Fille de l'exorciste, La
Titre original: Las melancólicas
Genre: Horreur , Drame , Women In Prison , Possession
Année: 1971
Pays d'origine: Espagne
Réalisateur: Rafael Moreno Alba
Casting:
Analía Gadé, Francisco Rabal, Espartaco Santoni, María Asquerino, José Vivó, Helga Liné, Yelena Samarina, Asunción Balaguer, María Vico, Pilar Bardem, Imma de Santis, Victor Israel...
Aka: Exorcisms Daughter / House of Insane Women / Women of Doom / Aberrazioni sessuali in un penitenziario femminile (Italie)
 

Au 19ème siècle, dans un asile espagnol en pleine décrépitude, arrive un nouveau médecin (Espartaco Santoni) dont les idées progressistes contredisent les idées et pratiques conservatrices de l'ancien médecin (José Vivó), ainsi que ses méthodes violentes de Fuso (Francisco Rabal), le gardien principal de l'établissement psychiatrique. Avec l'approbation des religieuses et du conseil d'administration, Fuso se livre régulièrement à des maltraitances sur les détenues, parfois même il les viole ou les prostitue, bradant par exemple le corps de ces femmes au barbier local (Víctor Israel) ou organisant des orgies avec plusieurs d'entre-elles.

 

 

La méfiance ne tarde pas à se diriger sur les intentions du jeune médecin qui représente un danger et, très vite, il est sournoisement questionné : le médecin démissionnaire s'inquiète de savoir si son remplaçant est libéral ou monarchique ; quant au gardien Fuso, sujet à l'alcoolisme, il se pare d'un vieil uniforme des guerres carlistes chaque fois qu'il se saoule. Mais ces défiances n'entravent pas la volonté du jeune médecin qui met très vite en pratique ses méthodes d'hypnose avec Tania (Analía Gadé), une patiente qu'il privilégie même, celle-ci générant chez lui une empathie toute particulière. Les ennuis ne tardent pas à affluer à cause de ces méthodes jugées profanes et le médecin se voit rapidement fustigé et remis en cause par la directrice de l'asile (María Asquerino). En effet, les patientes atteintes d'hystérie ou de mélancolie ont toujours, de manière quasi traditionnelle, été immédiatement rejetées et accusées de pratiquer l'alchimie ou la sorcellerie. Forcément, les rapports qu'entretiennent le médecin et Tanya sont vite jugés douteux. Cette dernière commence à éprouver des sentiments amoureux envers lui et est vite soupçonnée de n'être intéressée que par la séduction du nouveau médecin à des fins de diabolique manipulation.

 

 

Bien entendu, dans ce conflit d'idées entre le conservatisme et le progressisme, il est très difficile de ne pas voir une critique déguisée du franquisme, qui, au moment de la réalisation de "Las melancólicas", donnait des signes d'essoufflement au sein d'une société en quête d'un changement social profond.

Las melancólicas donne le ton d'entame de bobine avec une musique sinistre de Jaime Pérez, en même temps qu'une chorale récite une litanie, identique à celle que le personnage de Francisco Rabal récite dans la première scène de messe. Le bruit émanant d'une pièce voisine distrait momentanément le gardien sadique de ses prières, il s'agit d'un chat noir à la recherche d'une souris. Une scène symbolique dans laquelle le chat rejoue le rôle du gardien et la souris celui d'une des femmes soi-disant aliénées en proie au prédateur. Toujours est-il que, dès lors, l'histoire demeurera dans le cadre du drame psychologique, mais en flirtant inéluctablement avec l'horreur, celle de l'inquisition et des tortures. À ce sujet encore, et au regard de l'hystérie qui règne dans l'établissement, Las melancólicas entretient quelques singulières similitudes avec Les Diables de Ken Russell, tourné la même année. Une similitude dont la coïncidence est plus que probable vu que le film de Ken Russell n'a été distribué en Espagne qu'en 1978. Quoi qu'il en soit, Las melancólicas et The Devils partagent la même soif de transgression et le même esprit pamphlétaire.

