Nul n'est prophète en son pays… Voilà une expression qui résume assez bien la carrière de Jean Rollin, dont le talent fut plus souvent reconnu à l'étranger qu'en France. Apprécié, voire adulé par certains, détesté ou au mieux moqué par d'autres, le réalisateur laisse derrière lui une œuvre profondément atypique qui démarra véritablement durant les événements de mai 1968 (fallait-il y voir un signe ?).
C'est à la suite d'une rencontre avec Jean Rollin que deux jeunes gens, Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser, ont décidé de réaliser un documentaire sur cet homme au parcours à la fois riche et tourmenté. Un documentaire qui se voulait un hommage de son vivant mais qui sera finalement posthume, Jean Rollin nous ayant quitté le 15 décembre 2010, alors que le documentaire était en phase de montage. Celui-ci, Jean Rollin, le rêveur égaré, sortira en avant-première mondiale en 2011 lors du Festival Fantasia de Montréal. Par la suite, il sera projeté en France (L’Étrange Festival, Le Festival des Maudits Films), en Suède ainsi qu'en Allemagne.
Il a fallu presque cinq années au duo Dupont/Pierre-Kaiser pour finaliser ce documentaire, au cours desquelles ils ont rencontré et interviewé des personnes qui furent très proches du cinéaste (Jean-Pierre Bouyxou, Natalie Perrey et Jean-Loup Philippe), d'autres qui le connaissaient assez bien (Brigitte Lahaie, Philippe Druillet, Ovidie) ou d'autres encore qui, de par leur profession, aimaient profondément le travail de Jean Rollin de même que le personnage (Pete Tombs, qui lui consacra une quarantaine de pages dans son excellent ouvrage "Immoral Tales" paru en 1995, Caroline Vié, écrivain et journaliste de cinéma, et Pascal Françaix, écrivain spécialisé dans la littérature fantastique).
Les différents témoignages recueillis permettent de cerner la personnalité de Jean Rollin et de mieux appréhender son œuvre. Loin d'être un faiseur de films médiocres et incompréhensibles, l'homme possédait une solide culture héritée de son entourage proche : sa mère, modèle pour peintres, fut la compagne de Georges Bataille. Jean Rollin aura baigné dès son plus jeune âge dans le monde artistique. Bunuel et Cocteau ont fait de lui un cinéphile, Gaston Leroux sera pour lui une source d'inspiration intarissable. Les dialogues de "L'itinéraire marin", son premier long métrage dont l'unique copie sera brûlée par erreur par le laboratoire qui la conservait, étaient signés par Marguerite Duras.
Depuis "Le viol du vampire" en 1968 jusqu'au Masque de la Méduse en 2010, Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser évoquent le long parcours semé d'embûches de Jean Rollin cinéaste mais également écrivain. Le documentaire s'attarde plus longuement sur ses films de vampires, de même que "La rose de fer" et "La nuit des horloges", son film testament ; il évoque aussi ses films pornographiques tournés avec son complice et ami Jean-Pierre Bouyxou durant l'âge d'or du X, ainsi que d'autres longs métrages emblématiques dont font partie "Lèvres de sang", "Les raisins de la mort" et "Les Démoniaques". Cependant, d'autres œuvres comme Fascination ou "La nuit des traquées" sont à peine survolées et certaines non évoquées . Parmi ces dernières, on peut aisément le comprendre en ce qui concerne "Les trottoirs de Bangkok" et "Killing Car", films moins emblématiques de leur auteur, mais par contre on peut regretter que "Les paumées du petit matin" et "La morte vivante", deux films importants dans la carrière de Jean Rollin, aient été occultés.
Néanmoins, il faut reconnaître qu'il était difficile, sinon impossible, d'évoquer l'intégralité des films du réalisateur en seulement 80 minutes. Cela aurait été au détriment des témoignages des divers intervenants, et c'eût été dommage tant ces derniers évoquent leurs souvenirs ou leurs sentiments à propos du cinéaste avec une émotion de tous les instants. Il en ressort un mélange de respect et de passion pour un homme qui n'aura jamais cessé de faire ce qu'il aimait (et voulait faire partager), malgré tous les obstacles rencontrés, depuis l'hostilité d'une majorité du public et des journalistes, jusqu'à la maladie qui le rongera petit à petit.
En cela, Jean Rollin, le rêveur égaré constitue un très bel hommage qui avec le temps, ne devrait perdre ni de son charme, ni de son éclat, tout comme le presbytère et le jardin du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, si cher au réalisateur.
Flint
En rapport avec le film :
# Interview du cinéaste par Valor le 25 octobre 2010
# La fiche dvd The Ecstasy of Films de Jean Rollin, le rêveur égaré