Terre brûlée
Titre original: No Blade of Grass
Genre: Drame , Action , Anticipation , Post-apocalypse
Année: 1970
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Cornel Wilde
Casting:
Nigel Davenport, Jean Wallace, John Hamill, Lynne Frederick, Patrick Holt...
 

Nous voici donc transportés dans un troisième millénaire, aujourd'hui donc ou au plus tard dans un avenir proche, si je ne m'abuse, dans lequel la dégradation de l'environnement a atteint un tel stade et un tel point de non-retour que ce sont les pays les moins développés, ainsi que les communautés les plus démunies des pays développés qui en subissent en premier les conséquences. La végétation se fait de plus en plus rare - encore faut-il que celle restante soit saine - les animaux meurent également du fait de rejets en masse des produits toxiques dans une nature qui n'en n'avait pas tant demandé, et au sein de laquelle l'homme fait pourtant par définition partie. Le continent africain déjà mal en point vit ses dernières heures. Les populations victimes au préalable d'une famine légitimée, sinon carrément organisée sur un plan mondial, ce, dans une sorte d'euthanasie collective, se meurent ; un pan du continent asiatique s'apprête à le rejoindre ainsi que la plupart des pays européens, d'abord épargnés mais qui sont inéluctablement rattrapés par un fléau qui ratisse tout sur son passage. Les écologistes, comme dit en préambule, avaient pourtant prévenu : "l'ultralibéralisme et la préservation de l'environnement sont antinomiques !"
Les populaces n'y ont pourtant vu que du feu, bernées par les discours rassurants des politiciens. Ainsi, petit à petit, la catastrophe annoncée comme ridiculement alarmiste est devenue réalité. Face à la prolifération du virus propagé par l'être humain lui-même, et de l'hécatombe générée aussi bien au niveau des ressources alimentaires qu'au niveau humain, les émeutes se font de plus en plus courantes à travers le monde. Le pillage semble la seule alternative afin de subsister dans un premier temps pour, dans un second, tenter de partir en exode dans des contrées que l'on espère encore préservées. Certains peuples, acculés sur leurs terres natales, ont même recours au cannibalisme comme ultime mode de survie.

 

 

C'est dans ce contexte que nous retrouvons John Custance (Nigel Davenport), résident de Londres, proche du ministère, et qui apprend avec un petit temps d'avance la répression militaire dont va faire l'objet toute l'Angleterre afin que le chaos ne se propage pas comme partout ailleurs. Il décide alors d'embarquer sa petite famille avec lui, puis de traverser un pan de l'Angleterre pour rejoindre son frère agriculteur, propriétaire de terres encore fertiles. L'exode sera encore plus brutal que prévu : dans un contexte de chaos et de violente anarchie, c'est la loi du plus fort qui prime. Les Custance croiseront bien une société pacifiste, à la recherche, tout comme eux, d'un endroit sain où s'installer ; mais ils rencontreront surtout, durant leur périple, des bandes de pillards organisées contre lesquelles ils devront lutter par les armes. Comme si pour survivre défendre ses biens ne suffisait pas, ils se heurteront aux groupuscules militaires d'état. Des groupuscules chargés de faire régner le rationnement par la force, avec l'ordre en amont de tuer quiconque s'opposant à cette nouvelle loi. Ainsi partie en fuite dans un esprit de survie, la famille Custance devra prendre les armes pour se défendre, retournant peu à peu à l'état primaire de bêtes. L'individualisme forcené mu par la défense de ses propres biens accouchera de la pire désillusion : il conviendra de tuer ses "frères" afin de ne pas périr soi-même.

Adaptant alors un roman visionnaire datant de 1958 et signé John Christopher, Cornel Wilde poursuit avec No Blade of Grass une carrière de réalisateur à la fois militant et pessimiste. Si son premier film ("Storm Fear", 1955) ne faisait que suivre les sentiers du film noir, genre auquel il avait fortement participé jusque là comme acteur ("La femme aux cigarettes", 1948 – "Association criminelle", 1955) et qui était sans doute pour lui l'occasion de faire ses premières armes en tant que réalisateur, très vite ce dernier signe des films d'action à teneur soit écologiste ("Tueurs de feux à Maracaibo", 1958 – "La proie nue", 1966), soit antimilitariste (Le sable était rouge, 1967). Si "La proie nue" demeure sans doute son film le plus achevé, il n'en demeure pas moins que Terre brûlée est un film extrêmement intéressant et très réussi lui aussi. Tourné à une époque où les préoccupations écologiques prenaient alors le dessus au sein de la science-fiction cinématographique ("La planète des singes", 1968 – "Silent Running", 1972 – "Soleil vert", 1973...), celui-ci se démarque par son ton tour à tour désenchanté, brutal, cruel, pessimiste puis finalement totalement désespéré.

 

 

Il fut un temps où écolo rimait avec hippie ou baba cool. Un temps où certaines préoccupations concernant la préservation de notre planète se heurtaient déjà à des enjeux économiques, tandis que de l'autre côté nombreux étaient ceux qui hurlaient au manichéisme et à l'alarmisme autant désuet qu'outré. Le film de Cornel Wilde a été tourné en 1970, année quasi emblématique et centrale (nucléaire) des années de révolte ; sauf qu'à bien regarder son film, le constat est amer : rien n'a changé depuis. On continue de pratiquer ce que tout un chacun sait être néfaste pour soi-même et pour nos futures générations.
Toujours est-il que Cornel Wilde, avec cet étonnant No Blade of Grass, dénonçait déjà les mêmes dérives et annonçait les conséquences d'une politique de l'autruche destinée à masquer la responsabilité des hautes instances, pour ne pas parler de culpabilité (notez que je vous épargne dès à présent l'énumération qui serait bien trop longue de toutes les immondes affaires dont nous avons eu vent depuis des années : de Total Fina à Metaleurope, en passant par la Cogema, etc. etc.)