 

 

S'il est un lien qui s'impose à la vision de Las melancólicas, c'est avec le magnifique "Le Démon dans la chair" (Il demonio, 1963) de Brunello Rondi, film pionnier dans le sous-genre "possessions et exorcismes". Les deux métrages partagent le même point de vue anthropologique. Du reste, cette plongée infernale mise en scène par un réalisateur inspiré se situe également dans le genre Women in Prison. Le film de Moreno Alba contient par ailleurs tous les ingrédients qui sont devenus des éléments, voire d'incontournables clichés du genre WIP : douches froides avec tuyaux de pression, viols et humiliations, scènes lesbiennes.

Las melancólicas (Les mélancoliques) fut projeté au Festival de Cannes, hors compétition, en 1972, avant de ressortir dans quelques salles en 1981 sous le titre La Fille de l'exorciste. Un titre qui n'est finalement que la traduction littérale des premières ayant eu lieux aux États-Unis et au Royaume-Uni où, dès 1974, le métrage est exploité sous le titre racoleur de Exorcism's Daughter. Il s'agit alors d'une pure stratégie d'exploitation à la suite du succès de L'Exorciste de William Friedkin.
Dans le cas du film de Moreno Alba, l'association avec L'Exorciste garde néanmoins un peu de sens si l'on regarde l'une de ses dernières scènes : Tania, sous l'effet de l'hypnose, se rappelle de la mort de sa mère, prise de spectaculaires convulsions après qu'un groupe de personnes âgées l'ai soumise à une sorte d'exorcisme. Une séquence tournée de manière presque expressionniste et qui, outre d'inscrire le film dans l'horreur et de mettre en exergue la même superstition rurale, rappelle une scène déjà présente dans "Il demonio" et qu'on retrouvera dans le film de Friedkin, illustrée de manière explicitement surnaturelle, délestée de sa critique sociétale conservatrice.

 

 

Rafael Moreno Alba (1942-2000) a commencé sa carrière en tant qu'assistant réalisateur pour un épisode de la série horrifique "Historias para no dormir", en 1966, avant de rejoindre des réalisateurs tels que León Klimovsky sur "Dos mil dólares por Coyote" (Deux mille dollars pour Coyote) puis José María Elorrieta sur "Los 7 de Pancho Villa" (Les 7 de Pancho Villa), "La esclava del paraíso" (L'Esclave du paradis), "La muchacha del Nilo" (La jeune fille du Nil) et "Un sudario a la medida" (Un linceul sur mesure). Il fait ses débuts comme réalisateur en 1969 avec "Gallos de pelea" (Combat de coqs), une coproduction hispano-tunisienne d'action délirante avec Simón Andreu, avant d'enchainer avec Las melancólicas. En 1972, en coproduction avec le Portugal, il entreprend le tournage de "Crimen de amor" (alias Triángulo), un thriller qui est resté dans l'ombre, encore aujourd'hui. Finalement, ses étapes de carrière les plus connues sont "Los gozos y las sombras" (Les joies et les ombres,1982) et Process to Mariana Pineda (J'inculpe Mariana Pineda, 1984), deux mini-séries pour la TVE.
En tout cas, si Las melancólicas n'est pas parfait (sa structure narrative laisse à désirer et le montage est trop heurté), il distille une atmosphère oppressante que son réalisateur obtient grâce à une réalisation sale, à la limite de l'expérimental parfois et avec moult séquences de caméra portée, de ralentis, de plongées et contre-plongées. De quoi épouser de façon vertigineuse la folie régnant dans ce lieu de répression et de malédiction.

 

 

