Ingrid sulla strada
Genre: Drame
Année: 1973
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Brunello Rondi (sous le pseudo de Nat Steiger)
Casting:
Janet Ågren, Franco Citti, Francesca Romana Coluzzi, Enrico Maria Salerno, Bruno Corazzari, Marisa Traversi, Gino Cassani, Luciano Rossi...
Aka: L'Hystérique aux cheveux d'or / La Fille aux yeux d'or / Macadam Jungle (versions ciné et VHS avec inserts hard) / Ingrid, fille SS
 

Ingrid (Janet Ågren) quitte sa Finlande natale après avoir été violée par son père (Fulvio Mingozzi). Elle fait ses valises et la voici en partance pour Rome, où elle a décidé de s'installer. Dans le train qui l'y amène et pour gagner un peu d'argent, elle couche vite fait mal fait avec un inconnu. Ses premières affaires ou ses premières gammes finalement puisque, une fois arrivée à Rome, elle se retrouve très vite contrainte à se prostituer pour survivre. Sa première rencontre est avec Claudia (Francesca Romana Coluzzi), une prostituée qui vit chez un étrange artiste peintre (Bruno Corazzari). Claudia initie Ingrid au métier et à l'art, par exemple, de ne pas trop en montrer afin de mieux appâter le chaland sous le pont d'un périphérique. Elle fait bientôt la connaissance de Renato (Franco Citti), le protecteur de Claudia, un dangereux proxénète qui évolue à la limite du mysticisme.
Le premier client officiel d'Ingrid est Urbano (Enrico Maria Salerno), un homme très distingué, "de la haute", mais dont les idées n'en sont pas moins morbides. Pour Ingrid, ce qui apparaissait comme une échappatoire, le rêve d'une autre vie, meilleure, va se transformer en véritable descente aux enfers...

 

 

Désillusion intrinsèque oblige, à la vision de Ingrid sulla strada, on peut légitimement penser à une version féminine de "Midnight Cowboy", avec Rome et sa province en lieu et place de New-York et du rêve américain.
Du reste, la première partie du film est assez rêveuse et l'arrivée de Janet Ågren à Rome ne laisse aucunement augurer son futur parcours. La valise qu'elle tient à la main est même le symbole d'un avenir plus rayonnant : une autre vie qui ne peut être que meilleure que la précédente. Une arrivée en calèche qui contraste avec les véhicules motorisés gravitant alentour mais qui, à entendre ceux qui les chevauchent ("Hello, la bonnassa !") en dit long sur ce qui l'attend.
D'ailleurs, on apprend très vite que toute hospitalité se paye et ce même chez un artiste : trouver un hôte est synonyme de coucher avec. Du reste, l'hypocrisie dépeinte par le réalisateur Brunello Rondi exige une contrepartie systématique, même au sein d'une classe sociale défavorisée (ou soi-disant en marge d'un système basé sur le pécuniaire et la propriété).
Du côté de la femme (forcément objet), on en vient vite à "Fais-le mais fais-le vite !", véritable adage-symbole d'une société de consommation dans laquelle l'être humain n'est plus lui-même qu'un produit temporaire et jetable.
"Nous sommes tous les putes de quelqu'un ou de quelque chose d'autre !" semble nous dire Rondi.

 

 

Certes, comme le dit Vittorio Gassman dans "Parfum de femme", "Tut tut tut, ça sent la pute !", mais le film de Brunello Rondi, une fois ôté son pessimisme foncier (et peut-être un brin complaisant) ressemble presque à une préquelle de "Mamma Roma" de Pier Paolo Pasolini, le tout fondu dans une époque où Rome est en proie au chaos, libérant du coup ses habitants les plus fantasques.

Parmi son microcosme, Enrico Maria Salerno compose un personnage totalement hallucinant (et à sa manière, délicieusement délirant) en notable tentant de faire revivre l'âme de sa soi-disant défunte épouse en payant des prostituées. Pour le coup, il s'en paye même deux (Ingrid et Claudia) afin d'être plus infidèle et irrespectueux, d'être ainsi plus sûr d'offusquer sa femme et, par conséquent, de déclencher une réaction de sa part. Une scène où le fétichisme (Ingrid doit enfiler le manteau de la défunte) est apparent et la nécrophilie plus que suggérée. Pendant ce temps, dans le salon, a lieu une sorte de Ouija avec des "amis" d'Urbano tentant de rentrer en communication avec sa femme. Difficile de faire plus tordu !

D'autres personnages secondaires y sont en revanche traités de manière plus caricaturale (on pense notamment à ces nazillons arborant des croix gammées et secondant Franco Citti, à la tête de "La Force rouge") mais l'ensemble offre une peinture intéressante du milieu romain et de la prostitution qui y règne. On peut reprocher à Ingrid sulla strada de sombrer dans le récit de carnaval à partir du moment où ce même Franco Citti prend une place plus importante dans l'intrigue. Un fait assez dommageable pour un film qui se veut grave et, tout compte fait, assez moral, voire moraliste et quoi qu'il en soit, une peinture ou encore, à défaut, une photographie. Toutefois, Ingrid sulla strada se reprend dans son dernier segment : les raisons de sa venue en Italie ne sont plus suggérées mais exposées crûment via un flashback, le décès quasi accidentel de la seule personne en qui elle avait confiance a fini de tuer les rêves de la pauvre Ingrid qui doit dès lors regarder encore ailleurs, scruter son enfance pour tenter d'y retrouver puis d'y puiser à nouveau une part d'innocence et de candeur. Mais est-ce encore possible ? Il convient de voir le film afin de savoir ce que Brunello Rondi en pense.

