Pirate de Capri, Le
Titre original: I pirati di Capri
Genre: Aventures , Cape et épées
Année: 1949
Pays d'origine: Italie / Etats-Unis
Réalisateur: Edgar G. Ulmer & Giuseppe Maria Scotese
Casting:
Louis Hayward, Binnie Barnes, Mariella Lotti, Massimo Serato...
Aka: Les pirates de Capri / The Masked Pirate (UK) / Captain Sirocco (USA) / Pirates of Capri (USA dvd)
 

Sous le Premier Empire - Napoléon étend son influence sur toute l'Europe. La péninsule italienne n'échappe pas à son emprise. Pendant ce temps, Naples subit la colère du baron Von Holstein, à qui la reine Carolina fait confiance. Sous l'identité du capitaine Sirocco, un proche de la reine prépare la révolution...

 

 

On va le redire pour le coup... Edgar G. Ulmer est un cinéaste à la fois gigogne et très sous-estimé. Son apparition au cinéma peut s'apparenter à une sorte de coup post-exode de l'Est puisque c'est en 1930 que le réalisateur, d'origine tchécoslovaque, fut embarqué sur le projet "Les hommes le dimanche" qu'il co-scénarise et co-réalise avec, principalement, les frères Siodmak, deux Allemands de Dresde, donc quasi frontaliers, mais aussi Rochus Gliese, directeur artistique venant de Berlin-Est qui décédera à Berlin-Ouest, ainsi que - on l'oublie trop souvent - le cinéaste reconnu Fred Zinnemann, quant à lui originaire de Vienne. On pourrait ajouter à la liste des personnalités ayant mis la main à l'écriture au même scénario, l'illustre Billy Wilder.

Citer ces cinéastes avec lesquels il a commencé n'est pas gratuit, car il permet de mieux comprendre les influences aussi variées que put avoir l'artiste qui nous intéresse ici. Cinéaste progressif, à l'instar des noms cités juste avant, Ulmer est davantage un ingénieux artisan, distillant, en plus de sous-textes parfois implicitement religieux ("Le Bandit"), évoluant non loin de Bernanos ou de Dostoïevski, une patte expressionniste dans des univers où cet expressionnisme n'est pas forcément attendu. En témoignent par exemple Beyond the Time Barrier, une S.F. d'anticipation à géométrie variable. De même pour ses grandes réussites au sein du film noir que sont Détour et plus encore Le Démon de la chair. Ailleurs, on retrouve aussi des traces d'ultra-réalisme, voire de documentaire (après le grand coup frappé avec "Les hommes du dimanche", Ulmer s'est également vu confier quelques petits documents de propagande préventive et moralisatrice tels que Damaged Lives, dans lequel les maladies vénériennes sont illustrées comme étant le plus souvent générées par l'infidélité) tandis que, souvent à la tête de petits budgets, Ulmer, artiste à part entière, peint même la nuit les décors qui lui serviront le lendemain (Barbe bleue).

 

 

Ulmer est une fois de plus assisté de son épouse qui supervise le script, pour une co-production avec l'Italie et surtout, pour un genre auquel il n'a jamais touché : le film de pirates et, plus largement, de cape et d'épée (point trop de pirates ici il y a). L'équipe technique est majoritairement italienne et on adjoint à Ulmer un réalisateur transalpin en la personne de Giuseppe Maria Scotese. Ce dernier n'est pas toujours crédité au générique, tout bêtement car il existe deux versions du Pirate de Capri, l'une pour le marché américain, l'autre pour une exploitation italienne avec quelques inversions d'acteurs ou d'actrices. C'est de la version "américaine" dont nous parlons aujourd'hui.
Bien que demeurant une production indépendante, I pirati di Capri jouit d'un budget plus confortable qu'à l'accoutumée et autant dire que cela se voit à l'écran. Les décors et les costumes possèdent un certain faste et il est étonnant de constater une fois encore que l'argent alloué à son réalisateur se retrouve à l'écran. C'est l'une des grandes caractéristiques d'Ulmer également que de savoir donner et illustrer au maximum avec le minimum. En revanche, contrairement à certains projets plus personnels, I pirati di Capri reste une oeuvre de commande, écrite par Giorgio Moser et Golfiero Colonna, ce dernier étant rompu à l'exercice ("Les mousquetaires de la mer", "D'Artagnan, chevalier de la reine").
Alors que le public était en droit à l'époque de trouver le choix d'Ulmer audacieux, voire carrément risqué, il s'avère au final que ce projet, de prime abord bâtard et ne lui étant pas naturellement destiné, est une réussite.

