sous la houlette de l'homme au couteau anti-rouges entre les dents : le tyrannique et égocentrique "King of the kitch", Cecil B. DeMille. Ce sont pourtant ses rôles dans les films noirs qui sont restés. Citons, pour mémoire, quelques perles du genre émanant de sa filmographie : la crépusculaire "Grande évasion" de Walsh (pas le film avec des motos volantes durant la seconde guerre mondiale), l'inégalable "Péché mortel" de John M. Stahl dont nous avions déjà parlé dans la critique du Démon de la chair d'Ulmer), l'excellent "La femme aux cigarettes" en 1948 par Jean Negulesco - dont les films furent rebaptisés plus tard par un Godard aveuglé par ses propres préceptes : "Negulesconneries". Citons aussi le somptueux "Jenny", scénarisé par Samuel Fuller et tourné par Douglas Sirk, ou encore "Association criminelle", très beau film noir signé Joseph H. Lewis en 1955. Cornel Wilde, fort d'une belle filmographie au milieu des années 50 aurait amplement pu se satisfaire de celle-ci. Toujours est-il que l'homme ne se suffit pas de si peu et décida de monter sa propre maison de production pour ensuite tourner ses films. Si, en 1955, il tente avec peu de succès de prolonger le genre noir avec un pourtant très bon "Storm Fear" (une histoire de hold-up et de prise d'otages complètement ignorée à ce jour, une honte !), il s'engage ensuite dans des films d'aventures "idéologiques" ou tout du moins personnels. Ainsi suivront une série de films (toujours avec sa compagne Jean Wallace) comme "Le virage du diable", "Tueurs de feux à Maracaibo", "Lancelot chevalier de la reine", ce avant une consécration tardive avec son superbe "La proie nue" qui, enfin, attire l'attention grâce à une maîtrise du rythme et de l'action jusque là injustement occultée.
Finalement, juste avant les excellents Terre brûlée (1970) et "Les requins" (1975), Beach Red ne faisait que confirmer le talent manifeste de Cornel Wilde, réalisateur doublé d'un conteur tout à la fois personnel, frontal, à la limite parfois du radicalisme, soucieux d'inscrire sur pellicule ses craintes sociopolitiques ainsi que ses réflexions - souvent amères - concernant l'être humain.
Tout comme ses deux films suivants cités juste avant, Le sable était rouge est un film qui, malgré son côté visionnaire (bien que traitant d'un fait d'armes de la seconde guerre mondiale), est passé lui aussi plutôt inaperçu à l'époque. Etonnant pour des oeuvres tournées avec une telle vigueur et possédant la caractéristique d'anticiper sur d'autres films à venir. Il convient de préciser à ce propos que la vision offerte par Wilde à travers ses films ne fut pas du goût des studios ni du public, peu habitués à tant d'indépendance et de liberté de pensée dans des pellicules semblant s'annoncer de prime abord comme de simples films d'aventures (guerrières pour celui-ci). Il est clair qu'autant le traitement stylistique (les voix off soulignant les états d'âmes des personnages) que la violence et la cruauté de certaines scènes ont pu en rebuter quelques uns. Finalement, la révolution opérée par Arthur Penn et son Bonnie and Clyde, puis entérinée par La horde sauvage l'année suivante, n'avait pas encore porté ses fruits. C'est pourtant dans cette même famille, pessimiste et même quasi nihiliste, que l'on peut ranger la démarche de Cornel Wilde et de Beach Red. Le temps est révolu pour un spectateur enfin pris comme adulte qu'on lui cache les aspects les plus réalistes, les plus cruels et parfois même les moins glorieux d'une histoire américaine ayant pourtant bel et bien eu lieu. Autant dire que le décès, en 1965, de l'ultra catholique Joseph Breen, alors à la tête des commissions du Code Hays, lui aussi proche de sa mort, fit du bien à tout le monde, à l'industrie cinématographique et culturelle en premier lieu. Soit, ce fut aussi l'occasion de fêter ceci dans un excès libérateur (les deux classiques cités juste avant) mais aussi et enfin, de pouvoir aborder certains sujets délicats avec réalisme et délesté, enfin, de manichéisme et de patriotisme crétins n'ayant alors plus lieu d'être, si ce n'était cette sacrée guerre du Vietnam. A ce titre, Le sable était rouge peut se voir comme l'exacte antithèse des "Bérets verts" tourné par John Wayne l'année suivante.