Moreno Alba bénéficie en tout cas d'un casting de choix avec la présence d'un nombre assez impressionnant d'acteurs et d'actrices de talent, mais aussi bien connus des amateurs de cinéma Bis (mais pas que). Ici dans le rôle de Tania, Analía Gadé sort juste du tournage de Suspicion (El ojo del huracán) et enchaînera avec La mansión de la niebla. Francisco Rabal est déjà un vieux briscard lorsqu'il accepte de camper l'horrible gardien-tortionnaire du film. Outre ses rôle chez Luis Buñuel ("Nazarin", "Viridiana", "Belle de jour"), Michelangelo Antonioni (L'Eclipse), Valerio Zurlini (Le Désert des Tartares) ou encore William Friedkin (Le Convoi de la peur), on le reverra dans nombre de bobines plus fauchées et pas toujours bien fameuses ("Les longs jours de la vengeance", "Amigo!... Mon colt a deux mots à te dire", Pensione paura, L'Avion de l'apocalypse, "Speed River" ...), en tout cas il fait ici forte impression. Moins prolifique, Espartaco Santoni est un acteur que l'on connait plutôt bien, notamment pour ses rôles dans Las amantes del Diablo de José Maria Elorrieta ou "Ceremonia sangrienta" de Jorge Grau. Son dernier rôle au cinéma sera dans "La Maison de l'exorcisme" de Mario Bava, en 1975, avant de réapparaître dans un rôle secondaire en 1998 dans Torrente puis de casser sa pipe la même année. Marié huit fois, dont un moment avec Analía Gadé, il était connu pour ses infidélités hors-mariage, notamment avec Ursula Andress et Marisa Mell. Du reste, il écrira dans les années 80 son autobiographie qu'il intitulera "Les Mémoires d'un Casanova moderne". Les amateurs d'exploitation ne manqueront pas de tilter sur la présence d'Helga Liné, incontournable égérie multi-genres (Las alimañas, Le Manoir de la terreur, Kriminal et sa suite, Les Amants d'outre-tombe, The Dracula Saga, Folie meurtrière, ...).
On pourrait bien entendu citer d'autres noms (Pilar Bardem, José Vivó, Victor Israel, Yelena Samarina...) mais, histoire de ne pas tomber dans l'énumération (on me dit que c'est déjà fait !), retenons l'incroyable présence de María Asquerino en veuve influente qui préside le patronage de l'asile des femmes dans lequel se déroule l'action. Elle porte à elle seule toute l'idéologie conservatrice et nationale-catholique du pouvoir franquiste et n'est pas sans évoquer le personnage de Madame Fourneau (Lilli Palmer) dans La Résidence de Narciso Ibáñez Serrador.

 

 

Pour conclure à propos de Las melancólicas, elle reste une œuvre difficile à classer, entre drame et terreur, le tout étant associé à des images inconfortables. Il est possible qu'à se situer à la croisée de trop de genres, le film évolue aussi dans un "no man's land" qui a probablement contribué à le rendre invisible. Impossible par exemple de l'intégrer dans une collection bien précise !
À titre d'exhaustivité, il convient de mentionner que l'on trouve crédités les noms de Carlos Aured, comme assistant-réalisateur (Los ojos azules de la muneca rota, "L'Empreinte de Dracula", "La venganza de la momia" …) et d'Enrique González Macho comme assistant de production, une fonction pour laquelle il sera reconnu par la suite.


Mallox




En rapport avec le film :

# Il existe deux versions du film. L'une fait 96 minutes (voir l'édition Something Weird Video ou celle de Code Red en double-programme avec La Nuit des mille chats) en dvd et avec Passion Plantation (Emmanuelle bianca e nera - 1976) en blu-ray, et a servi de matière à cette petite chronique, l'autre, devenue quasi introuvable, fait 110 minutes. Il semblerait qu'on peut dénicher cette dernière, agrémentée de plans érotiques, voire plus hard encore, grâce à l'édition "non officielle" de Miskatonik Videos, la filiale audiovisuelle du fanzine Exhumed Movies. Les séquences sauvées n'étant pas destinées à l'Espagne mais pour l'étranger, le doublage est en anglais.

# À l'époque de sa distribution, l'ironie du sort a voulu que la copie reçue à Saint-Jacques-de-Compostelle (Santiago de Compostela) était destinée à être projetée à l'étranger, peut-être à Santiago du Chili - la coïncidence du nom des deux villes aurait été à l'origine de la confusion – dans un contexte où il était fréquent que les productions espagnoles sortent en "versions doubles", l'une contenant de la nudité et des scènes de sexe plus ou moins explicites, destinée à être diffusée dans des pays dotés de marges de permissivité plus larges, tandis que l'autre était vouée scrupuleusement à la légalité ayant cours en Espagne. Les autorités ont été lentes à réagir et le film est resté sur l'écran pendant plusieurs jours, suffisamment pour que la nouvelle se répande à Santiago et que les spectateurs fassent de longues files d'attente pour la voir.

# Les méthodes utilisées par Espartaco Santoni dans le film sont conformes à celles utilisées par Sigmund Freud et Josef Breuer - ce dernier étant d'ailleurs cité par le jeune médecin progressiste au cours du film.

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