Après un débat animé, le congrès scientifique du club des astronomes décide d'envoyer un engin sur la Lune, l'expédition étant confiée à Barbenfouillis, président du club. C'est dans une gigantesque usine que l'obus spatial est élaboré, mis au point, puis placé sur orbite ; ce, dans l'enthousiasme général, et grâce à un canon imposant.
L'alunissage ne réjouit guère notre cher satellite où les astronomes assistent, émerveillés, à un clair de Terre !
Durant la nuit, c'est au tour des sept étoiles de la Grande Ourse de venir épier nos savants endormis. Entre autres merveilles, ceux-ci découvrent bientôt des cratères et des champignons géants (les mêmes qu'on trouvera plus tard dans l'album de Tintin, "L'étoile mystérieuse" ou bien encore au cinéma dans "Voyage au centre de la Terre"). Très vite, ils essuient même une tempête malcommode de neige lunaire. Mais la Lune, on l'avait déjà dit ailleurs (Nude on The Moon, peut-être) est habitée. Non pas par des nudistes comme on pu le croire, mais par des êtres on ne peut plus isolationnistes et belliqueux : Les Sélénites ! (qu'on évitera d'assimiler aux sodomites, même si le contexte de la Lune peut prêter, il est vrai, à confusion).
Bref, grâce à une résistance tenace et vigoureuse de la part de Barbenfouillis, l'équipe en culottes courtes parvient à échapper aux créatures extra-terrestres malfaisantes, qui bien que n'appartenant pas au P.C.L. (Le parti communiste lunaire ou lunatique, selon les tendances), se montrent extrêmement menaçantes. L'équipage retrouve enfin sa fusée, perchée en haut d'un rocher escarpé (comme dans "On a marché sur la Lune"). Basculant ensuite dans le vide, l'obus fonce alors droit sur la Terre où il s'engloutit au fond d'un océan. Sauvés in-extremis, nos bonzommes ont même eu le temps de ramener sur Terre des Sélénites qu'ils ont réussi à faire prisonnier au moment de leur fuite. Ils sont accueillis triomphalement !
En 1902, Georges Méliès réalisait son film le plus ambitieux, ce, cinq ans à peine après ses débuts au cinéma. Toujours cité en référence aujourd'hui, Le voyage dans la Lune est un merveilleux condensé de son art. Un art alors à son sommet et dont le style ne devait plus évoluer jusqu'en 1913, année où il dut mettre fin à ses activités de réalisateur. Il convient de rappeler que Méliès, alors, n'en est pas à son premier coup d'essai. Et ce n'est pas le premier O.F.N.I. qu'il envoie sur les écrans puisque déjà, en 1898, dans "La Lune à un mètre", une courte bobine de trois minutes inspirée d'une de ses propres fantaisies scéniques montée en 1891 au théâtre Robert-Houdin, Méliès avait entraîné un public, jusque là plutôt terre-à-terre, dans la Lune.
Pourtant, comme il le déclara lui-même en 1930, l'idée du Voyage dans la Lune lui est venue du livre de Jules Verne, "De la Terre à la Lune". Selon le réalisateur, ce qui le gênait dans le fabuleux roman de Verne, c'était que les hommes ne parvenaient pas à atteindre leur objectif, tournaient autour de la Lune, puis revenaient vers la Terre, après avoir finalement manqué leur voyage. Méliès décida tout simplement de reprendre les ingrédients de Verne (le canon et l'obus en premier lieu) et son procédé, afin que ses personnages atteignent, eux, le fameux satellite. Une manière, bien entendu, pour ce créateur fantaisiste de s'exercer à composer un certain nombre de vues féériques, originales et amusantes de l'extérieur et de l'intérieur de l'astre lunaire, oh combien mystérieux à l'époque. Ainsi, Méliès se lâche carrément dans son délire rêveur, en balançant à l'écran des monstres venus d'ailleurs ainsi qu'en ajoutant quelques savants effets artistiques, tels que des femmes représentant des étoiles ou des comètes.
A l'instar des films précédents de Méliès, Le voyage dans la Lune fut tourné en lumière naturelle dans son propre studio, aux larges baies vitrées. Le film se compose finalement de trente tableaux de style très théâtral ; la caméra suit l’action à distance. Aucun intertitre ne vient l'expliquer, mais la minutieuse description de ces tableaux figurant au catalogue de la Star Film, la compagnie de Méliès, outre sa fonction publicitaire auprès des acheteurs, devait alors permettre aux projectionnistes de commenter l'action devant leur public.
Finalement, au-delà de la prouesse qu'il représenta, Le voyage dans la Lune reste avant tout une délectable parodie de Jules Verne, pourvue d'une logique totalement ingénue et dans laquelle Méliès donne libre cours à son génie inventif et à son goût pour les trucages. Ainsi en atteste la séquence du "lever de Terre" dans laquelle les changements, soigneusement calculés, des toiles peintes suggèrent l'inclinaison de la Lune. Les trucages proprement dits mettent en œuvre des modèles réduits, des prises de vues effectuées à travers un aquarium (ainsi lorsque la fusée arrive au fond de l'eau), des substitutions après l'arrêt de la caméra, notamment pour les disparitions et les métamorphoses, et des doubles expositions, comme dans le fantaisiste rêve céleste des savants (à noter que certains de ces procédés techniques étaient connus des photographes depuis plus de quarante ans !)
Une surimpression permit par exemple d'insérer une minuscule réplique de la fusée dans une authentique prise de vue sous-marine, les deux négatifs étant superposés au tirage.
L'exercice ne fut pas toujours d'une grande facilité pour les acteurs, notamment pour se repérer. Ceux-ci traversent des décors de carton-pâte et de toiles peintes dans toutes les nuances de gris, les objets étant soulignés de manière plus foncée. Autre obstacle d'envergure : tenir compte de la médiocre sensibilité aux couleurs de la pellicule orthochromatique employée alors. Il est d'ailleurs plutôt amusant de penser que les facéties filmiques de Méliès ont été tournées dans de tristes décors monochromes, des décors toujours disposés face à la caméra, l'une des grandes caractéristiques du cinéma "primitif". Le mélange d'effets bi et tridimensionnels, où les acteurs bien réels se servent d'accessoires factices, confère aux images une singularité, ou tout du moins une étrangeté, qui n'est pas sans rappeler les tableaux des primitifs italiens ou les collages surréalistes.
Tout, dans Le voyage dans la Lune, est placé sous le signe de l'excès. Celui propre à l'imaginaire de Méliès, lequel n'est pas sans être pourvu d'un certain humour, proche du second degré. Les costumes, par exemple, sont plus voyants que somptueux, les vestes sont trop larges, les pantalons informes, les perruques, barbes et moustaches, trop fournies, et les maquillages tiennent du pur grimage. Quant au jeu des acteurs, il relève carrément de la gesticulation incompréhensible, à l'exception des seules scènes où ceux-ci découvrent quelque chose et le montrent du doigt (le plus souvent Méliès himself !).
Pour conclure, Le voyage dans la Lune demeure un beau morceau de cinéma primitif. Un balbutiement dans lequel la caméra reste ostensiblement immobile, un voyage spatio-temporel à une époque où le montage et les ellipses n'existaient pas encore. Pourtant, malgré ces trivialités ou ces imperfections, le charme opérait et opère encore à sa manière près d'un siècle après...
Mallox