Edmond
Genre: Horreur , Thriller
Année: 2005
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Stuart Gordon
Casting:
William H. Macy, Mena Suvari, Denise Richards, Bokeem Woodbine, Julia Stiles...
 

Voici donc le nouveau film de Stuart Gordon qui semble a priori changer de cap pour s'engouffrer dans le thriller occulte et rédempteur. Je dois avouer que je ne suis pas fan du sieur Gordon ; autant je respecte son indépendance et m'incline devant l'honnêteté de l'artisan passionné, autant, je dois l'avouer, ses films ne me marquent pas outre mesure, mais voici que débarque "Edmond" qui vient chambouler ma vision des choses...
Ne fréquentant que de très loin Lovecraft, il est possible également que j'ai été plus sensible à cet ovni horrifique, dans lequel les tourments de l'âme prennent matière et où le MOI profond, s'il existe, peut se trouver en enfer. Le film part d'un point commun entre l'heure d'un rendez vous et le chiffre vu dans une boutique d'objets de cartomancie ; notre pauvre Edmond y voyant un signe rend visite à la cartomancienne qui sur ses seules paroles va du jour au lendemain remettre toute sa vie en question ; comme a dit la voyante ce que lui-même pressentait, "Vous n'êtes pas à votre place" ; voici donc Edmond, quarantenaire en pleine crise, au préalable en proie aux doutes, faisant l'addition de sa vie pour s'apercevoir qu'elle serait ailleurs ; frustré dans ses fantasmes, il s'agit là une vraie révélation, et se voit confirmer qu'il se serait bel et bien égaré et trompé de vie ; il est temps pour Edmond de changer radicalement de cap.
Plaquant immédiatement sa femme, celui-ci s'en va errer en quête de lui-même, dans une nuit de déchéance à travers les quartiers chauds ; tentant de conquérir et d'obtenir les faveurs d'une femme, puis jouant de malchance, il finira par devenir un prédateur, un ange exterminateur et rédempteur dans ce monde de débauche nocturne qui le rejette aussi ; mais n'est-ce pas là sa place malgré tout ?

 

 

Notre Stuart Gordon new look (pas si sûr) qui, sur un scénario de David Mamet nous livre ici son film le plus brut, radical et dérangeant ; sans doute son plus horrifique également puisque tout cela est bien plus ancré dans la vie réelle que tout le reste de son oeuvre.
Difficile à la vision de ce "Edmond" en enfer de ne pas penser à tout un pan du cinéma puritano-rédempteur, et en vrac nous aurions presque droit à un condensé du genre qui emprunterait la trame d'un "Harcore" (avec des intentions de départ plus existentielles, mais Paul Shrader est un lourd moralisateur comme on le sait), fonçant ensuite dans un "After hours" saignant et sans fioriture, tandis que le personnage se fait une descente aux enfers fantasmatique, mettant en collision ses valeurs quotidiennes et celles qu'il découvre enfin sans y avoir réellement accès, devenant ainsi un hybride de "Bad lieutenant", de Travis de "Taxi driver" et de William Foster, héros du "Chute libre" de Schumacher. Oui mais voilà, Stuart Gordon prend de son côté un chemin en contre-sens des personnages évoqués ici ; en effet, si ceux-ci n'avaient pas de but initial et étaient surtout victimes d'un débordement d'exaspération, Edmond en a un, et s'ils traversaient l'enfer pour mieux renaître enfin, Edmond lui n'aura droit au final à aucune reconnaissance, sinon celle d'avoir échouer à trouver sa place en enfer.
Le héros de Stuart Gordon est filmé à mon avis avec bien plus d'ironie et d'humour que tous les personnages ou films cités au préalable, et si Gordon prend un malin plaisir à nous plonger dans les affres puis l'effroi de son personnage, les vieilles valeurs traditionnelles de ce derniers l'emporteront, ramenant Edmond à sa place quasi-initiale ; Stuart Gordon prévient : le système est trop formaté, le conditionnement social et ses valeurs traditionnelles sont tellement profondément installées qu'elles finissent par avoir inexorablement raison de ce que l'on nomme "vice", et demander si l'enfer n'est pas finalement notre vie de chaque jour, à laquelle il serait presque impossible d'échapper ; du reste, celle-ci nous affaiblit si bien que lorsque l'on se heurte à l'inconnu, à la limite que l'on se doit de ne pas dépasser, ces valeurs sont trop fortes pour que cela ne ramène pas que rapports de force, et pour les nier, condition incontournable à la renaissance, c'est simple, il faut tuer.