Nul doute que si l'action se déroule ici durant la guerre du Pacifique, le propos de Wilde prévient aussi sur l'enlisement des Etats-Unis qui, après avoir envahi le sud vietnamien, s'en prenaient alors au nord, dans un conflit autant injustifié qu'interminable et assassin. Film pacifiste ? Sans aucun doute. Mais pas seulement. La vision à laquelle on assiste se pare de trop peu d'illusions pour prêter à penser que Wilde croit en la fin des guerres. Ici, il décide de filmer à hauteur d'homme. Pour ce faire, il découpe son film quasiment en deux parties :
- la première est celle du débarquement sur cette île du Pacifique. Après s'être attardé sur quelques soldats, parmi lesquels certains n'arriveront même pas jusqu'à la plage, l'être humain est plongé dans un chaos qui paraît n'en plus finir (pas loin de 45 minutes à l'écran !), un enfer qu'il n'attendait pas, quand bien même briefé depuis des jours et des jours. D'un coup d'un seul, l'être humain n'est plus qu'une punaise qui peut à tout moment se faire écraser par des enjeux qui le dépassent. Son voisin peut perdre un bras, une jambe, crever la bouche ouverte en deux secondes montre en main, par un tir assassin et pourtant légitime de "l'ennemi". A ce propos, la nature peut s'avérer aussi mortelle que ce même "ennemi". Finalement, il y a des instructions sur tout, sauf sur la façon de mourir...
Les moustiques, les Anophèles, les Aèdes, les Culex agissent de concert et, ce qu'ils attendent, ce sont nos soldats ici mis en scène : leur cible ! Les tiques attendent, elles aussi, de plonger leur tête sous la peau pour leur sucer le sang. Il y a des mouches de sable, des taons suceurs de sang, des punaises assassines, des colonies de puces, des moucherons mandatés, des armées de mites. Le seul objectif des sangsues est de s'accrocher à votre peau. Toutes ces bestioles attaqueront avec un accent japonais ! Leurs piqûres peuvent donner la malaria, la leishmaniose, le typhus, la fièvre des tranchées, la peste bubonique. Les végétaux de la jungle peuvent aussi donner la mort. Les champignons altèrent et pigmentent la peau. La sève du mancenillier et celle du manguier provoquent des plaies qui ne cicatrisent jamais. La sève laiteuse du palétuvier peut rendre aveugle. L'huile de l'arbre Kamanday, si elle pénètre le corps, est mortelle. Ainsi que l'écorce de l'Abuab ou la sève du Dalit. Mais le plus grand danger reste l'homme...
- La seconde partie, plus classique dans son déroulement, évolue encore sur des terres qui évoquent "La ligne rouge" de Mallick, avec ce même rapport à la nature et la même réflexion sur la relativité des choses et de l'humain au sein de cette nature : le spectacle qui est donné à voir est celui de fourmis stratèges pouvant se faire écraser à tout moment par une gigantesque agression surgissant de nulle part. Bien qu'empreint d'une certaine emphase dans les moments les plus humanistes, Cornel Wilde a l'intelligence de ne pas étayer plus que cela un discours qui aurait pu être pesant et se contente le plus souvent d'images figées illustrant les morts et les pertes de chacun (famille, amis, passions, habitudes...) que ce soit, du reste, du côté américain ou du côté japonais (on est très loin du jaune sauvage sanguinaire décrit jusque là dans la plupart des films de guerre, de propagande ou non).
Il est étonnant de constater alors les résonances que Le sable était rouge entretient avec tout un pan de films qui, plus tard, mettront chacun à leur manière en scène leur vision du conflit vietnamien. A cet égard, il est stupéfiant d'y trouver certaines idées et certaines scènes reprises littéralement et plan par plan par un Oliver Stone dans son roublard Platoon, soi-disant inspiré, selon les dires du cinéaste lui-même, de ses propres expériences. Des expériences issues tout droit de ce film-ci !
Ne nous attardons pas trop sur le cas d'un metteur en scène qui n'en vaut vraiment pas la peine pour conclure en disant qu'une fois de plus en 1967, et après un superbe "La proie nue", Cornel Wilde frappait un grand coup anticipant toute une pelletée de films sceptiques ou contestataires à propos de certains conflits. Il parvient non seulement à offrir une réflexion et une vision personnelles sans chichi aucun, allant sans cesse à l'essentiel, tout en ne sacrifiant pas au spectacle pour le spectacle. Le spectacle, ici pourtant présent, de haute tenue et d'une grande efficacité, n'est jamais gratuit, toujours au service d'un propos. Les baïonnettes et autres instruments de guerre y font mal, transpercent les corps, n'épargnent personne. Bref, voici donc une belle osmose cinématographique ! A n'en pas douter, Wilde fut un cinéaste largement sous-estimé qu'il est temps aujourd'hui de réhabiliter pleinement. Ses oeuvres sont originales, fortes, porteuses et supportent parfaitement le poids des ans. En tout cas, Le sable était rouge - dans lequel chaque protagoniste est une fourmi se transformant en mouche tentant d'échapper à la toile d'araignée dans laquelle il est retenu prisonnier - est un film qui mérite largement d'être redécouvert !
Mallox