 

 

Sur un postulat comparable à certains grands classiques de Michael Curtiz (Captain Blood), I pirati di Capri s'avère être un spectacle léger et aérien, s'inspirant il est vrai de quelques légendes telles que Zorro et, à l'image de notre renard masqué, puise de manière maligne à sa source, c'est-à-dire aux vieux feuilletons issus de gazettes ancestrales. On rappellera que Zorro apparut pour la première fois sous la plume de l'écrivain-scénariste Johnston McCulley pour un épisode "pilote" dont le titre était "Le Fléau de Capistrano" (The Curse of Capistrano). De Capistrano à Captain Sirocco, il n'y a qu'un peu de vent méditerranéen qui les sépare. C'est en tout cas tout cet esprit feuilletonesque qu'Ulmer parvient à phagocyter pour livrer, outre un film d'aventure alerte et bondissant comme il se doit, le portrait d'une société dans laquelle l'apparence et les faux-semblants dominent. Un thème que l'on trouvait déjà dans Le démon de la chair (1946). En confiant le double-rôle du comte Amalfi et Captain Sirocco à Louis Hayward, la production ne pensait sans doute pas que ce dernier ferait aussi bonne figure. Sous ses airs un brin fadasse, se cache ici le portrait d'un manipulateur de première, un aristocrate dont la place sociale lui permet de se faire l'un des déclencheurs de révolution. Bien entendu, ses rapports privilégiés avec la reine facilitent les informations précieuses glanées, mais elles le mettent également dans une position de dualité : son désir de chamboulement social est à la fois un acte individualiste, puisqu'il est motivé par la vengeance envers une aristocratie qu'il juge autant injuste qu'impitoyable après le meurtre de son propre frère, mais aussi voué lui-même à disparaître sans récolter les louanges d'une révolution qu'il aura contribué à mener à bien, tant de l'extérieur que de l'intérieur.

 

 

Ce n'est pas un hasard non plus si l'une des grandes scènes de I pirati di Capri se déroule dans le théâtre du Palais Royal. A l'instar d'une des premières scènes du film qui voit des pirates déguisés en comédiens : tout ici n'est que jeu de dupes et façade. Le masque qu'arbore le comte Amalfi pour se transformer en héros de la révolution n'est qu'un des plus voyants symboles d'une ronde des apparences. Faire d'une même personne, deux personnages aux antipodes, le premier outrageusement affecté, verbeux et efféminé, cachant en son cœur un être vaillant prêt au sacrifice tandis que dans ce même monde évolue son exact contraire, est une idée autant éventée que casse-gueule : à l'arrivée, Ulmer parvient à diriger avec une finesse bluffante Louis Hayward et finit par en faire un être mystérieux dont la vraie personnalité nous échappe.

En face de lui, le rôle du Baron Holstein, horrible garant d'une justice viciée, est campé par un acteur assez méconnu : Massimo Serato. Si le masque porté par Amalfi recèle une vraie dualité, celui porté par l'horrible baron paraît autant réel que le personnage est entier : il représente un monde et une société immuable, et peut se voir comme l'alter ego des réactionnaires portant alors bien haut l'étendard d'une chasse aux sorcières commencée deux années auparavant. Joué avec force vigueur par un acteur qu'on reverra par la suite dans nombre de films dits de genre ("Ne vous retournez pas", Frissons d'horreur, Terza ipotesi su un caso di perfetta strategia criminale, "Terreur sur la lagune"...), il contribue à la réussite de I pirati di Capri. Ailleurs et encore à ce propos, le discours, dans ce même contexte d'un Maccarthysme galopant, prend franchement partie pour le peuple, souvent avec humour dans sa première partie (la reine semble craindre ce mot jusqu'à sursauter en l'entendant), puis avec une certaine gravité et un souci de réalisme ensuite.

 

 

Finissons en précisant que, soutenu par la partition d'un Nino Rota encore à ses débuts, Le pirate de Capri s'avère faire partie des réussites du réalisateur. Il s'agit d'un spectacle aussi riche en échos qu'il peut se voir comme une simple séance divertissante pour un cape et d'épée qui ne révolutionne rien au niveau de sa trame, mais sait rester dynamique et entraînant tout du long.


Mallox



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