 

 

Edmond devient alors bourreau et victime de sa psychopathie, c'est aussi au sein de lui-même qu'anges et démons luttent ; par exemple celui-ci rencontre ses premiers problèmes parce qu'il ne veut pas payer le juste prix des services qu'il demande ; au sein des bas quartiers, il est renvoyé à sa propre radinerie et à ce qu'il était devenu au sein de la société de consommation "normale" ; d'un seul coup, rien n'est étiqueté, et trop installé dans ses repères statufiés, dès que quelque chose lui déplaît, dès que ça ne va pas comme il veut, il s'énerve ; c'est la seule alternative dont il dispose pour briser le passé, affronter son présent, pour enfin aborder neuf, le futur.
Il n'est pas un criminel dans l'âme et serait plus proche du looser paumé en pleine prise de conscience, un homme qui souhaiterait vivre une vie qu'il n'a pas et dont il reste insatisfait, et c'est ici que Stuart Gordon frôle notre sensibilité, car combien d'entre nous ressente cela ? On se dit que l'envie de tout lâcher, de tout vouloir refaire à zéro peut finalement arriver à tout le monde et si l'on démarrait l'engrenage, faisant le grand saut, d'une vie à l'autre, on ne pourrait que péter les plombs, tant notre recherche d'idéal serait à la fois vaste et en contradiction avec notre morale.
Tout en restant un film de genre, et sans rentrer dans le contemplatif, le réalisateur permet au personnage via sa déchéance de faire une introspection psychologique et philosophique, et ce sera là la seule rédemption de notre anti-héros, que cette perte d'illusion et son acceptation.
On se demande combien il est difficile de réussir ce genre de pari filmé sans la présence d'une composition d'acteur conséquente; William H. Macy se hisse là au niveau des grands modèles cités ci-dessus (De Niro / Keitel, je laisse Douglas / Schumi beurk) ; il affirme ici son penchant pour les productions indépendantes tout en livrant un numéro stupéfiant ; il vampirise même le film à certains moments tant sa présence et ses montées d'adrénaline s'affirment palpables dans ses montées sanguines.
Pour le reste du casting, nous retrouvons pas mal d'abonnés au films de David Mamet au point qu'on se demande au-delà du casting, quelle a été son influence sur le tournage, outre William H. Macy, on retrouve le bon Joe Mantegna ("Engrenages"), on a droit à un mini défilé de jolis brins, Julia Stiles ("Séquences et conséquences"), Rebecca Pidgeon (quatre films avec Mamet), puis Denise Richards et Bai ling (vue chez Park-Chan Woo et Fruit Chan).

 

 

Bref, pour conclure, me voici donc conquis par "Edmond" qui, s'il emprunte des chemins a priori bien balisés, sort son épingle du jeu de par son ironie et son propos sous-jacent ou la recherche de l'idéal ne serait que duperie ; sa mise en scène, peut-être la plus sobre de sa carrière sied parfaitement au film lui donnant des airs de "New-York 2h du matin" complètement désabusé ; quant à l'interprétation de William H. Macy, c'est du grand art, confirmant l'immensité de son talent.
Les admirateurs de Gordon / Lovecraft seront peut-être déçus, je me demande du reste ce qu'il vont bien penser de cet écart un poil païen ; quant à moi, j'avoue que "Edmond" m'a justement donné envie de revisiter son oeuvre, celle-ci étant sa plus marquante selon moi, depuis... "Re-Animator".
Je pressens aussi que la critique sera divisée, que ce soit au sens à donner au film, que dans sa manière "fait-main" (inhérente à l'artisan que reste ici Stuart Gordon et c'est tant mieux !), que l'on nivellera selon, vers le haut ou le bas le comparant aux films précités, dédiés chacun à leur manière aux anges mortels de la rédemption dont "Edmond" serait en quelque sorte le dernier de la classe, ne la trouvant jamais, pire, arrivant à la conclusion qu'elle n'existe pas.

Note : 7/10

 

Mallox
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