 

 

De fait, non seulement l'oeuvre de Cornel Wilde (et bien entendu le roman dont il est issu avec) devance des faits d'actualité, mais qui plus est, annonce toute une mouvance de films des années 70. Ainsi, la société en plein chaos, ici dépeinte, renvoie à la fois à des oeuvres plus tardives telles que New-York ne répond plus ou Apocalypse 2024. Etrangement aussi, ne serait-ce que par la présence des gangs organisés de bikers, il préfigure à sa manière des films comme Zombie de Romero (lequel visait quant à lui une autre cible : celle d'une société consumériste galopante), "Mad Max" de George Miller ainsi que tous les ersatz italiens qui pulluleront dès le début des années 80.


Dirigé avec une nervosité qui épouse parfaitement l'exode heurtée de nos protagonistes, No Blade of Grass offre un exemple assez unique d'une symbiose réussie et qui s'annonçait pourtant périlleuse. Certes, le film de Wilde n'est pas exempt de quelques affèteries visuelles alors dans l'air du temps (certains flashbacks, notamment au début, peuvent paraître quelque peu déconcertants sinon de trop), mais il sait se reprendre au moment même où le spectateur n'est pas loin de se perdre, pour devenir à l'instar de ce qui nous est conté, toxique et fortement contagieux. A son actif, qui plus est, Terre brûlée est dotée d'une direction d'acteurs de qualité : Nigel Davenport (présent également en 1974 dans le génial Phase IV, dans lequel la vanité scientifique humaine en prenait déjà un sérieux coup) crève l'écran de sa présence en restant tout du long dans le domaine de la sobriété, passant de la candeur pacifiste à la sauvagerie auto-défensive ; idem pour Jean Wallace (épouse de Wilde à la ville et présente dans la plupart de ses films), à la fois omniprésente et en retrait, ou encore Lynne Frederick, qu'on avait déjà vue aux côtés de Davenport dans le précité Phase IV.

 

 

Si la balade qui ouvre et clôt le film - bien que contrastant intelligemment avec la violence sans espoir de retour qui nous est montrée - pourra paraître un brin surannée, la partition de Burnell Whibley participe remarquablement à l'ambiance de déliquescence et de fin du monde. Elle confère également au film une atmosphère électrique et tendue - notamment dans les séquences de répressions militaires - très proche quant à elle de ce qu'on pourra voir trois ans plus tard dans "The Crazies" de Romero. A cela, on peut ajouter une formidable exploitation des décors arides naturels, très bien captés par l'oeil photographique de H.A.R. Thomson ("La proie nue").


Très réussi globalement, et pourtant encore trop méconnu à ce jour, No Blade of Grass est une peinture crépusculaire, nihiliste et désespérée comme on en a peu vues au cinéma ; et donc par la même occasion une oeuvre marquante, à laquelle il convient de redonner sa chance, si ce n'est qu'elle est même, sans doute, à (re)découvrir d'urgence.
A noter accessoirement - vu qu'il est question à un moment de tuer les animaux pour les mettre en conserve, ce pour préserver quelques nantis des hautes sphères dirigeantes - que le titre français revêt pour une fois une double signification assez pertinente pour être signalée.

 

 

Mallox


Sans rapport avec le film, quoique :

# L'être humain poursuit donc son petit travail de sape, jour après jour, continuant dans un même temps de laminer un environnement dans lequel pourtant il laissera seul sa progéniture. Dans un même temps, les politiques, à la solde des plus grands groupes tapis derrière des actionnaires et des investisseurs qui en demandent logiquement toujours plus, ne bougent pas le petit doigt ; et s'ils sont prompts à culpabiliser le citoyen lambda, oubliant dans un même temps qu'ils le représentent, les lois visant à niveler la destruction de l'environnement par des industries massives et de moindre coût ne demeurent que de l'ordre de l'hypocrisie et du paraître. La presse elle-même est contaminée puisque dépendante pour survivre des mêmes grands groupes lui achetant en ses pages des espaces publicitaires. Ainsi apprend-t-on un jour, le temps d'une information "non filtrée", que l'eau du robinet se voit rallongée de plomb dans certaines régions de France, ce, afin que celle-ci reste claire et par extension "propre" à être consommée. Le lendemain, la même information disparaît dans les tréfonds d'intérêts économiques obscurs, tandis que le citoyen lambda se voit diminuer ses remboursements par la sécurité sociale, laquelle est logiquement et par définition censée le rembourser, ne serait-ce en partie, pour des maladies souvent probablement liées à des phénomènes de pollution. Ainsi, demanda-t-on récemment aux chercheurs ayant prouvé par A + B que le plomb mis dans l'eau du robinet était responsable d'un fort pourcentage des maladies d'Alzheimer dans notre doux pays, de fermer leur gueule, moyennant rétribution, voire chantage si besoin était... Ceci, vous l'aurez compris, n'est qu'un exemple parmi d'autres...

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