 

 

Ingrid sulla strada est quoi qu'il en soit le fait d'un réalisateur scrupuleux. Dans la forme comme dans le fond. En témoigne la jolie musique, très mélancolique, due à Carlo Savina, et le soin tout particulier apporté à la photographie et à la réalisation. De même que son personnage central qui se retrouve à évoluer dans le contexte d'une Rome en plein chaos, au sein de laquelle les factions politiques extrémistes s'affrontent à coup de bombes et d'incendies. Des factions où la loi de l'omerta prédomine, au risque sinon de le payer de sa vie.

À regarder ses films, Brunello Rondi (le très précurseur Il Demonio, aka Le Démon dans la chair, en était déjà la preuve, celui-ci devançait même des films comme Non si sevizia un paperino, L'Exorciste ou bien encore le très méconnu mais pourtant immanquable La Fille de l'exorciste) est un cinéaste atypique, difficile à classer. Celui-ci frôle régulièrement le cinéma d'exploitation avec une ambition assez singulière : même si ses films peuvent paraître racoleurs, abordant des sujets épineux, glauques, choquants et borderline, il ne filme que très occasionnellement des scènes qui s'écartent du sujet (ici la scène du traître - campé par Luciano Rossi - avec langue arrachée). Malgré ce qui est montré à l'écran, les critiques sociales et sociétales sont toujours de mise. Certes, on pourrait bien lui reprocher une esthétique du beau au service d'une laideur de fond. À ce sujet, Ingrid sulla strada n'a rien à voir avec sa réputation reposant sur ses versions agrémentées d'inserts porno (*) et reste une sorte d'entre deux entre Fellini et Pasolini (la présence de Franco Citti n'est clairement pas fortuite).


Finalement Ingrid sulla strada fait écho à "Macadam Cowboy" d'une manière assez similaire à celui que put faire Le Bal du Vaudou par rapport à "Orange mécanique", c'est-à-dire un ersatz non seulement loin d'être négligeable mais n'hésitant pas à emprunter des sentiers et ramifications différentes. En tout cas, le dernier tiers du film verse dans le pur drame mélancolique et pessimiste (avec un flashback qui renvoie une fois encore au film de Schlesinger déjà cité, dont le viol à la clé, déjà cité lui aussi !) au sein duquel celui ou celle qui en sait trop devra être châtié(e) et ne trouvera aucune issue.
Il est en revanche - et tout compte fait - assez dommage que Ingrid sulla strada n'ait pas su garder le cap plus documentaire et plus purement dramatique de sa première partie car il n'est pas loin parfois de sombrer dans le ridicule. L'épilogue à base de carrières, de décombres et de rochers n'est hélas pas aussi subtil que put l'être un Rosselini période "Stromboli" pour illustrer un couple en ruines (ici une femme brisée), bien qu'il n'en demeure pas moins symbolique, sans doute trop.

 

 

Pour conclure, notamment à propos des acteurs, Enrico Maria Salerno excelle dans l'une des meilleures parties de Ingrid sulla strada tandis qu'a contrario, le pasolinien Franco Citti est mal utilisé. Si le très "fulcien" Bruno Corazzari reste un pur choix contractuel d'époque, qui passe sans laisser de marque outre mesure, il n'y a pas grand-chose à redire à propos des prestations de Janet Ågren (régulièrement zappée par les amateurs dans Una sull'altra, pour rester chez Lucio Fulci) et de Francesca Romana Coluzzi. Plus spécialisée dans les sexy comédies à l'italienne, c'est finalement cette dernière qui n'est pas loin de remporter le grand prix de cette foire aux cochons !
Il ne s'agit pas d'un grand film et c'est dommage, mais Ingrid sulla strada, malgré ses inégalités et ses hésitations, demeure une "bisserie" tout à la fois dramatique et putassière, intéressante et au-dessus du lot. En tout cas bien plus attractive dans une copie lui rendant hommage (notamment une fois restaurée... une restauration qui met en avant le travail sur la photographie, magnifique) et une fois dégraissée de ses inserts porno qui quant à eux dépassent la limite du viol filmique !

 

 

Mallox




En rapport avec le film :

# (*) La version avec inserts hard est sortie sous le titre "La Fille aux yeux d'or" en salles (bien qu'inédit à Paris et rapidement retiré de l'affiche) et a été reprise en vhs sous le titre de "Macadam Jungle". Les ajouts porno sont vraiment pitoyables, sans aucun effort pour choisir des comédiens X ressemblant un tant soit peu à leurs "modèles". (Dixit Throma, merci à lui pour ces renseignements !)

 

 

# La biographie de Janet Ågren par The Omega Man

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